Le Surnateum est un lieu unique et rare qui tient à la fois de l’antre du magicien et du cabinet de curiosité, une collection privée ayant trait au surnaturel, une des plus importantes au Monde, et elle se trouve à Bruxelles. Soulevons ensemble le voile, que dis-je, le suaire, qui recouvre une réalité non ordinaire. L’ouverture d’esprit n’étant pas une fracture du crâne, ne vous prenez pas trop la tête et laissez-vous planer doucement dans un monde aux parfums envoûtants d’aventure et de mystères, de camphre et d’encens, de violettes et de roses.

Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable, que depuis que Prospero a brisé sa baguette magique dans La Tempête de Shakespeare, il est interdit aux initiés d’utiliser leurs pouvoirs magiques, sauf dans des conditions exceptionnelles. Cela n’a pas découragé Christian Chelman, grand magicien et illusionniste de réputation internationale, spécialiste du close-up et de la cartomagie, du mentalisme et de la magie bizarre, à dépasser son expertise de la magie de divertissement et à se passionner pour toutes les magies, même les plus sombres, fort éloignées des feux de la rampe hollywoodiens qu’il ne connaît que trop bien.

Christian Chelman ©Carl Gibson

Christian Chelman est l’initiateur et le Conservateur du Surnateum, chasseur d’objets rares et insolites, chargés de puissances occultes démoniaques ou d’énergies diverses, de malédictions ou de prières.

Pénétrer l’antre du Magicien n’est pas donné à tout le monde, aussi est-ce muni d’une introduction que j’ai frappé à la porte du temple du surnaturel. Le Conservateur préfère en effet éviter les allumés et les illuminés, les curieux morbides et les parents en mal d’amusement pour leur marmaille, et tout simplement les incultes imperméables au surnaturel. Il n’envisage pas sa passion pour le surnaturel comme une croyance, mais plutôt comme une possibilité parmi d’autres, qui mérite d’être considérée avec autant de respect qu’une autre. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ? Christian Chelman ne tranche pas mais penche plutôt pour la poésie. Écoutons-le : « C’est ma position, mon regard, qui va décider si je suis un magicien ou pas. Je préfère la version poétique que l’autre, terre-à-terre. La magie pour moi, que j’étudie depuis un sérieux bout de temps maintenant, est en partie l’œil que l’on a, la vision portée sur le Monde. Est-ce que nous avons un œil lié à notre imagination et à notre imaginaire, ou est-ce que nous avons une vision fermée des choses, telle qu’on nous oblige à l’avoir ? L’intérêt du Surnateum est d’offrir plusieurs visions qui sont toutes aussi cohérentes les unes que les autres. ».

Étant lui-même une référence en la matière, et toujours prêt à transmettre ses connaissances et à présenter ses collections au néophyte interrogateur, il ne craint ni la contradiction ni les rationalistes, mais je le soupçonne de préférer les esprits frappeurs aux esprits forts. Si la curiosité malsaine t’amène ici, va-t-en ! Mais si tu veux t’instruire sur les traditions passées et en apprendre plus sur les profondeurs de l’âme humaine, alors entre et écoute. Voilà l’avertissement que personnellement j’aurai mis sur la porte, au demeurant fort discrète, du Surnateum.

Notre temps à tous étant précieux Christian Chelman préfère ne pas le perdre en vaines arguties. C’est vous dire l’honneur qu’il m’a fait en m’accordant une visite de six heures et demie. Seule la bienséance m’a poussé à quitter le Maître de maison et sa charmante épouse pour les laisser respirer, tant l’érudition du Conservateur est une source vive de connaissances ésotériques. J’en suis ressorti avec plus de questions que de réponses, ce qui en soi est un plaisir rare.

©surnateum

La maison de notre hôte se présente comme une progression en trois temps, à trois niveaux. Au premier étage le cabinet de curiosités rares mais malgré tout connues de la culture populaire, ce sont les Mirabilias et Surnaturalias. Au second étage se trouve la bibliothèque ésotérique et spéculative, lieu d’études historiques et ésotériques. Au troisième, la reconstitution de lieux magiques comme un autel vaudou, un grenier presque opératif où l’on pourrait exercer la magie pour peu qu’on en connaisse les arcanes.

Le premier étage du Surnateum, donc, est un incroyable bric-à-brac, fruit d’une vie de recherches d’objets liés au surnaturel. Comme pour tout magicien, et parce que Christian Chelman est connu dans ce milieu, avec le temps les objets se mettent en mouvement et arrivent tout seuls, comme par magie, dans sa collection. Est-ce lui qui les fait venir par son pouvoir d’attraction, ou eux qui se dirigent vers lui, attirés par l’expert collectionneur qui les aimera sincèrement et les reconnaîtra à leur juste valeur ? L’important n’est-il pas que la rencontre se fasse entre l’amateur et l’objet de sa passion ? Au Surnateum, nous sommes face à un télescopage inouï de ce genre de rencontres improbables. Je ne peux tout décrire, il me faudra donc faire un choix de quelques objets parmi la multitude.

Premières éditions de Dracula

À tout Saigneur tout Honneur, commençons par le comte Dracula. Mon sang roumain n’a fait qu’un tour en voyant les premières éditions du célèbre roman, l’édition anglaise de couleur jaune, et une édition américaine en rouge. « Si je fais une exposition sur les vampires ce serait aberrant de ne pas avoir les éditions originales », explique le Conservateur qui est un expert en vampirologie.

Il a d’ailleurs écrit un ouvrage passionnant sur l’origine historique des vampires au XVIIIème siècle, L’Hypothèse Vampyrique, dans lequel il relate les témoignages des autorités locales de l’époque, en Serbie ou en Grèce, ainsi que les réactions du pouvoir politique au plus haut niveau, avec la réfutation officielle du vampirisme qui fut faite par l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche sur base du rapport de son médecin personnel le docteur Gerard van Swieten. Tout cet ouvrage se base sur les publications d’époque que Christian Chelman collectionne au Surnateum avec application pour éviter d’être induit en erreur par de mauvaises traductions ou des modifications ultérieures des textes originaux. Son ouvrage est traversé donc d’une indéniable rigueur historique car il ne s’attache qu’aux faits et aux rapports de l’époque, un temps pendant lequel les gens croyaient fermement à l’existence des vampires.

Matériel de lutte contre les vampires ©surnateum

La collection est enrichie de plusieurs Coffrets de lutte contre les vampires, contenant l’arsenal complet du parfait chasseur de vampires. Mon guide sait très bien faire la différence entre les faux coffrets de cinéma et les authentiques, leur contenu devant avoir un sens précis. Le pistolet par exemple doit être protégé contre les sorts par des inscriptions.

On voit aussi une belle reconstitution en bois de L’Abbaye de Carfax que, dans le roman, Dracula achète à Londres. Cette abbaye est réalisée par un artiste belge selon la description du livre car elle n’existe pas dans la réalité.

Statuette d’Envoûtement et Tablette d’Exécration égyptiennes

Dans une vitrine le Conservateur du Surnateum me montre une Tablette d’Exécration, dite aussi Tablette de Défixion, d’origine égyptienne. C’est une tablette sur laquelle est gravé un envoûtement, ou une malédiction, destiné à nuire à une personne ou même à un animal, ou au contraire à s’attirer les grâces de l’être aimé. Très répandues dans le Monde Antique, elles furent souvent réalisées sur support de plomb, métal froid et sombre qui est lié aux mondes cachés et infernaux, et qui résiste aux outrages du temps pour garder une action éternelle. Celle-ci est plus rare et a été étudiée en détails par l’Université de Heidelberg.

À côté se trouve une inquiétante Poupée d’Envoûtement égyptienne avec encore des cheveux humains à l’intérieur. 

Sur la table trône un magnifique Crâne de Serment de la Sainte-Vehme. Lorsque le pouvoir central dans l’Empire allemand s’est affaibli et divisé en Westphalie au XIIIème siècle, la Sainte-Vehme fut créée comme tribunal de substitution, pour pallier aux carences de l’Etat. Ses jugements étaient expéditifs : l’acquittement ou la mort, avec exécution immédiate.
Ce crâne est gravé du carré magique, ou Carré Sator. Ce quadrillage de 25 lettres puise ses origines dans l’Antiquité, le plus ancien carré connu a été découvert à Pompéi. Ses significations sont multiples, je vous renvoie à l’internet pour les étudier. Toujours présent dans l’actualité, il est un élément important du film Tenet sorti en 2020.

Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, interdit la Sainte-Vehme en 1811. Ce crâne devient par la suite un objet de nécromancie. Pour obtenir des morts une réponse à nos interrogations terrestres, on écrit la question avec une encre spéciale qui contient du lierre, sur une feuille de lierre elle aussi, que l’on dépose dans le crâne. La réponse vous arrivera la nuit en rêve, technique typique de la nécromancie grecque, qui avait des espaces dédiés à cela, le nécromantéion. Je demande à Christian Chelman : l’avez-vous testé ? « Non, me répond-il, je n’ai pas de question spéciale à poser ». Moi bien, mais ce sera pour une prochaine fois peut-être.

Le Conservateur possède aussi un Crâne de Pan, fabriqué artificiellement celui-là, avec des cornes. Il a la même fonction nécromancienne, mais pour que ça marche, il faut dormir sur une peau de mouton, évidemment.

Pour les contacts avec les morts Christian Chelman a pu se procurer une véritable Table spirite qui aurait servi au célèbre Allan Kardec, mais la table tourne actuellement pour une exposition à Lyon. Il y a aussi bien sûr au Surnateum une belle collection de jeux anciens de Oui-Ja et de Tasses de Divination. Il possède aussi une série de photomontages d’ectoplasmes du XIXème siècle qui sont supposés apparaître lors de manifestations spirites. Le Conservateur possède d’ailleurs un Faux Pouce en métal duquel les illusionnistes étaient capables d’extraire de la gaze d’une longueur de deux mètres, faisant croire à un ectoplasme. Mais il possède aussi une vraie photo d’ectoplasme pour laquelle les spécialistes des photos du passé n’arrivent pas à trouver de trucage.

