« L’Ambition », interview d’Amélie de Bourbon-Parme
Amélie de Bourbon-Parme nous emmène sur les traces de son illustre ancêtre direct Alexandre Farnèse, devenu pape sous le nom de Paul III, un destin terriblement romanesque et pourtant vrai. Mais comment peut-on être descendante de pape alors que ceux-ci ne se marient pas ? L’auteure nous explique tout.
C’est à Bruxelles, au Cercle royal Gaulois, artistique et littéraire, que Culturius a eu la chance de rencontrer Amélie de Bourbon-Parme qui y donnait une conférence organisée par la revue L’Eventail. Elle y était interrogée par Bosco d’Otreppe, le journaliste de La Libre Belgique, spécialiste de l’actualité religieuse. A l’issue de cette conférence j’ai pu interviewer l’auteure d’un des romans historiques les plus passionnants de l’année et à l’écriture brillante : L’Ambition.
L’Ambition est le premier volume d’une trilogie qui racontera la vie incroyablement romanesque, et pourtant tout à fait vraie, d’un personnage qui a marqué la Renaissance italienne, Alexandre Farnèse. Le nom de la saga regroupant ces trois volumes est : Les trafiquants d’éternité.
Un nom évocateur de la vente des indulgences, ce système de financement des caisses pontificales par lequel on vendait des « accès au Paradis » en octroyant des indulgences, des rémissions des pêchés.
Comment êtes-vous la descendante d’un pape ?
Amélie de Bourbon-Parme: petite j’ai toujours entendu dire que nous descendions d’un pape, mais bien sûr je croyais que c’était un oncle plutôt qu’un ancêtre direct. Mais en fait c’était vrai. La dernière des Farnèse, Elisabeth Farnèse (1692-1766), a apporté le duché de Parme à son mari le roi Philippe V d’Espagne, un Bourbon, créant la branche des Bourbon-Parme. Elisabeth Farnèse était la descendante directe du pape Alexandre Farnèse (1468-1549), qui régna sous le nom de Paul III.
Le célibat des prêtres n’était pas une évidence aux premiers temps de l’Eglise. C’est au Concile du Latran au XIIème siècle que cette règle du célibat des prêtres fut fixée. C’était valable uniquement pour les prêtres, ceux qui ont reçu les ordres majeurs, ce qui n’est pas le cas d’Alessandro Farnèse dans ce premier tome, car il n’est alors que diacre. Même par la suite il y a eu une sorte de tolérance pour certains cardinaux, pour que ne se perde pas leur héritage familial. Il fallait bien sûr avoir une forme de « discrétion » par rapport à ce statut un peu trouble… Alessandro, lui, sera l’homme d’une seule femme.
Dans ce roman vous décrivez une époque très troublée
Amélie de Bourbon-Parme : quand Alessandro est né la Guerre de Cent Ans est achevée depuis seulement quinze ans. C’est une époque de grandes violences et de grands changements politiques. L’Italie n’existe pas encore en tant qu’état national, ce sont des principautés féodales qui forment la péninsule italienne, avec des frontières un peu molles. C’est aussi une chance pour des personnalités ambitieuses comme Alessandro Farnese qui arrivera à créer son propre duché de Parme à la tête duquel il placera ses enfants et ses petits-enfants. Quelques années avant ou après cela n’aurait pas été possible. Il est là au bon moment. C’est une des clefs de ce roman.
Si les Etats Pontificaux sont aujourd’hui un des plus petits états au Monde, à l’époque ils sont beaucoup plus étendus et occupent une partie centrale dans la péninsule. C’est la fin du Grand Schisme d’Occident et les papes n’ont plus d’autorité. Ils doivent reconquérir celle-ci, et leur prestige, vis-à-vis des grandes familles romaines : les Colonna, les Orsini, les Savelli, qui se sont émancipées de la tutelle du pape. Aux alentours des Etats Pontificaux, le Royaume de Naples aussi s’émancipe ; les ducs de Milan, les Sforza, suivent l’exemple; la République de Florence avec les Medicis également. La République de Venise est un des états les plus puissants de l’époque et ne se laisse pas faire non plus. Même les rois de France lorgnent sur la péninsule. Un contexte vraiment bouillonnant et mouvant. La vente des indulgences vient apporter des fonds pour soutenir la restauration de l’autorité du Vatican. Je ne l’excuse pas, j’explique le contexte.
Qui sont les Farnèse par rapport à tous ces grands noms que vous venez de citer ?
