Georges Arditi, le père de la tribu
« Mon père Georges Arditi m’a allumé le monde pour que je puisse en faire quelque chose, n’importe quoi du moment qu’il me plaise, n’importe quoi du moment qu’il dise la vie et que, tant qu’on regarde, on soit vivant ! » Pierre Arditi
Dans la famille Arditi, je demande le père… On connaît bien le fils et la fille ainés, comédiens tous les deux ; on connaît moins les deux cadettes, comédiennes elles aussi, et écrivaine pour la plus jeune. Il faut dire que ces enfants de la balle ont de qui tenir puisque leur père n’est autre que le peintre, injustement oublié et heureusement à l’honneur au Musée de La Piscine jusqu’au 7 janvier 2024 : Georges Arditi. D’un réel à l’autre. L’exposition se concentre sur les deux premières périodes de création de l’artiste et son cheminement au sein de la figuration et du réalisme.
Retenez bien le nom d’Arditi, il est encore noué mais il est fort.
Pierre du Colombier, (à propos de l’autoportrait)
Georges Arditi, un artiste méconnu
Georges Arditti (avec deux « t » à l’origine) est né en 1914 à Marseille. Son père David est Juif de Bulgarie, sa mère est originaire de Salonique. Ils sont installés à Paris et le petit Georges est scolarisé au collège Carnot; il entrera à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs après le lycée où il suivra entre autres les cours de Raymond Legueult et de l’affichiste Cassandre dont il deviendra l’assistant quinze ans plus tard.
En attendant de pouvoir vivre de sa peinture, il contribue aux finances de la famille en travaillant comme homme à tout faire dans la société de radiotéléphonie de son oncle. Il est fortement influencé par la peinture du Quattrocento et l’exposition des « Peintres de la réalité du XVIIe siècle français » organisée en 1934 au Musée de l’Orangerie à Paris.
Il expose dès 1937, publie ses premières illustrations et participe au Salon des Tuileries avec son autoportrait l’année suivante. Dès lors, il se consacre complètement à la peinture.
Par décret du 15 mars 1942, tous les membres de la famille Arditi sont déchus de leur nationalité française et perdent tous leurs droits. L’atelier du peintre est mis sous scellés et vidé de ses œuvres dans l’année ; il en retrouvera une cinquantaine après la guerre.
Georges Arditi refuse de porter l’étoile dès 1940, il participera à un réseau de résistance en 1943 après la perte de son deuxième frère, Joseph Arditi dit « Poulou » déporté et tué à Auschwitz. Jacques, son autre frère s’était noyé sous ses yeux aux Sables d’Olonne en 1934.
Il faut noter la détermination du jeune peintre face aux obstacles qui se dressent devant lui, confronté aux ordonnances allemandes et aux mesures réglementaires antisémites édictées par l’Etat français qui l’empêchent d’exposer.
Il rencontre Yvonne Leblicq pendant la débâcle à Aurillac, elle le suivra à Bruxelles, puis à Paris et Marseille. Leur fils Pierre Arditi viendra au monde en 1944 et leur fille Catherine Arditi, en 1946.
Il entretiendra en parallèle une relation avec Josée Perriod, jeune femme d’origine péruvienne, son modèle à plusieurs reprises pendant sept ans.
La reconnaissance
La période classique et quattrocentiste
Il commence à participer aux grands salons artistiques de l’après-guerre. Soutenu par les critiques Louis Cheronnet et Waldemar George. Une toile est retenue pour la sélection finale du Prix de la Peinture Contemporaine en 1949. Il reçoit des commandes pour des décors d’établissements publics comme le Collège Technique de Versailles. Une exposition lui est consacrée au Musée d’Art Moderne de Sao Polo l’année suivante, et il est sélectionné pour le Prix de la Jeune Peinture et le Prix de la Critique en 1951.
La période post-cubiste
De 1952 à 1956. Il séjourne à Aix-en-Provence pendant six mois, tient un journal quotidien où il interroge sa technique, expose à Aix et dans plusieurs autres villes en France et à l’étranger. Il travaille comme régisseur des tournées de music-hall de Jacques Canetti, son cousin et ami puis comme décorateur dans son théâtre des Trois Baudets avant de réaliser d’autres décors pour le Vieux Colombier et La Huchette entre autres.
Une peinture en évolution
Période abstraite
Georges Arditi expose des Variations sur le Mont Ventoux à la Galerie Berri-Lardy en 1959 et enchaîne de nombreuses expositions et salons. Son travail et la réflexion sur son art entamés lors du séjour en Provence aboutissent, et peu à peu le sujet disparaît jusqu’à rompre avec la figuration.
À Saint-Rémy-de-Provence, dans l’exposition qui fera suite à celle de La Piscine et se tiendra au Musée Estrine du 17 février au 28 juillet 2024, l’accent sera mis sur les paysages spectaculaires inspirés par les effets de lumière et de couleur autour du Mont Ventoux, insistant sur la production abstraite des années 1958 à 1973.
Il reviendra à la peinture figurative en 1974.
Georges Arditi, un homme passionné
Il rencontre en 1970 Nicole Paroissien, une jeune femme avec qui il aura deux filles, Danièle Arditi en 1974 et Rachel Arditi en 1976. Il épouse toutefois Yvonne Leblicq en 1971, année de la mort de son cher cousin Georges Canetti avec qui il a entretenu une importante correspondance.
La mort de son épouse en 1982 le plongera dans une intense douleur. Il perdra sa sœur Denise six ans plus tard.
En 1990, une rétrospective lui est consacrée au Musée de la Poste à Paris et il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par François Mitterrand en 1992. Il publie La peinture des peintres en 2002 puis, atteint de la maladie d’Alzheimer, il entre à la maison des artistes de Nogent-sur-Marne où il s’endort pour toujours le 15 janvier 2012.
Au nom du père
Lecture à trois voix
Le 16 octobre dernier, les trois filles de Georges Arditi étaient réunies devant le bassin de La Piscine pour lire des lettres et des extraits du journal de leur père en marge de l’exposition qui lui est consacré. Pierre Arditi, souffrant n’avait pu se déplacer et Catherine, Danièle et Rachel ont fait résonner dans la magnifique salle du musée la voix du père.
Elles l’ont fait sans chichi, sans doute parce que leur père « passait sa vie à traquer dans le monde ce qu’il considérait comme superflu. », comme le raconte Rachel dans le roman qu’elle lui consacre. Un moment simplement exceptionnel !
Dans ces extraits, Georges Arditi s’adresse tour à tour à Yvonne son épouse restée à Paris pendant qu’il travaille à Aix, et à son cousin Jacques Canetti, « le mécène de son coeur ». Il raconte son quotidien, confie ses doutes et ses joies artistiques, se plaint ou se réjouit des mots de critiques, s’inquiète de ses difficultés financières et de leurs conséquences pour sa femme et ses enfants.
Quelle émotion d’entendre Catherine Arditi évoquer sa maman et son frère avec les mots du père : « ma poupoune », « ma grosse bougne de fils » dans une correspondance qui mériterait d’être éditée.
Premier roman
Dans la famille Arditi, je demande la petite dernière… Rachel, comédienne et auteure puisqu’elle vient de publier son premier roman : J’ai tout dans ma tête. En grande partie autobiographique, elle y évoque avec pudeur et tendresse les derniers moments partagés avec son père atteint de la maladie d’Alzheimer.
On retrouve dans son récit l’humour et les colères du peintre et elle nous entraine dans un dernier voyage poétique où il poursuit ses explorations personnelles.
Bon sang ne saurait mentir !
Courez à La Piscine – musée d’art et d’industrie André-Diligent de Roubaix pour découvrir Georges Arditi, D’un réel à l’autre, jusqu’au 7 janvier 2024 et au Musée Estrine de Saint-Rémy-de-Provence du 17 février au 28 juillet 2024
Lisez le très beau catalogue de l’exposition édité chez Silvana Editoriale et le roman très réussi de Rachel Arditi, J’ai tout dans ma tête chez Flammarion
Envie de découvrir un autre grand peintre sur Culturius? Voyez l’exposition Anna Boch à Ostende.