Pour la quatrième édition consécutive, le Listen! Festival s’est achevé dans la brume colorée et scintillante de la Gay Haze. Après un closing mémorable l’année passée, l’exubérante soirée reprenait ses quartiers au Buda, entre Vilvoorde et Bruxelles. Or, ce cru 2023 réservait une nouveauté : un format étiré du samedi soir au lundi matin, pour un total de 27 heures de fête ininterrompue. Un périple délirant qui a tenu toutes ses promesses.

Samedi 1er avril  au soir, aux alentours de 22h, tout le monde est déjà sur le pied de guerre du côté du Buda : dans la vaste room n°1, les organisateurs quadrillent la pièce d’un pas stressé, les techniciens peaufinent les derniers réglages et les barmans se barricadent derrière les fûts. Il y règne une atmosphère que l’on pourrait qualifier de calme avant la tempête. Tous fixent l’entrée de l’entrepôt en essayant de se convaincre que peu importe ce qui passera par cette porte, tels des soldats du Gondor il leur faudra tenir leurs positions. 

Au-delà de toutes exagérations, si la tension est palpable c’est que l’événement est très attendu. Depuis leur lancement en 2017, les soirées Gay Haze sont parvenues à se faire un nom dans le milieu de la nuit bruxelloise. Reconnues pour leurs ambiances déjantées, de la programmation musicale au public en passant par la scénographie, elles se démarquent également par leur bienveillance. Offrant un espace sûr pour les fêtards marginaux, ces rendez-vous constituent un défouloir dénué de la notion de jugement, des sauteries sulfureuses devenues incontournables pour la communauté LGBT locale. 

Fort de son public fidèle, la Gay Haze a conquis de nouveaux adeptes auprès des amateurs d’escapades nocturnes. Son association avec son homologue anversoise Spek dans le cadre du Listen Festival est devenue un classique annuel en seulement trois coups d’essai. Après avoir fait swinguer le Quai n°1 en 2019 et 2020, la troupe a illuminé le Buda au long d’un dimanche de folie lors de la clôture de l’édition 2022. Une fête absolument extatique qui restera dans les mémoires, labellisée « soirée de l’année » par de nombreux participants. 

L’épreuve reine

©Jente Waerzeggers

Étalé sur cinq jours et disséminé à travers différentes locations, le Listen Festival a des allures de décathlon musical. Désormais, sa dernière et redoutée épreuve s’apparente à un marathon de 27h : plus d’une journée entière de festivités, bien assez de temps pour parcourir aisément 42 kilomètres, dont le maître mot est l’endurance et la gestion de l’effort. Une idée maléfique évidemment accueillie avec enthousiasme par les énergumènes locaux, qui se sont empressés de vider les guichets. 

Même s’ils disposent d’un cycle solaire complet pour satisfaire leurs pulsions, les fêtards ne perdent pas de temps pour pointer le bout de leurs nez à l’entrée du Buda. Dès l’ouverture samedi soir, les looks fluorescents affluent devant les portes de l’entrepôt industriel, chassant la grisaille environnante. Le moment est idéal pour sélectionner une mascotte, un champion, un athlète apte à surmonter le week-end. Une quête qui mène à Stan, trentenaire habitant à Bruxelles, bien décidé à honorer son statut jusqu’au lundi matin. « Je me sens comme au début d’une battle royale » plaisante t-il en toisant ses congénères, avant de délivrer une fine analyse scientifique « 27 heures ça peut paraître long, mais ici le temps est relatif ».

Dans la salle principale, les participants sont rapidement mis en jambes par le set inaugural de Melissa Juice, résidente du collectif Misfitte. Plongés dans des sonorités variées, entre acid trance et techno, les fêtards sont également immergés dans un décor enchanteur : des lumières rosâtres tapissent les murs, jonchées des ballons gonflables en forme de chaînes caractéristiques à l’événement, tandis que la pièce est embaumée de fumée. Un choix décoratif imaginé par Neversceno qui donne à l’ensemble une ambiance captivante et mystérieuse, un écrin à la mesure du spectacle.

Un panel international

Guillaume Bleret/DJ booth et Diego Cozzi/Fais Le Beau ©Jente Waerzeggers

La bonne réputation des événements organisés par Gay Haze a permis au collectif de se faire connaître auprès d’autres publics, au-delà des frontières belges notamment. Certes, le fait que Bruxelles soit une ville ultra-cosmopolite aide beaucoup à varier la population, or durant le week-end, on pouvait croiser de nombreuses personnes ayant fait le déplacement spécialement pour cette soirée. Des hollandais, des allemands, des français, des anglais ou encore Hilde, une queer danoise. « Je suis venue sur les conseils d’amis de Cologne présents à la dernière édition. Je dois admettre que je suis bluffé, c’est assez féerique. On est vraiment dans un endroit où l’on peut faire la fête librement entre gens pas tout à fait normaux (rires) » se réjouit-elle.

Traditionnellement, le collectif aime donner un accent local aux programmations de ses événements, affichant parfois des line-ups 100 % bruxellois comme lors de la Pride. Mais l’internationalisation de la Gay Haze s’accentue à mesure que la soirée gagne en notoriété, et cela se remarque au niveau des têtes d’affiches présentes au festival : une grille composée des américaines Dee Diggs et Octo Octa, respectivement originaires de New York et Chicago, de Alex Kassian, Stella Zekri, THC et Byron Yeates, résidant tous à Berlin, ou encore de l’artiste israélien Roi Perez. Si la part belle a été faite aux invités, le cofondateur de la Gay Haze et DJ Fais le beau s’offre quand même le plaisir de terminer la carte du samedi dans la grande salle avec un set fabuleux.

Matins brumeux et soirées endiablées

©Maryan Sayd

Dans la matinée de dimanche, l’atmosphère est un peu chaotique : alors que l’organisation ferme temporairement la grande salle pour la préserver de l’effondrement, on assiste à un chassé croisé entre les fêtards du samedi et du dimanche, ceux qui arrivent, ceux qui partent. Quelques irréductibles parsèment toujours les allées du Buda : certains s’alignent dans le fond de la cour, à côté des casiers, afin de capter un filet de soleil qui fait son apparition à travers les nuages. Les autres s’agglutinent dans la room 2 autour de l’unique source sonore restante. Wendy et DJ Rino s’y succèdent derrière les platines afin de maintenir éveillés les corps fatigués, mais aussi d’échauffer les nouveaux arrivants pas nécessairement plus frais. 

Si le samedi soir était costaud, le vrai rendez-vous se trouve bien le dimanche. En effet, la Gay Haze est avant tout une manifestation dominicale, qui aime s’articuler entre la nuit et la lumière du jour. Dès le milieu de l’après-midi, le Buda est de nouveau plein comme un œuf. Un camion de nachos a fait son apparition dans la cour et renfloue les fêtards en net déficit de protéines. C’est devant celui-ci que l’on retrouve Stan, qui a laissé de côté la physique quantique pour se rendre coupable d’une sieste salvatrice dans sa voiture. 

Mais en effet, au fil de la journée, il paraît clair que le temps n’a aucune emprise sur les lieux ni la population. Alors que Sixsixsixties, père fondateur de Spek, est aux manettes, l’ambiance devient suffocante à mesure que la room 1 se transforme en jungle tropicale. Noyée dans une brume violette, la grande salle est devenue un cabinet de curiosité garni de spécimens invraisemblables, une mosaïque d’individus aux couleurs pétantes dignes des grenouilles les plus vénéneuses d’Amazonie. En plus des étranges animaux, on trouve des gens à moitié nus, aux visages bariolés de peinture surplombés de coiffes insolites. Le taux d’humidité explose et le thermomètre s’emballe, les corps se dévoilent sur les podiums, la fête est totale. 

Dans une ambiance absolument fabuleuse, les invités berlinois Alex Kassian puis THC x Byron Yeates délivrent des performances dantesques à un public conquis. Artistes comme fêtards, tous se dépensent sans compter, sans penser, jusqu’à des heures où certains commencent habituellement leur semaine. Insatiable jusqu’au bout, jusqu’à la dernière note du dernier morceau d’un set ayant déjà bien débordé sur la fermeture. 

27 heures de danse, de musique et d’extravagance qui constituent un sans faute pour les sœurs jumelles Gay Haze et Spek. Un format sulfureux, validé par le public, que l’on devrait revoir aux prochaines éditions du Listen pour des dimanches toujours plus fous, désormais incontournables.