Le Sommet des Dieux, entre ego et dépassement de soi
Le Sommet des Dieux est un film d’animation français réalisé par Patrick Imbert, qui adapte le manga éponyme de Jirō Taniguchi et Baku Yumemakura. Il a reçu le César du Meilleur film d’animation en 2022. Il nous fait se poser la question suivante : pourquoi vouloir aller toujours plus haut ?
Le récit suit le photo-reporter Fukamachi qui essaye de retrouver Habu Jôji, un ancien alpiniste prometteur. Il est convaincu de l’avoir vu avec un appareil photo qui appartenait à George Mallory, potentiellement le premier homme à avoir réussi l’ascension de l’Everest en 1924. Fukamachi veut à tout prix connaître l’histoire de ces aventuriers et comprendre ce qui les pousse à escalader le sommet des dieux.
Un monde immersif
L’esthétique est unanimement saluée par les critiques. Les dessins sont justes et la bande sonore au service de l’image. Le vent siffle dans les hautes altitudes et la montagne gronde. L’image, le cadrage ou encore le montage, rendent parfaitement compte de la petitesse de l’homme face à l’immensité de la nature, ainsi que de la technicité et des difficultés propres à l’alpinisme.
Des effets visuels puissants viennent soutenir les émotions ainsi que les sensations des personnages. À titre d’exemple, une marée de rouge s’empare progressivement de l’image pour représenter les maux de tête et les nausées dus à un manque d’oxygène en très haute altitude. Ce rouge devient étouffant, même pour nous spectateur. Il n’y a plus que cette douleur intense et omniprésente. L’immersion est totale.
Le récit est ancré dans un monde d’hommes. Il n’y a qu’une seule femme, présente uniquement pour parler de son frère et d’Habu. Peut-être deux femmes, si l’on compte une alpiniste en arrière-plan dans un bar. Est-ce que cela est dû à l’adaptation du manga ou aux choix découlant de la réalisation ? Quoiqu’il en soit, les femmes ne trouvent pas leur place dans ce film d’animation, un problème malheureusement récurrent au cinéma.
Des valeurs poussées à l’extrême
L’exploit existe dans l’individualisme. Il s’agit bien d’un seul homme face à la nature. Habu est un formidable grimpeur, mais il n’a jamais réussi à prouver sa valeur en solitaire. Ce récit s’intéresse au sort des « perdants », aux éternels seconds et à leur ressenti. Heureusement, les valeurs d’entraide, d’apprentissage et de partage autour d’une passion commune sont aussi au cœur du film. Mais elles peuvent être mises à mal si un personnage recherche la reconnaissance, et surtout la gloire.
La tagline résume bien le cœur du récit : « Marcher. Grimper. Grimper encore. Toujours plus haut. Et après ? ». Quel est l’intérêt d’être le premier, d’avoir la reconnaissance d’autrui, de toujours continuer à se dépasser pour chercher le meilleur de soi ? Ces questions touchent tout le monde. Habu rêve de gravir des sommets. Le journaliste Fukamachi veut absolument connaître la vérité historique pour créer du sensationnel.
L’Homme versus la Nature
L’homme se confronte à la nature, un adversaire redoutable, à croire que l’on voudra toujours la dominer. Mais la nature n’est pas à portée humaine. Le titre du film – Le Sommet des Dieux – le sous-entend. Alors pourquoi vouloir le gravir ? Est-ce une question d’ego ou de dépassement de soi, de détermination ? Le film amène, à mon sens, des éléments de réponses en exposant avec sobriété l’état d’esprit des aventuriers et les dangers auxquels ils sont confrontés.
Nous ne sommes pas conçus pour survivre à une pareille altitude. C’est clairement imagé et énoncé dans le film. Ainsi, quand Fukamachi prévient Habu de la dangerosité de son défi, Habu lui répond tout simplement que si cela ne l’était pas, ça n’aurait pas d’intérêt ! Le Sommet des Dieux présente un joli parallèle avec le mythe d’Icare. À force de vouloir monter, on finit par tomber. Avalanche, chute, coups, froid, la montagne est dangereuse. Mais nous continuons à vouloir nous mesurer à la nature, inlassablement.
Le Sommet des Dieux est un film d’animation soigné, qui nous fait voyager et où l’on retient son souffle. Surtout, le récit ne se limite pas à décrire le monde de l’alpinisme mais vient nous interroger dans ce qui nous pousse à vivre.