Pour l’ouverture de sa nouvelle saison, l’Opéra royal de Wallonie a misé sur une valeur sûre, puisque c’est « La Traviata » de Verdi qui a été choisie comme première production de la saison 2024-2025. Un choix des plus judicieux, puisqu’il a emporté l’adhésion totale du public de la cité ardente.

Le compositeur

Guiseppe Verdi (1813-1901) est l’un des compositeurs italiens les plus célèbres toutes époques confondues et dont les œuvres sont jouées sur les scènes les plus prestigieuses du monde entier. Verdi captive le public grâce à ses drames romantiques, qui touchent au plus profond du cœur et des mélodies imparables et inoubliables, qui restent en mémoire dès la première écoute.

D. KORCHAK – F. PITTARI – P. DOYEN © J Berger – ORW-Liège

La vie de Verdi s’est déclinée entre succès éblouissants et tragédies personnelles. Faisant preuve d’une indéniable résilience, il a pu utiliser ses drames et souffrances personnelles pour les transposer en mélodies magnifiques.

L’œuvre

« La Traviata » a été composée en 1853. Cet opéra fait partie avec « Rigoletto » et « Il Trovatore », de la trilogie qui a propulsé au faîte de la gloire au niveau mondial. La traduction du titre est « la dévoyée » autrement dit celle qui est sortie du droit chemin.

I. LUNGU – L. DALL’AMICO © J Berger – ORW-Liège

A Paris, dans la première moitié du 19ème siècle, Marie Duplessis est une des reines du demi-monde. Elle séduit de nombreux hommes, dont Alexandre Dumas fils. La jeune femme souffrait comme l’héroïne de la Traviata, d’une tuberculose qui la conduisit à la mort. Alexandre Dumas fils entreprit d’écrire cette histoire, reprenant de nombreuses références autobiographiques. C’est ainsi que le roman « La dame aux camélias » fut édité en 1848, rapidement adapté en pièce de théâtre. Verdi assista à la première et fut profondément touché par ce personnage et son destin tragique. C’est ainsi qu’il reprit la trame de ce récit pour composer son nouvel opéra.

Violetta est une courtisane réputée qui règne sur le tout-Paris. Elle s’étourdit dans un tourbillon de fêtes, une existence superficielle dont elle semble se satisfaire, jusqu’au jour où elle tombe profondément amoureuse d’Alfredo, jeune homme de bonne famille. Bien que l’amour qui les unit soit sincère, il est néanmoins contrarié à cause de conventions sociales où il n’a pas sa place.

I. LUNGU – F. PITTARI © J Berger – ORW-Liège

La société, et surtout le père d’Alfredo s’opposent férocement à leur liaison. Celui-ci va même jusqu’à rendre visite à Violetta et lui fait un horrible chantage : il faut qu’elle s’efface pour ne pas hypothéquer les chances de la sœur d’Alfredo d’épouser un « bon parti ». Afin de préserver Alfredo, la jeune femme cache cette visite, ainsi que ses problèmes d’argent et de santé. Elle ira même jusqu’à faire croire à son amant qu’elle le quitte car elle ne l’aime plus.

Lors d’une fête ou les deux jeunes gens se retrouvent face à face, il l’humilie cruellement, et Violetta désespérée, s’évanouit. On la retrouve mourante dans sa chambre. Néanmoins, le ciel s’éclaircit car elle reçoit une lettre d’excuse du père d’Alfredo, ainsi que la nouvelle de la visite de son amant. Le père du jeune homme vient également lui rendre visite, tourmenté par les remords. Violetta pense revivre, réhabilitée aux yeux des deux hommes, enfin acceptée par la société. Joie de courte, très courte durée, puisqu’elle rend son dernier soupir dans les bras d’Alfredo.

I. LUNGU © J Berger – ORW-Liège

Un accueil mitigé de courte durée

Dans un premier temps, la « Traviata » a dérouté le public, essentiellement bourgeois. Tout d’abord, l’héroïne est une femme de petite vertu, par qui le scandale arrive. Verdi traite également d’argent, du poids de la société sur la vie de chacun. Verdi sait très bien de quoi il parle puisque lui-même vit hors mariage avec une cantatrice, ce qui provoque de nombreux commentaires désapprobateurs. Cet opéra qui appartient tout à fait au courant romantique, annoncé déjà le vérisme, le réalisme dans le drame.

I. LUNGU © J Berger – ORW-Liège

Mais les thèmes abordés, la façon dont ils le sont toucheront le public. Les spectateurs seront bouleversés par le tragique de la situation. La partition excelle à mettre en évidence la psychologie des personnages, le lien qui unit les deux jeunes gens, l’évolution dans les personnalités de chacun. Les mélodies évoquent une vaste palette de sentiments, et l’orchestre enrichit ce que les voix ne peuvent exprimer. Cela fait de la Traviata un des opéras les plus représentés et les plus aimés, encore aujourd’hui.

Une mise en scène flamboyante

Le metteur en scène Thaddeus Strassberger, qui s’est aussi chargé des lumières et des décors, a placé l’opéra dans le décor d’un cabaret parisien, tout à fait conforme au milieu dans lequel évoluait Violetta et Alfredo. Les spectateurs naviguent entre loge et scène. On en prend plein les yeux, tant grâce aux costumes grandioses, qui n’étaient avares ni de couleur ni de strass, qu’aux chorégraphies pleine de joie, d’élégance.

