Tout d’un coup, la magie, l’enchantement musical et théâtral disparaissait dans la nuit. L’équipe retient son souffle. Derrière les rideaux de l’Opéra Royal de Wallonie (ORW), à l’abri des regards du public, les chanteurs d’Il turco in Italia attendent le verdict des mélomanes en ce vendredi 21 octobre.  Les premiers applaudissements surgissent, c’est le soulagement.

Hourras, bravos et cris d’extase

Sur la chevelure d’Elena Galitskaïa (Fiorilla), tombant jusqu’à ses sourcils, puis repris plus bas à la hauteur de sa gorge, s’étend des perles de sueur laissant paraitre l’effort fourni pour atteindre autant de brillantes vocalises. Le soulagement est tel qu’on peut voir dans l’obscurité des coulisses les visages éblouissants des chanteurs satisfaits du déferlement de hourras, bravos et autres cris d’extase. Dans la fosse d’orchestre, le séjour dans l’obscurité prend fin pour retourner parmi la foule d’admirateurs venus les féliciter.

Les contes d’Hoffmann © ORW

A la rencontre de Véronique Leroy, assistante de la mise en scène, me dit que « c’est très prenant, on vit un peu H24 dans une bulle, lorsque celle-ci explose c’est le vide ». Première spectatrice et médiatrice entre les chanteurs, d’un rythme lent elle tente d’amener les protagonistes à la vision de Fabrice Murgia (le metteur en scène) qui a souhaité remettre en question le caractère archaïque de la pièce Il turco in Italia de Rossini. « Pousser ce vertige de la mise en abime plus loin en situant l’action sur un plateau de tournage aux allures de Cinecitta sans époque définie » était son souhait. Fiorilla transformée en star du grand écran, son soupçonneux mari Don Geronio devient producteur, le pacha Selim l’invité vedette et le poète un scénariste en mal de copie. Tout cela donne sur scène une époustouflante vitalité.

Fascination et magie de l’opéra

L’Opéra est une machine, une société, une réunion d’artistes, un enjeu politique, une famille, une armée de techniciens et pléthore de métiers d’arts. Du directeur musical Giuseppe Finzi aux costumiers, des chefs de chants aux cadreuses, du réalisateur aux régisseurs. C’est une véritable société au travail qui, comme dans n’importe quelle société a ses rapports de pouvoir, de hiérarchie et son règlement. Mais avec la particularité que le produit est d’une fragilité extrême, chaque soirée est un miracle car le résultat n’est jamais acquis. C’est fascinant, presque magique d’observer que, à chacune des représentations, il y a une quête de perfection que les artistes tentent à chaque instant de posséder. Les grandes voix qui par le pouvoir de leur seule beauté transportent et donnent des impressions irréductibles à tout autre ordre de sensations.

Le magnifique Opéra Royal de Wallonie © ORW

On suit les négociations, pied à pied du metteur en scène Fabrice Murgia avec des chanteurs assez conservateurs qui préfèrent être en ligne de mire plutôt qu’en diagonale, on frémit à l’arrivée sur la scène de l’ORW des deux camions, environ 3 tonnes et autant de problèmes de sécurité. On découvre la course effrénée pour remplacer, à quelques jours de la représentation, deux chanteurs malades et comment la soprane Elena Galitskaïa arrivée en dernière minute afin de substituer l’ancienne Fiorilla, doit apprivoiser le rôle dans sa nouvelle mise en scène. Au milieu d’une dispute, on entend crier Flavia, à la régie, «Maintenant Key 223 » pour rappeler les acteurs à l’ordre.

L’opéra d’aujourd’hui et l’opéra de demain

Cette immersion dans les coulisses permet également de comprendre quel défi se joue aujourd’hui à l’Opéra Royal de Wallonie et dans le monde de l’opéra et du spectacle en général. Secouée par la pandémie, l’institution a été frustrée par l’interdiction des spectacles et les mesures de confinement. Résultat : plusieurs dizaines de soirées annulées, un déficit chiffré à environ quatre millions d’euros et des perspectives sombres pour l’avenir de l’institution. Sans le soutien de l’Etat et des quelques sponsors, l’Opera aurait été acculé à mettre la clef sous le paillasson. Mais un challenge à plus long terme est de rendre attractif l’opéra, de déconstruire les clichés qui lui collent à la peau.

« Le défis à l’heure actuelle est de rendre un souffle de jeunesse à l’opéra. Comment des livrets du 18ème siècle peuvent-ils faire encore écho à ce que nous vivons, nous contemporains du 21ème siècle. Il faut absolument rapprocher l’œuvre du spectateur », témoigne Véronique.  Bien conscientes de ne pouvoir rester figé dans le passé comme d’antiques déesses qui président de loin aux jeux des divinités inférieures, les divas elles-mêmes admettent être contentes de travailler dans des mises en scènes plus contemporaines et ainsi pouvoir prendre des initiatives pour secouer la Belle au Bois Dormant.

Les contes d’Hoffmann © ORW

Moderniser l’institution, inclusivement inscrite dans une réinterprétation du fond plutôt que de la forme, comme c’est souvent le cas, est la clef de la longévité si l’opéra veut pouvoir se frayer une place dans ce monde digitalisé. Car si la délicieuse et inachevée poésie de l’art, restera pour les esthètes une raison suffisante de soutenir l’art lyrique, il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour les novices.

La Belle au Bois Dormant de dort jamais longtemps

Mais pas le temps de penser à ces défis. A l’opéra, la Belle au Bois Dormant ne dort jamais longtemps. Il est jeudi 7h du matin et que ce soit Maria-Teresa responsable des ateliers décors que l’équipe technique avec David, Jonathan, Christophe, Théophile ect… tout le monde se serre les coudes pour monter le prochain spectacle.

Dans deux jours déjà « Placido Domingo » arrive, l’effervescence est à son comble, il faut que tout soit parfait pour cette arrivée. « Bouge-toi ! On est pas là pour se tourner les pouces » crie un technicien. « Par ici, par ici » lance Bruno le régisseur orchestre et hop une tringle avec une effervescence de costumes colorés passe. Lorsque vous entrez dans les coulisses d’un opéra, c’est un joyeux bazar où se mêlent ouvriers en salopette et prima donna à l’allure de fée dragée.


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Dans les coulisses de l’Opéra Royal de Wallonie :