Le Barbier de Séville à l’Opéra Royal de Wallonie
Véritable tube, le « Barbier de Séville » de Rossini a été applaudi debout à l’opéra Royal de Wallonie. Tout était réuni pour un spectacle étourdissant : une direction musicale enlevée, une mise en scène et des décors magnifiques, et des voix magiques en parfaite synergie. Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte !
Qui est Rossini ?
Gioacchino Rossini est né en Italie, à Pesaro, en 1792, un an après la mort de Mozart. Il appartient à une famille de musiciens professionnels et montre très tôt des dons incroyables pour la composition. Lorsque sa famille s’installe à Bologne, Rossini intègre le « Liceo Musicale » où il étudie avec le Padre Mattei, l’un des meilleurs maîtres de l’époque. Très jeune, il a assimilé à la fois l’héritage de la ligne de chant italienne et la science musicale de Haydn et Mozart (On appellera Rossini « le petit Allemand » tellement il était fasciné par ces deux compositeurs).
A 20 ans, Rossini est déjà un compositeur reconnu. Dès 1813, il connait le succès grâce à Tancrèdeet L’italienne à Alger. Ce succès le fait entrer sur la scène internationale et il se met alors à composer à une vitesse incroyable. Il a 24 ans quand il compose « Il Barbiere di Siviglia », son opéra le plus célèbre, et l’un des opéras les plus joués de tous les temps.
Pour pouvoir respecter les délais qui lui sont imposés par les directeurs de théâtre, Rossini a sa propre méthode : Il réutilise des passages d’autres œuvres, y compris des passages d’autres compositeurs. On trouve dans le « barbier », des citations de Haydn, mais Rossini s’auto-plagie également. Ainsi, l’ouverture de cet opéra a également servi à Aureliano in Palmira(1913) et Elisabetta, regina d’Inghilterra. Signalons qu’à l’époque, le procédé était courant, et personne ne s’en offusquait.
Rossini voyage beaucoup dans sa vie, en Italie, bien sûr, mais aussi à Vienne, où il rencontre Beethoven, en Angleterre et en France, enfin, où il finit par s’établir. On lui doit une trentaine d’opéras, allant de la farce à la comédie, en passant par la tragédie et l’opéra seria.
A 37 ans, il arrête de composer des opéras pour se consacrer à la composition de mélodies, de musique sacrée et instrumentale, pour son propre plaisir. Il mène alors une vie de bohême, pendant près de 25 ans. Il meurt à Paris en 1868.
Les biographes de Rossini ont sur lui des regards bien différents : hypocondriaque, colérique, dépressif ou joyeux, bon vivant, avec un humour incisif. Un jour, jouant au piano une mélodie de Wagner, il n’en tirait que des sons cacophoniques. Un de ses élèves s’approcha et lui dit : « Maître, vous tenez la partition à l’envers », ce à quoi Rossini a répondu : « J’ai essayé en la mettant dans l’autre sens, c’était pire ». L’histoire ne dit pas ce qu’en a pensé Richard Wagner.
Gastronome averti, on lui doit la rédaction d’un livre de cuisine, et un grand chef de l’époque, Casimir Moisson, donna son nom à sa création : le Tournedos Rossini.
« Il Barbiere di Siviglia »
L’opéra « Le Barbier de Séville ou la précaution inutile » est tiré de la pièce que Beaumarchais avait écrite en 1775.
Avant Rossini, un autre compositeur, Giovanni Paisiello, avait déjà composé « Le Barbier » en 1782. Il avait d’ailleurs connu un grand succès. Ce qui allait occasionner à Gioacchino quelques déboires comme nous allons le voir.
Avec le livret de Cesare Sterbini, Rossini a mis un peu moins de trois semaines pour composer l’opéra. Sa première représentation a eu lieu le 20 février 1816 au Teatro di Torre Argentina à Rome. Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu, et la Première du « Barbier » a été une succession de catastrophes. Gaspare Spontini, un rival de Rossini, a monté une cabale contre lui. Les amis de Paisiello sont venus dans la salle afin de perturber la représentation, le ténor Garcia, avait voulu s’accompagner à la guitare pour sa sérénade à Rosine, mais la guitare était désaccordée, et une corde casse. Il est donc copieusement hué, Rossini au clavecin est chahuté, le chanteur qui joue le rôle de don Basilio trébuche sur scène et se retrouve le nez en sang et pour couronner le désastre, un chat vient se promener sur scène, et tout le public se met à miauler. Un vrai « four ». Dégoûté, Rossini rentre se coucher, mais est réveillé au milieu de la nuit par la foule, venue applaudir un compositeur complètement ébahi.
La deuxième représentation est un triomphe, et le succès du « Barbier de Séville » ne s’est plus jamais démenti.
Le Barbier de Séville, l’histoire
Nous sommes à Séville. Le comte Almaviva a suivi la belle Rosine, rencontrée à Madrid, dont il est tombé amoureux. Malheureusement, la jeune fille est pratiquement séquestrée par son tuteur, le docteur Bartolo, qui veut l’épouser, contre son gré, bien sûr.
