10 ans après Oslo 31 août et 15 ans après Nouvelle donne, Joachim Trier termine sa trilogie sur la ville d’Oslo avec son nouveau long métrage Julie (en 12 chapitres), sorti en novembre 2021. Les deux premiers volets de cette trilogie nous ont présenté Oslo comme le reflet de l’errance d’un toxicomane sorti de cure ainsi que le terrain de jeu de deux aspirants écrivains. Ici, la ville se fait le miroir des incertitudes de Julie, la protagoniste du film.

Vous l’aurez deviné, dans Julie (en 12 chapitres), Verdens verste menneske dans sa langue d’origine ou encore The worst person in the world en anglais, nous suivons Julie (Renate Reinsve) durant 4 années de sa vie, morcelée en 12 chapitres, un prologue et un épilogue. Julie approche les 30 ans, elle est perdue et indécise, autant dans sa vie professionnelle que sentimentale, elle se cherche, essaie et rencontre.

Alors qu’elle atteint une certaine stabilité aux côtés d’Aksel (Anders Danielsen Lie), un dessinateur de BD quarantenaire, un moment d’ennui la poussera à s’incruster à une soirée de mariage où elle rencontrera Eivind (Herbert Nordrum). Nous découvrons alors Julie comme une jeune femme indépendante, qui n’a pas peur de saisir les opportunités qui lui sont présentées ou qu’elle se crée elle-même.

©Renate Reinsve | Oslo Pictures | Neon

Dans ce film, Joachim Trier donne sa version de ce qu’est grandir et évoluer dans la vie alors que l’on est incertain et peu sûr de soi. Il est très facile de s’identifier aux questionnements et choix que Julie rencontre. Il s’agit en fait d’une sorte de « coming of age story », mais pour les jeunes adultes, parce que oui, même à 30 ans on continue de douter et on continue  d’apprendre. C’est assez rafraichissant à voir et plutôt rassurant.

À travers le parcours de Julie, le film s’adresse à ses spectateurs en leur demandant ce qu’ils veulent de la vie, de l’amour, de leur famille, de leur travail. Tout comme Julie, nous faisons des choix et ces choix sont peut-être parfois mauvais, mais ils sont nôtres et c’est ça qui importe le plus. Après avoir visionné le film, les questions fusent… Comment savoir si un choix est bon ou mauvais ? Un mauvais choix fait-il de nous une mauvaise personne ? Faut-il être une bonne personne ? Julie ne nous donne pas les réponses à ces questions, et ce n’est pas forcément grave, car elle est à notre image : humaine, imparfaite et continuellement en quête d’elle-même.

©Oslo Pictures | Neon

Tout ce côté fort cérébral de l’œuvre est, certes, très intéressant et reste dans le fond de la tête pendant quelques jours, mais il ne laisse finalement pas beaucoup de place aux sentiments et à l’émotion.

Malgré la très bonne performance de Renate Reinsve (qui a d’ailleurs remporté le prix d’interprétation féminine à Cannes), pleine de sincérité et de réalisme, il m’a été difficile d’éprouver de l’empathie envers Julie et donc de m’investir pleinement dans le récit du film. Julie nous semble authentique et éveille en nous des interrogations que l’on connaît bien, mais à la fin du film, elle demeure un mystère. Ses relations et son alchimie avec les deux personnages masculins sont très convaincantes, mais le fond de la relation reste flou.

J’ai eu l’impression d’être présente dans la pièce avec les personnages, mais de ne recevoir aucune véritable information sur eux, de ne pas ressentir leur profondeur ou de réellement me soucier d’eux et de leur devenir. Il s’agit ici, à mon avis, d’un problème d’écriture, le film étant très bavard et se perdant parfois dans des répliques aux allures profondes mais qui n’apportent pas grand-chose au récit et qui parfois entrent même dans les clichés (bobo artiste, bobo écolo, relation lesbienne, rapport au père, etc.), certainement dans un but humoristique mais qui n’a pas fait mouche pour ma part. De plus, la voix-off épisodique est très présente, mais ne se détache que très peu de ce qui est montré à l’écran, ce qui la rend assez peu nécessaire finalement.

©Oslo Pictures | Neon

L’esthétique et la mise en scène du film sont plaisantes mais restent assez sages. La focale de 35mm permet de nous immerger dans les scènes avec les personnages, mais le tout reste plutôt illustratif. Quelques scènes sortent cependant du lot et offrent une jolie surprise.

Tout d’abord, la scène du mariage et la rencontre entre Julie et Eivind où ils testent jusqu’au petit matin les limites de la fidélité conjugale. Ensuite, la séquence magique où le temps s’arrête et le monde se fige alors que Julie parcourt la ville pour retrouver Eivind, dont elle est finalement tombée amoureuse. Et enfin, la scène qui nous plonge dans l’inconscient enfiévré de Julie alors qu’elle a consommé des champignons hallucinogènes. Cette dernière scène m’est cependant apparue comme une moins belle réussite car fort ancrée dans un male gaze malaisant plutôt qu’une entrée dans l’esprit tourmenté de la jeune femme.

Malgré ces trois exceptions, le récit semble tout de même suivre une trajectoire figée, enfermant Julie dans un chemin tout tracé sans réelles surprises. Cette direction aurait d’ailleurs pu être déviée grâce aux morcellement de l’histoire en chapitres, mais ce découpage narratif m’a donné l’impression d’une série de courts-métrages aux longueurs et importances inégales, dont les plus courts semblent presque anecdotiques.

Julie (en 12 chapitres) est une tranche de vie somme toute assez classique et sans grande surprise, cependant agréable et légère à regarder, dont l’esthétique propre et épurée rendra plus douces les quelques longueurs dans lesquelles le film se perd par moments.