Natalia van der Mersch-Steurer est une violoniste internationale de talent, formée par les grands maîtres contemporains du violon comme Zakhar Bron, ou Igor Oïstrakh à Bruxelles. C’est aussi un caractère passionné, comme on le verra dans cette interview.

Natalia van der Mersch, d’où vous est venue la passion du violon?

Tout naturellement. Mon père et ma grand-mère jouaient du violon, depuis ma toute petite enfance c’était une évidence pour moi que je jouerai moi aussi au violon. J’ai commencé sur un tout petit violon pour enfants qui appartenait à ma grand-mère, j’avais sept ans. Dans ma famille tout le monde jouait d’un instrument, mon arrière-grand-père paternel était organiste dans une église en Bavière. Nous avons toujours été une famille de musiciens. Ma mère est croate, originaire de Zagreb, sa propre mère était une très bonne chanteuse. Elle voulait faire une carrière à l’opéra mais son fiancé à l’époque, mon grand-père, lui a proposé : soit tu chantes à l’opéra, soit tu m’épouses ! Elle a choisi l’amour. Mais elle chantait en famille, et jouait aussi de la guitare, très joliment. Tous mes enfants jouent du piano, trois d’entre eux jouaient de la clarinette et ma fille Alice joue aussi de la flûte traversière.

Natalia van der Mersch, la musique chevillée au corps et à l’âme © photo Christophe Drèze

J’ai commencé par jouer de la flûte, mais j’ai arrêté en faveur du violon. À l’âge de onze ans j’ai rencontré un très grand professeur russe, le professeur Valery Gradov, à Essen en Allemagne, au conservatoire de musique. Il m’a trouvé un don et a voulu me prendre dans sa classe. Il a fallu prendre une grande décision. Il m’a dit : je te prends comme élève mais tout ce que tu fais à côté tu l’arrêtes. J’étais à cet âge-là aussi passionnée de ballet et je dansais beaucoup. J’ai donc arrêté le ballet pour me consacrer uniquement au violon. Je pense avoir pris la bonne décision car on peut jouer du violon toute sa vie, mais la danse malheureusement pas. Imaginez que vous avez une passion et que vous ne pouvez plus l’exercer, quelle tristesse !

Le professeur de violon exigeait qu’à chaque cours un de mes parents soit présent et prenne note de toutes les instructions qu’il me donnait. Ensuite, de retour à la maison, il devait s’entraîner avec moi. C’était très exigeant. Minimum deux heures par jour en semaine, et le week-end quatre à cinq heures. Les vacances étaient consacrées aux classes de maîtres. Je me suis consacrée au violon 365 jours par an. C’était l’école russe.

Natalia van der Mersch et la pianiste Natalia Kovalzon © photo Christophe Drèze

Une vie d’adulte déjà enfant?

Je ne peux pas dire que j’ai raté mon enfance parce que j’ai adoré ça, je le voulais. Mais bien sûr il y a eu des moments difficiles que j’ai dû apprendre à traverser, et ne pas dire : maintenant j’arrête ! J’ai beaucoup pleuré, je me suis beaucoup énervée, mais jamais, jamais, il n’a été question pour moi d’arrêter. C’est une passion. Avec le violon il faut très tôt être sérieux.  J’aimais beaucoup le ski mais le professeur m’a prévenu : si tu vas au ski j’arrête de te donner cours ! Idem pour la gymnastique que j’aimais beaucoup, ou le basket-ball, le volley-ball.

C’était un sacrifice nécessaire pour protéger mes mains. Ne pas m’entraîner pendant un mois si j’avais eu une fracture aurait été catastrophique. Quand on est petit et qu’on apprend l’instrument il faut être très sérieux, très conséquent.  Par contre je pouvais marcher, et je marche très vite. Très tôt j’ai débuté des concerts, vers huit ou neuf ans. Il est très important d’apprendre très tôt à monter sur scène, mais ce n’était pas un problème, j’adorais ça.

Natalia van der Mersch exceptionnellement sans son violon © Natalia van der Mersch

Mon premier disque je l’ai enregistré à dix-neuf ans avec un pianiste russe, Alexandre Markovich, en 1992, avec un Stradivarius que l’on m’avait prêté. Aujourd’hui je joue sur un merveilleux violon du luthier italien Giuseppe Gagliano de 1780, c’est le mien, et j’ai un très bon archet, un Charles Peccatte. L’archet est aussi important que le violon, il peut faire toute la différence et parfois le son du violon change complétement. J’en ai deux. Il faut que le mariage se marient bien ensemble. Certains archets sont plus lourds que d’autres, c’est très individuel, un archet peut être bon pour un violoniste et pas pour l’autre. Ils sont assez résistants, mais par contre il m’est arrivé deux ou trois fois de casser une corde de mo violon pendant un concert. Il faut évidemment alors s’arrêter de jouer et changer la corde. Ce sont des « effets spéciaux » qui arrivent parfois ! Ca m’est encore arrivé il y a six mois. Le public est compréhensif et encourage en applaudissant.

Vous êtes devenue donc une professionnelle ?

Je n’aime pas cette question ! Les gens ne se rendent pas compte. (rires). On fait ça toute notre vie comme aucune autre profession, il y a dix à quinze ans d’apprentissage, et après on nous demande : « Vous êtes professionnelle ? » Je pourrais les étrangler ! C’est tellement de travail, du corps et de la tête. C’est pas seulement venir sur scène et jouer quelques notes. Mais les gens pensent qu’on prend un instrument et qu’on joue comme ça. Récemment lors d’un grand concert dans une banque on me pose la question : « Vous êtes professionnelle ? » Je lui ai répondu : « Non mais qu’est-ce que vous croyez, qu’on vient sur scène pour gratter le violon en toute simplicité ? Est-ce que moi je vous demande au guichet de votre banque : vous êtes professionnel, ou bien ? C’est exactement la même chose. » Le pauvre homme s’est rendu compte de sa gaffe, il n’osait plus rien dire.

Natalia van der Mersch © photo Christophe Drèze

Vous sortez un album consacré à Fritz Kreisler

Oui, c’est un tout grand violoniste, extraordinaire. Il était d’origine juive autrichienne, et pendant la guerre il a dû partir. Il a fait des études à Paris, puis il s’est installé aux États-Unis. C’était un génie, il a même étudié la médecine.

Mais il était un professionnel du violon, lui, ou pas du tout ? (je prends des risques avec mon interlocutrice)

Oui, un peu. Il a fait ses propres compositions et aussi beaucoup d’arrangements, qui étaient sa spécialité. Il a adapté de nombreuses œuvres composées pour orchestre qu’il a retranscrites pour violon et piano. Par exemple les Danses Slaves de Dvořák, écrites pour orchestre, qu’il a arrangées pour violon et piano. C’était également un très bon pianiste. Il faisait des compositions très amusantes, « dans le style de ». Par exemple dans le style baroque. Il faisait des blagues, disant : « J’ai trouvé d’anciennes partitions », mais c’était lui l’auteur. C’est formidable ! Sur le disque que nous sortons il y a 21 morceaux, très colorés, il y en a pour tous les goûts. Même des petites marches viennoises pleines d’entrain, on pourrait les jouer dans un café, c’est génial ! Ou un morceau de chasse, on s’y croirait.

Fritz Kreisler (1875-1962) © Domaine public

Je dois dire que j’ai été toujours amoureuse de lui, c’est une grande histoire d’amour entre lui et moi. Bien qu’il soit mort avant ma naissance il est encore très vivant grâce à sa musique. Le violon c’est des vibrations, c’est très sensuel, on peut tout exprimer. Et en plus c’était un bel homme, ce qui ne gâche rien.

Nous avons réalisé cet album à deux, avec la pianiste russe Natalia Kovalzon. C’est notre troisième disque ensemble. Cela fait quatorze ans que nous jouons ensemble, nous sommes les meilleures amies du monde, les deux Natalia. C’est très important de bien s’entendre, sinon c’est plus difficile de jouer ensemble.  Notre rapport est très harmonieux, nous ne nous disputons jamais. Nous avons toutes les deux un caractère très fort, et pourtant tout coule naturellement. On dit que les femmes entre elles ce n’est pas facile, mais pas entre nous. Nous avons la même idée de l’interprétation. Jouer ensemble est toujours un plaisir. D’abord nous prenons un café, nous papotons, et puis nous attaquons le morceau. Ce n’est pas un travail, c’est un plaisir, c’est une journée qui commence bien. Quelle chance nous avons d’avoir la possibilité de nous exprimer ainsi, avec toute la gamme d’émotions que permet la musique, plus large, plus forte que la gamme des mots !

Les deux Natalia, Kovalzon et van der Mersch © photo Christophe Drèze

Nos enfants aussi sont très liés, Natalia et moi nous nous sommes d’ailleurs rencontrées au little gym. J’ai vu une belle femme, j’étais moi-même enceinte de mes jumeaux, et nous nous sommes découvertes. « Donnez-moi votre numéro de téléphone, lui dis-je, je vous contacterai après avoir accouché ». Dès que nous avons joué en duo nous ne sommes plus quittées. Nous avons même passé le confinement ensemble à la campagne. Elle enseigne maintenant le piano à mes enfants.

Retrouvez les deux Natalia avec My Kreisler Album, en vente chez votre disquaire ou sur les plateformes dédiées.

My Kreisler Album, une merveilleuse évasion loin de la brutalité du monde © Ars Produktion / photo Christophe Drèze


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