Amélie de Bourbon-Parme : une famille de l’aristocratie, mais provinciale. Ils ont des forteresses à la campagne, les rocca, pour protéger les alentours, sur des territoires un peu éclatés. Ce sont des seigneurs provinciaux, avec leurs vassaux et leurs obligés. Le premier personnage important de la famille est le grand-père d’Alessandro, Ranucio Farnèse, un condotierre très valeureux qui a défendu la pape dans les moments qui ont précédés le schisme, et qui a aussi servi la République de Florence. Il va inspirer son petit-fils Alessandro, et cela va poser un problème car ce n’est pas pour cela qu’il est né.
Alessandro est un cadet de famille, il doit donc laisser son grand frère récolter la gloire des armes, et lui doit se consacrer à l’Eglise. Alessandro ne l’entend pas de cette oreille et il va se retrouver précipité dans les geôles de Château Saint-Ange, la forteresse romaine des papes, car son frère aîné a trahi le pape. Le terrible cardinal Giuliano Della Rovere, dévoré d’ambition, n’a pas supporté qu’un Farnèse passe du côté des Napolitains. Il le fait durement payer au petit frère Alessandro.
Alessandro est un rebelle ?
Amélie de Bourbon-Parme : sa volonté première est d’asseoir sa famille, et cette ambition guidera toute sa vie. Il voudra lui donner un « établissement », c’est-à-dire une principauté autour de leurs territoires familiaux, qui soit pérenne. Cette obsession il saura l’adapter aux événements de sa vie. Il finira par créer le duché de Parme, et cela il n’aurait pas pu le réaliser s’il n’était pas devenu pape car il le crée en tant que principauté dépendante des Etats Pontificaux, mais il y fera régner son fils, et puis son petit-fils.
Il n’est point de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va.
Sénèque
Au Château Saint Ange (que je vous recommande vraiment de visiter), alors qu’il est dans les mains du pape et en danger de mort, il va rencontrer deux personnes capitales : la femme de sa vie, et un archevêque qui va lui ouvrir les yeux sur les réalités de ce monde romain, car à dix-huit ans Alessandro est encore très naïf et innocent.
Alessandro va réussir à s’évader de sa geôle où l’on en veut à sa vie et à son honneur, et se refugiera chez sa sœur qui vit à Florence où elle est la femme du grand juriste Puccio Pucci. Cette histoire d’évasion réussie plaira à Laurent de Médicis qui prendra Alessandro sous son aile. Quand Alessandro deviendra Paul III il va entièrement redécorer les appartements de l’étage du château Saint Ange pour en faire des appartements pontificaux, rien à voir avec les cachots humides qu’il a connu dans ces mêmes murs.
On reste pantois devant ces aventures dignes d’une superproduction hollywoodienne !
Amélie de Bourbon-Parme : à 90 % tout ce que je raconte de ce destin exceptionnel est vrai et authentique. Je n’ai pas inventé des choses essentielles qui pourraient trahir l’histoire, le sens et la vérité de ce destin. Alessandro n’a voulu renoncer à rien. C’est un homme qui suffisamment d’amplitude intellectuelle. A Florence il va comprendre que les choses peuvent se concilier les unes avec les autres. Il a le talent d’être proche des gens puissants et de ceux qui sont les plus influents. Il rencontrera à la cour de Florence les plus grands intellectuels de l’époque : Machiavel, Pic de la Mirandole, et Marsile Ficin, le grand philosophe platonicien de ce temps qui cherche à réconcilier l’homme avec la religion, à rebours du rigorisme du Moyen-Age et de la séparation du corps et de l’esprit.
Je n’ai renoncé à rien. Ni au pouvoir, ni à la richesse, ni au savoir, ni à la beauté. Ni à l’amour, ni à ma charge. J’ai laissé à d’autres le soin d’être irréprochables et la folie des regrets.
Pape Paul III dans L’Ambition
Mon interprétation en tant que romancière est que pour Alessandro c’est une véritable conversion à l’idée de ne pas laisser de côté sa vie d’homme. Il n’était pas particulièrement religieux. A la Renaissance on ne rentrait en religion pour se retirer du Monde comme aujourd’hui, mais plutôt pour poursuivre une carrière. On pouvait être très spirituel, avoir le goût du beau, tout en étant un excellent ecclésiastique. Qui peut dire que Michel-Ange, amoureux des formes et des corps, n’est pas un homme spirituel bien qu’il ne soit pas homme d’église ? Alessandro rencontrera aussi Boticelli et tant de grandes personnalités qui nous marquent encore aujourd’hui. Alessandro n’était pas un homme particulièrement austère, mais il avait une forme de spiritualité qui était la plus capable à l’époque de gouverner l’Eglise.