S. NAMOTTE – I. LUNGU – A. DAUBRUN © J Berger – ORW-Liège

Les danseurs virevoltent plein de grâce ; étourdissent et nous transportent au sein de la nuit parisienne. Jouant à la perfection des ressources données par l’ORW, Strassberger a multiplié les endroits évoqués, plaçant le couple dans une paisible villa des années 50. Tout est percutant, pertinent, évident, pilotant les spectateurs, de la scène d’un cabaret, et ses coulisses, à l’écrin serein d’une vie de couple qui se délitera peu à peu sous les actions de huissiers. Un sans-faute pour toute l’équipe car au vu des scènes grandioses offertes au plaisir du public, le personnel technique a fourni des prouesses remarquables.

Une incroyable distribution

Irina Lungu tenait le rôle-titre, Violetta. C’est un rôle qu’elle maîtrise de façon évidente. En effet, elle l’a chanté pour la première fois à la Scala de Milan en 2007. Elle donne énormément de relief au personnage. Elle a fourni d’élégants ornements et a donné toute sa mesure et l’étendue de son talent, essentiellement dans les notes les plus aiguës, emplissant tout l’espace. Elle a développé toute une palette de sentiments, et s’est surpassée au dernier acte, se libérant totalement d’une petite retenue bien compréhensible lors d’une avant-première. Sa voix claire, harmonieuse, émouvante a fait d’Irina, une émouvante Violetta à laquelle le public s’est attaché extrêmement rapidement.

S. NAMOTTE © J Berger – ORW-Liège

Face à elle, Alfredo, chanté par le ténor Dmitry Korchak. Il est amoureux, et même passionné, étrillé par ce qu’il pense être la trahison de son amante, il se montre odieux, repentant et toujours follement épris, et enfin désespéré par la mort de sa belle. La valse folle de ses sentiments s’exprime dans un jeu d’acteur parfaitement émouvant, qui rend son chant encore plus admirable. Sa voix d’une magnifique ampleur projette des aigus éblouissants et les notes les plus graves donnent un relief tout particulier à la mélodie.

La voix aux graves magnifiques et tellement harmonieux de Simone Piazzola a donné beaucoup de relief au personnage de Germont, que ce soit lors de son plaidoyer vibrant pour l’avenir de sa fille, ou lorsqu’il se retrouve bouleversé de remords. Son interprétation y est pour beaucoup pour faire de Germont un personnage vraiment attachant. La belle interprétation d’Aurore Daubrun n’a pas été assez mise en valeur par la mise en scène, et c’est bien dommage car son talent est vraiment indéniable. Nous la retrouverons avec joie dans les « Noces de Figaro » en juin 2025.

L. DALL’AMICO © J Berger – ORW-Liège

Telle une elfe discrète, Marion Bauwens est une Annina au chant d’une grande douceur. Dans son rôle de dame de compagnie, elle porte des costumes sobres, mais elle a néanmoins une belle présence sur scène. Francisco Pittari dans le rôle de Gastone a donné une belle ampleur à son rôle. Pierre Doyen confirme ses excellentes prestations que le public de l’ORW a pu apprécier dans la « Vie parisienne », dans la « Messa di Gloria » et bien sûr dans son rôle de Frédéric (Lakmé). Il avait été présent également dans le rôle d’Escamillo, dans Carmen, lors de la clôture de la saison précédente. Autre habitué de notre scène, Luca Dall’Amico a de nouveau bien servi le rôle du docteur Grenvil, grâce à une interprétation alliant accent profond et douce empathie envers sa patiente. Samuel Namotte, dans le rôle de d’Obigny a livré une interprétation d’une très belle technicité, dans un rôle un peu court. Mais lui aussi, nous le retrouverons plus tard, dans Werther, où il tiendra le rôle de Johann.

F. PITTARI © J Berger – ORW-Liège

Enfin, saluons les belles performances des membres du chœur, Johann Vork, Bernard Aty Monga Ngoy et Marc Tisson. Les chœurs, sous la direction de Denis Segond, se sont montré absolument à la hauteur, donnant toute leur mesure tant dans la partition que dans des jeux scéniques complexes. Ils ont montré une superbe unité et une maîtrise superbe d’un bout à l’autre de la représentation.

Enfin, last but not least, Giampaolo Bisanti, directeur musical de l’ORW, a conduit l’orchestre avec son talent habituel. Il a su faire vibrer le public, en extrayant la moindre nuance de l’œuvre de Verdi. Il a comme toujours obtenu le meilleur des musiciens de la fosse, tout en s’accommodant des nombreuses salves d’applaudissements lancées par le public. Une salle liégeoise absolument conquise par cette production apéritive, qui fut longuement applaudie par un public debout.

L’opéra se donnera jusqu’au 24 septembre 2024, et sera donné en direct le 21 septembre sur La Trois, Musiq3 et Auvio, et en rediffusion sur Mezzo. Pour réserver, c’est par ici.


Opéra, que se passe-t-il une fois le rideau retombé ?