Almaviva est bien décidé à conquérir sa belle, et demande l’aide du barbier du docteur Bartolo, Figaro. Bartolo sent bien qu’il se passe des choses bizarres, et il veut épouser Rosine au plus vite. Il est aidé par son ami, le rusé Don Basilio.
Il s’ensuit alors des aventures plus rocambolesques les unes que les autres où Almaviva et Figaro n’auront de cesse de berner Bartolo et Basilio. Entre déguisements, imbroglios, déclarations d’amour, les personnages de l’opéra se poursuivent, s’évitent, se charment, se repoussent à une vitesse étourdissante. Et comme l’amour finit toujours par triompher, le docteur Bartolo assiste impuissant au mariage de Rosine et d’Almaviva.
Les personnages sont néanmoins tout en nuances, ni complètement mauvais, ni complètement angéliques. Figaro met toute sa ruse à berner le docteur Bartolo, afin de réunir les deux amoureux, mais il le fait, poussé aussi par l’appétit de l’or. Don Bartolo, vieux barbon jaloux et imbuvable en bien des points, semble vraiment épris de Rosine. Celle-ci, ingénue au premier abord, est une femme intelligente et redoutablement volontaire.
Chacun est profondément humain, à sa façon, et leurs travers font rire, autant que les situations dans lesquelles ils se retrouvent. Si l’on doit l’intrigue à Beaumarchais, le livret fait rire, et les prouesses de la composition musicale nous entraîne dans un tourbillon d’émotions parfaitement exprimées.
Le Barbier de Séville sur scène
La mise en scène de Vincent Dujardin est « classique », dans tout ce que ce terme a de noble. Les chanteurs sont plus que cela, leurs jeux d’acteurs sont parfaits, on s’amuse vraiment de leurs mimiques, on ressent leurs émotions, on aime avec Rosine et le comte Almaviva, on a envie de jouer un mauvais tour au docteur Bartolo, de faire un croche-pied à Don Basilio, on espère, on s’insurge. C’est étourdissant, puissant, émouvant.
Les décors et les costumes de Leila Fteita accueillent et habillent l’intrigue de façon remarquable. Nous nous retrouvons dans la Séville des années 50, avec le comte Almaviva qui passe de l’élégance, aux déguisements les plus farfelus. Quand Figaro arrive en Vespa, on oublie qu’il est né au XVIIIème siècle. Les ruelles de Séville sont magnifiques, et le décor se transforme au fil de l’intrigue, on entre de plus en plus dans l’intimité de la demeure de Bartolo, comme si le public participait aux manœuvres de Figaro et Almaviva, afin de libérer Rosine. Bruno Ciulli confirme son talent avec des jeux de lumière qui épousent étroitement l’intrigue.
A part Mirco Palazzi, tous les chanteurs se produisent pour la première fois à l’ORW. Le ténor Ruzil Gatin est un comte d’Almaviva parfait. Son timbre est clair, sa voix puissante, et sa technique du Bel Canto est impressionnante. Les ornements qui enrichissent ses airs sont parfaitement dosés. Ils servent les émotions de la façon la plus convaincante.
Chiara Tirotta nous a fait profiter de sa voix souple, ample. Elle aussi maîtrise parfaitement ses ornements, sa voix se promène avec aisance sur la gamme, sa chaleur touche les auditeurs. Pablo Ruiz, bien qu’un peu jeune pour être un « barbon » a été irréprochable, et hilarant dans « a un dottor della mia sorte », l’air de la calomnie de Mirco Palazzi a été un moment fantastique, on ne pouvait rêver meilleure interprétation.
Et enfin, Marcello Rosiello dans le rôle de Figaro, a endossé un rôle sans doute créé pour lui. Vif, dynamique, amusant, il a été plus que convaincant dans le fameux « Largo al factotum ». Dommage qu’Eleonora Boaretto n’ait chanté qu’un seul air solo, car elle l’a interprété avec une grande maîtrise, et sa voix est délicieuse.
Ivan Thirion, dans le rôle de Fiorello a également une technique très intéressante, et une belle basse profonde, qu’on se réjouit de retrouver dans Carmen. Et on a retrouvé avec un très grand bonheur, Giampaolo Bisanti à la direction de l’orchestre. Il a dirigé la partition avec énergie et passion. On l’attend toujours avec impatience, et il est la parfaite illustration de l’expression « de main de maître ».
« Le Barbier de Séville, de Rossini »
A l’ORW du 18 au 26 octobre 2023 à l’ORW
Au Palais des Beaux-Arts de Charleroi : le samedi 4 novembre
En direct sur Musiq3 : le 28 octobre à 20h00. Pour réserver, c’est ici.
Lisez aussi sur Culturius la critique de l’opéra Idomeneo à l’Opéra Royal de Wallonie.