Cette histoire a aussi inspiré Stendhal pour La Chartreuse de Parme. Chez moi il n’y a pas de personnages inventés, même le chien de Laurent de Médicis s’appelle vraiment Bontemps. En tant qu’historienne de formation j’ai fait un grand travail de documentation. J’essaie de ne pas tirer les situations par les cheveux, ça se sent si c’est inventé. Je veux faire passer auprès des lecteurs la proximité que je ressens en tant qu’auteure avec mon personnage. Personnellement je me sens plus proche de mes ancêtres en les étudiant, et je les trouve aussi moins impressionnants en apprenant à les connaître, en les apprivoisant.
Les femmes occupent aussi une place importante dans cette histoire
Amélie de Bourbon-Parme : il y a quatre femmes importantes dans la vie d’Alessandro. D’abord sa mère, Giovanella Caetani qui est la petite-nièce du pape Boniface VIII, celui qui a subi un attentat de la part de l’empereur et est mort d’humiliation. Ensuite sa grande sœur Girolama Farnèse qui vit à la cour de Laurent de Médicis. C’est la grande sœur protectrice. Mais c’est une autre de ses soeurs qui jouera un rôle plus important, c’est Giulia Farnèse que tous les écrivains et les mémorialistes du temps attestent être la plus belle femme de l’époque : Giulia la Bella. Le pape Alexandre VI Borgia en tombe fou amoureux, et Giulia obtiendra de son amant la barrette cardinalice pour Alessandro. En même temps que César Borgia devient cardinal. César est le double inversé d’Alessandro : autant ce dernier est lumineux, autant César est sombre, d’une violence et d’une brutalité qui vont se retourner contre lui.
La troisième femme de sa vie est Constance Farnèse, sa fille aînée, qu’il a eue avec sa maîtresse, Silvia Ruffini, la femme qu’il rencontre au château Saint-Ange, la quatrième femme et le grand amour de sa vie. Il aura quatre enfants avec elle. J’ai voulu quand même fouiller cette histoire qui me semblait trop belle au milieu de toute ces débauches de la Renaissance, mais cette histoire aussi est vraie. Rabelais est le premier à en témoigner. C’est vrai qu’à l’époque on aura tendance à la cacher pour ne pas entraver l’ascension d’Alessandro vers le Trône Pontifical, mais elle fut vraiment son unique grand amour.
Plus personnellement, est-ce qu’Alexandre Farnèse vous plaît, en tant que femme ?
Amélie de Bourbon-Parme : oui, en tant que femme il me plaît, je pense que je n’aurai pas pu passer autant de temps avec lui dans mes recherches si le personnage ne m’intéressait pas et ne me plaisait pas énormément. Il me plaît parce que je trouve que des hommes comme lui il y en a peu, qui savent manier l’intelligence et le cœur avec autant de talent. C’est quelque chose de très rare. J’ai voulu le comprendre, le décrypter, et aussi lui rendre hommage.
Je comprends très bien qu’une femme ait décidé de vivre dans l’ombre à ses côtés et lui a consacré sa vie. Il le mérite.
Allez-vous continuer à explorer cette même période, la première moitié du XVIème siècle ?
Amélie de Bourbon-Parme : j’ai écrit un livre sur l’abdication de Charles-Quint, il y a maintenant cette trilogie autour d’Alessandro Farnèse, toutefois je pense qu’après cela j’irai vers quelques chose de plus contemporain. Mais je garde le mystère sur mes projets futurs.
Je peux quand même vous dire que je suis fascinée par la personnalité de Mazarin, donc pas forcément un ancêtre. Je suis très intéressée par les relations hommes-femmes, notamment celle de Mazarin avec Anne d’Autriche. L’histoire a déjà été fort traitée mais je la trouve très riche dans son ambigüité.
Amélie de Bourbon-Parme, L’Ambition, aux éditions Gallimard, 23 €
Lisez aussi notre article sur La Joconde, un tableau de l’époque d’Alexandre Farnèse.
Amélie de Bourbon-Parme parle de son livre précédent consacré à Charles-Quint, Le Secret de l’Empereur: