« Les Lombards à la première croisade », que l’on doit à l’un des plus grands compositeurs d’opéra du monde, reste néanmoins une de ses œuvres les moins représentées du grand Verdi. Au-delà d’une histoire quelque peu difficile à suivre, elle offre une partition magnifique, des solos remplis d’émotions et un passage où les cordes ont pu montrer toute leur virtuosité.

L. DALL’AMICO – G. JANELIDZE – A. DAUBRUN – M. ROMA – S. JICIA ©ORW-Liege_J Berger

Un an après le succès de Nabucco, le directeur de la Scala de Milan, Bartolomeo Mirelli, commande un nouvel opéra au jeune Verdi. Le librettiste Temistocle Solera adapte un poème de Grossi. Il recevra un beau succès et sera le premier opéra de Verdi à être représenté aux Etats-Unis.

« Les Lombards .. » s’inscrivent dans le courant du Risorgimento, en Italie. Les différents royaumes italiens s’unissent peu à peu sous l’impulsion de la maison de Savoie. Les Royaumes du Nord se libèrent de la domination autrichienne, et petit à petit, un grand royaume d’Italie prend forme. Verdi en est un fervent défenseur et sera même député, même si la politique n’est pas une passion chez lui. Plusieurs passages de l’œuvre ont d’ailleurs été acclamés par les spectateurs qui y reconnaissent un élan patriotique. D’ailleurs, au soir de la première, les militants milanais se sont appropriés le grand chœur patriotique de l’acte IV « O Signore dal tetto natio ».

G. JANELIDZE – M. ROMA – S. JICIA ©ORW-Liege_J Berger

Mais parlons d’abord de l’histoire : deux frères, Pagano et Arvino, sont amoureux de la même femme, Viclinda. C’est ce dernier que la jeune femme choisit d’épouser, à la fureur de Pagano, qui en arrive au point d’agresser son frère. 18 ans plus tard, la ville célèbre la réconciliation des deux frères.

Mais Pagano est toujours aveuglé par la jalousie et la colère, et il provoque un incendie pour se débarrasser de son rival. Malheureusement, il tue par erreur, leur père à tous deux, et il est condamné à l’exil. Sur ces entrefaites, la première croisade s’organise, et Arvino prend la route de la Terre Sainte à la tête de son armée. Il va rejoindre l’armée de Godefroid de Bouillon. Mais sa fille Giselda est enlevée par les infidèles, et est enfermée dans le palais d’Acciano, tyran d’Antioche. La jeune femme, se lamente dans le harem, mais tombe néanmoins amoureuse du respectueux Oronte, le fils d’Acciano. Pendant ce temps, Arvino marche sur Jérusalem, pour retrouver sa fille et prendre la ville sainte.

Ensemble ©ORW-Liege_J Berger

Il est aidé dans son combat par un ermite, qui n’est autre que son propre frère qu’il ne reconnaît pas. Finalement, les croisés prennent la ville, dans un bain de sang, Acciano est tué et Oronte prend la fuite. Giselda retrouve son père, mais horrifiée par la barbarie des combats, elle fustige la violence de son père et de son armée, et elle fuit avec Oronte, blessé, qui s’est déguisé pour la retrouver. Pendant leur fuite, le jeune homme grièvement blessé se meurt, au désespoir de Giselda. Lors d’une scène déchirante, il consent à renoncer à ses croyances pour adopter celles de son aimée. Il se fait baptiser par l’ermite Pagano et peut ainsi gagner le paradis. La fin de l’opéra montre les Croisés vainqueurs, et la mort de l’ermite Pagano, qui a été blessé pendant le combat, se rachetant ainsi aux yeux de son frère.

S. JICIA ©ORW-Liege_J Berger

La mise en scène de Sarah Schinasi et le décor de Pier Paolo Bisleri sont minimalistes. Une scène blanche, dont différents modules cubiques se meuvent pour représenter les différents lieux de l’action. Ces mouvements sont soulignés par les savants jeux de lumière de Bruno Ciulli. Quant aux costumes, ils s’inscrivent à la fois dans l’époque moyenâgeuse, tout en s’harmonisant avec le côté contemporain des décors. Le choix de cette simplicité est une réussite visuelle, mais elle est aussi efficace. On pourrait lever un sourcil sur les chœurs plutôt statiques, mais les chanteurs étaient très nombreux en scène, et la priorité ici est clairement donnée à l’éclatante musique de Verdi. Sarah Schinasi a quelque peu estompé le côté religieux de l’opéra, préférant mettre l’accent sur les sentiments, la recherche de sens dans la vie des différents protagonistes. Il faut quand même avoir à l’esprit qu’en cette première moitié du XIXème siècle, il n’est pas courant de fustiger la violence et la brutalité des chrétiens envers les musulmans. Verdi se rattrape en mettant en scène la conversion d’Oronte.

Dans la fosse, à la direction, un des chefs d’orchestre verdien, emblématique de notre époque. Daniel Oren a maîtrisé les chœurs, les solistes et les musiciens d’une main énergique, et ô combien talentueuse. Le chef Israélien, lauréat du prix Von Karayan, a emmené l’orchestre de façon émouvante, experte et extrêmement au plus grand plaisir du public. Son enthousiasme a littéralement porté tout le monde.

Choeur – S. JICIA ©ORW-Liege_J Berger

L’opéra « Les Lombards » ayant 12 tableaux de chœur, il faut cette fois, commencer par féliciter ceux de l’ORW pour leur magnifique prestation. Toujours très professionnels, les chanteurs de l’Opéra de Liège ont été cette fois encore irréprochables, servant magnifiquement l’intrigue.

Dans le rôle d’Oronte, Ramón Vargas offre une voix claire, souple, magnifiquement mélodieuse, avec des ornements belcantistes absolument splendides. Habitué des plus grandes scènes du monde, c’est un véritable bonheur de pouvoir l’écouter à Liège. 

Autre ravissement de cette représentation, la soprano Salomé Jicia qui offre une voix remarquable, et une maîtrise technique totale. Elle est parfaite dans la scène de la mort d’Oronte, où elle transmet tout le tragique et le désespoir de la situation.

La voix de basse de Goderdzi Janelidze fait merveille. Il possède une puissance  rare, et un timbre velouté très agréable et émouvant. Il a également une présence scénique tout à fait impressionnante et Matteo Roma, est quelque peu frêle à côté de son « frère ». Il a néanmoins pallié à cela par une voix absolument magique, un timbre parfait et une prestation tout à fait convaincante.

On a apprécié Luca Dall’Amico dans Alzira et Adriana Lecouvreur, on l’aime également dans le rôle de Pirro. Il offre au rôle une voix toujours parfaitement modulée, avec un phrasé impeccable. Aurore Aubrun, Caroline de Mahieu et Roger Joakim, tenant des rôles moins importants, ont néanmoins offert une prestation des plus convaincante et ont soutenu parfaitement la distribution.

Soulignons également, venant de la fosse, le solo de violon de Julien Eberhardt, qui a remporté tous les suffrages par une interprétation magnifique.


I Lombardi alla Prima Crociata, Opéra en 4 actes, Musique de Guiseppe Verdi. Livret de Temistocle Solera d’après Tommaso  Grossi. Créé à Milan, Teatro alla Scala, le 1er février 1943.

En direct sur Medici.tv le 23 mai et en rediffusion sur Mezzo.