J’aime beaucoup la petite Doctor Lady, une poupée chinoise en ivoire représentant une femme nue allongée. Ainsi, la dame chinoise pouvait-elle indiquer au médecin sur le corps de la poupée l’endroit qui lui faisait mal, sans devoir se déshabiller devant un inconnu. Sur la bourse qui la protège, on retrouve le symbole Shou, qui représente la longévité.

Doctor Lady chinoise

À côté se trouvent de très belles Lunettes sombres en cristal de roche, originaires aussi de la Chine des années 1850. Ce sont des lunettes que portait le médecin privé de l’Empereur, par déférence, pour ne pas être symboliquement ébloui par l’éclat resplendissant du Souverain du Céleste Empire. Cang-Jie, médecin et astrologue de l’empereur, avait deux pupilles dans chaque œil. Ses successeurs, bien plus tard, auraient mis des lunettes sombres pour éviter qu’on ne les regarde dans les yeux, sans quoi la superstition disait qu’ils mourraient. Il avait aussi deux paires d’yeux, pour voir les secrets de la Terre et ceux du Ciel.

Parmi d’autres objets magiques chinois, on trouve le Plastron de tortue, c’est un oracle Shan, on fait brûler la carapace de la tortue et on lit les fissures qui s’y dessinent. Ou des Amulettes Yi-King qui favorisent la naissance des garçons.

Une vitrine entière est consacrée aux Gadgets et Instruments du KGB, appareils photographiques, micros ou armes miniaturisés. Dans une autre on trouve une patte griffue de Krampus, le monstre mi-chèvre mi-démon qui punit en Europe Germanique les enfants qui se sont mal conduits. Une étagère est consacrée au Golem, avec là aussi, une édition originale. Des photos de Navires maudits et échoués ornent les murs et le Conservateur connaît sur ce sujet des histoires bien effrayantes à ne pas écouter avant de partir en croisière de détente.  Une Boîte de Magie emplie d’objets appartenant aux plus grands magiciens du monde fait sa fierté. Chelman les a affrontés et lorsqu’il a gagné contre eux en les bluffant avec son tour, leur gage était qu’ils lui offrent un objet de magie leur appartenant. La valise déborde.

Il y aussi le Costume de Barbie de 1840. Il fut acheté par notre hôte et bien documenté par rapport à son origine et son année de confection, or ce costume convient au millimètre près aux mensurations d’une Barbie moderne de 1965, comme s’il avait été taillé pour elle. Comment une couturière a-t-elle pu réaliser ce costume avec 125 années d’avance ? C’est une aberration temporelle. Aucune explication n’est vraie, ni fausse, seule l’imagination est au pouvoir.

Masques Dan de Côte d’Ivoire, celui de gauche avec quatre yeux

Dans la merveilleuse bibliothèque à l’étage du Surnateum on trouve deux Masques de devins Dan de Côte d’Ivoire, le devin et sa femme. Lui a 4 yeux car il voit la réalité ordinaire et celle non-ordinaire. Dans le grenier je découvre un très rare Costume de Chaman Népalais. Plus loin se trouve un Costume de Dozo, d’Afrique de l’Ouest. Les Dozo sont une société secrète en charge des chasses, ayant aussi une grande influence politique. Les femmes peuvent en faire partie une fois ménopausées. Chaque déchirure du costume est précieuse car elle raconte une histoire, comme un livre. On ne le rapièce jamais, on le porte jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux. L’Autel Vaudou est très impressionnant et très authentique, réalisé selon les règles de l’art.

Notre conversation s’achève au jardin autour d’un bon café et d’une collection de gâteaux très concrets et éminemment délicieux, dont l’apparition n’est pas le fait du Saint-Esprit mais des bons soins de Madame Chelman. Celle-ci, à son tour saisie de la passion collectionneuse de son mari, a rassemblé un bel ensemble d’objets du XIXème siècle formant le cabinet particulier d’une demi-mondaine de l’Époque victorienne.

J’interroge naïvement le Conservateur: « N’avez-vous pas peur d’être entouré de tous ces objets dont certains sont peut-être fort chargés d’énergies inconnues ? »

Christian Chelman rit : « Non, je ne m’en inquiète pas, il y a aussi tellement de protections de toutes sortes dans cette maison que je ne me sens pas du tout en danger ! »

Il ne me reste alors qu’à souhaiter Longue Vie au Surnateum et à ceux qui l’habitent !

Pour le visiter, c’est uniquement sur rendez-vous : https://www.surnateum.com

Avec Christian Chelman nous avons visionné le film fidèle au roman « Dracula » Le dernier voyage du Demeter et nous vous donnons nos impressions.