Lee Hallyday, Retour sur un destin d’exception
Le 5 septembre 2023, un Américain vivant à Marseille s’éteint paisiblement dans son sommeil. Né Lemoine Gardner Ketcham, il choisit le nom d’artiste de Lee Halliday en 1952 avant que ce patronyme, avec un y, ne devienne illustrissime… Examinons d’un peu plus près le parcours d’un personnage essentiel du monde du spectacle.
Deux rencontres décisives pour Lee Hallyday
Chanteur et surtout danseur, Ketcham naît à Sapulpa, Oklahoma, le 25 décembre 1927. Un jour pas comme les autres : celui de Noël, comme pour donner le « la » d’un destin pas banal. Sans retracer toute sa vie, on relate ici certains éléments trop souvent passés sous silence.
C’est à Londres, en 1949, qu’il joue dans une fameuse comédie musicale de Rodgers et Hammerstein… Fun fact : elle s’appelle Oklahoma !, son État de naissance.
Dans un hôtel miteux, petit incident : il suscite une explosion en manipulant un réchaud à gaz, au printemps de cette année-là. Et il fait la connaissance d’un adorable petit gamin français de six ans : Jean-Philippe Smet, résidant dans le même hôtel avec sa tante Hélène Smet née Mar – la sœur de son père belge Léon qui s’est barré – et ses deux cousines : Desta et Menen, filles d’Hélène (vous suivez toujours ?). Ce sont deux danseuses.
Jean-Philippe a éclaté de rire face à l’incident qui aurait pu être grave…et Ketcham tombe amoureux de Desta. Un jour, un destin qui frappe à la porte…
Autre fun fact : Jean-Philippe, un enfant de la balle et bientôt globe-trotter avec sa famille d’artistes, apprend le solfège sous la direction de sa tante Hélène, avec la méthode… Lemoine ! Sa première apparition sur scène date de cette époque, à Londres, dans la pièce de Camus Caligula… où il arbore une black face, qui ne choque personne à l’époque. Ses deux cousines Desta et Menen l’accompagnent en dansant.
Débuts d’une vie d’artiste
Retour momentané à Paris en juillet 1949, dans un très modeste logement sis rue de la Tour-des-Dames. Quelques spectacles de danse par le trio Desta, Menen et Lee Hallyday avec Jean-Philippe qui les accompagne, sans scolarité possible : des cours par correspondance. Et puis le trio parcourt l’Europe au gré des contrats, avec une date-clé…
Il échange un jour un violon contre une guitare et il montre des dispositions évidentes pour la musique, chant compris.
Le nom Halliday arrive
Le 18 avril 1952, quelques spectacles commencent au Don Rodrigo à Milan. Mais Menen est partie, un nouveau nom s’impose : Lee pense à son médecin de famille, John Halladay. Ainsi qu’aux vacances : holidays… La contraction des deux termes donne Haliday.
Retour à Paris, spectacles en France (Paris, Cannes) puis dans divers pays d’Europe. Comme Lee, Jean-Philippe arbore un costume de cow-boy : sa fascination de l’Amérique commence tôt. Première apparition télévisée comme chanteur, à l’Atlantic Palace de Copenhague, en juin 1956.
Les débuts de Johnny
De retour à Paris, à la fin des années cinquante, Lee ne danse plus et vend des assurances, notamment aux soldats des bases américaines situées aux alentours de Paris.
Lee s’improvise manager – le tout premier – de Jean-Philippe, devenu Johnny Halliday. Le 30 décembre 1959, apparition historique dans une émission de radio – et non télévisée comme on l’écrit parfois : Paris Cocktail.
Avec un copain guitariste, Philippe Duval, il chante une adaptation française de Party signée Pierre Mendelsohn, le boss de l’émission. On connaît la suite : deux auteurs de chansons en…vogue, Jil et Jan, sentent le potentiel du jeune rocker.
Février 1960, il est engagé par les disques Vogue et pris en main par un ex-photographe de jazz devenu directeur artistique : Jacques Wolfsohn. Dans ses premiers disques, son nom apparaît souvent comme compositeur.
Lee ne fait pas encore partie du monde du disque et Wolfsohn gère tout sur le plan artistique, avec selon Lee Hallyday – dans son livre dont il sera question plus loin – «son je-m’en-foutisme habituel».
Quelques erreurs XXL que Lee Hallyday n’aurait jamais laissé passer, comme cet incroyable Not Get Out (au lieu de Don’t Get Out !) ou cet accent épouvantable sur le slow Oh Oh Baby, ce dernier sur son premier disque…
Johnny en anglais sous la direction de Wolfsohn, cela ne le fait pas et même pas du tout. C’est là que la présence de Lee aurait été indispensable mais on ne retient que les titres en français. Avec Souvenirs, Souvenirs qui devient son premier vrai tube en 1960, une des nombreuses réussites totales de l’époque Vogue.
De Halliday à Hallyday
On a souvent glosé sur le passage de la graphie avec «i» à celle des deux «y».
Le 6 mars 1979, Lee explique cette transition involontaire dans sa seule interview belge connue : celle d’Eddy Przybylski dans La Dernière Heure… le seul média papier belge national à avoir publié un article à la mort de Lee. Grâce au même Przybylski, par ailleurs un des rares vrais grands biographes crédibles de Johnny.
Lee Hallyday – devenu Hallyday lui aussi à la suite de son poulain – attribue cela à une erreur de journaliste. On a parlé d’une erreur graphique sur le tout premier contrat, ou lors de l’impression de la première pochette de disque…
Voici une preuve visuelle assez saisissante. La toute première affiche de l’artiste…avec «i», promptement rectifiée en «y» !
Toutes les deux rarissimes bien entendu, avec une photo iconique d’André Nisak, dont les clichés des premiers disques de Johnny ont puissamment contribué à forger une image-choc propre à frapper de plein fouet les imaginaires juvéniles ! Ce qui ne manque pas de se produire, en rebutant voire en effrayant les adultes dans un premier temps, y compris les artistes établis.
Lee Hallyday, son vrai (rock and) rôle
En fait, Lee tient un rôle essentiel mais un peu informel au départ dans l’ascension fulgurante de son poulain, dont il est un peu le père adoptif. Même si on peut dire, je pense, que les deux se sont en fait adoptés l’un l’autre en ce jour essentiel du printemps 1949, à Londres.
Septembre 1960, et la fameuse série de shows à l’Alhambra Maurice Chevalier à Paris. Lors d’une répétition, Johnny tombe mais il se relève en tenant sa guitare et en n’arrêtant pas de chanter. Lee lui conseille de garder ce gimmick de scène, qui déchaînera les passions au-delà de tout !
La gloire
Après une première courte période avec l’impresario Georges Leroux, Lee laisse le jeune artiste explosif aux mains d’un autre professionnel chevronné, un autre Johnny : Stark.
Les shows et les succès s’enchaînent à toute allure, au rythme du rock. Grand psychodrame à l’été 1961 lorsque Johnny décide de quitter Vogue, faillit signer chez Barclay mais la firme Philips remporte la (toute grosse) mise avec sa prise… Celle du jeune roi du rock français, Johnny.
Les autres jeunes rockers français les plus en vue ont pris un pseudo américain : l’ami Eddy Mitchell, et le nouveau rival venu de Nice : Dick Rivers.
Mais alors que le nom de leur groupe est français – respectivement les Chaussettes noires et Chats sauvages, les deux groupes du genre les plus populaires – Johnny fait croire à une fable ridicule.
Il se fait passer, lors de l’époque Vogue, pour un jeune Américain, né à Tulsa, dans l’Oklahoma ! On ne sait qui a vraiment cru à ce bobard, à part quelques teenagers naïfs.
En 1961, après avoir renié cette sottise correspondant à des temps innocents, il garde cependant un nom anglais pour ses accompagnateurs : les Golden Strings puis Golden Stars. Lee le suit de près.
Septembre 1961 à Londres
Bien avant tous les autres jeunes artistes de cette mouvance, Johnny y enregistre. Lee Hallyday est présent, même si les maîtres d’œuvre de ce premier album Philips, enregistré avec des musiciens anglais de haute volée, sont deux Anglais (Jack Baverstock et Harry Robinson).
Ce n’est qu’en 1963 que la mode d’aller enregistrer à Londres s’impose auprès des jeunes vedettes. Mais dès 1962, Johnny va encore plus loin (dans les deux sens du terme), en enregistrant du rock and roll classique, en anglais, à Nashville… Avec encore un accent mais infiniment plus potable qu’en 1960 chez Vogue : les progrès sur ce plan sont foudroyants.
Les spectacles
Au début des années soixante, de nombreux shows de la toute jeune star engendrent des troubles, émeutes, de la casse – ce qui entraîne des annulations. Un point culminant : la première série de spectacles à l’Olympia, en septembre 1961. Changement de look, avec de rutilants smokings bleu nuit à paillettes.
Lors d’un voyage, sans Johnny, dans son pays natal, Lee découvre un rythme qui fait fureur : le twist ! Il ramène notamment le tube Let’s Twist Again par le roi noir du genre : Chubby Checker. Johnny le chante en français puis en anglais : son premier disque d’or !
Une photo rarissime de cette époque du twist : Lee Hallyday en spectateur d’un show déchaîné du rocker !
Tirée de la revue allemande Star Club News. Et le twist, avec des danseuses comme aux années formatrices encore proches, les Hallyday Dancers, est le clou du spectacle de l’Olympia 61. Lee y est pour beaucoup.
Triomphe sur toute la ligne… même si Johnny reniera la mode du twist, selon lui une forme affadie, abâtardie du rock and roll. Le public s’élargit, des adultes finissent par adhérer au phénomène. Cela continue à la fin de l’année, avec le succès retentissant de la tendre ballade Retiens La Nuit, signée du duo Aznavour-Garvarentz.
Octobre 1962 : deuxième série de shows à l’Olympia
Là où les chanteurs établis donnent des récitals, Johnny fait le show. L’aspect visuel est aussi essentiel que la musique et Lee y est pour beaucoup. Lee amène une idée de chorégraphie, pour intensifier la portée du spectacle de l’Olympia 62. Pour l’adaptation de Trouble d’Elvis, La Bagarre, Lee imagine une scène de bagarre entre la star et des malfrats…dont Lee lui-même ! Lee officie souvent comme présentateur des shows Johnny Hallyday.
Un des plus gros succès de Johnny en ces années magiques pour certains : L’Idole des Jeunes, une magnifique ballade à laquelle on l’associe immédiatement. Johnny est maintenant une idole. Ces années deviennent le temps des copains – suite à l’émission et au mensuel Salut les Copains – et aussi le temps des idoles.
Mais qui a glissé le disque original dans les blanches mains de Johnny, en lui recommandant de s’y coller en français ? Teenage Idol, par Rick Nelson… Lee, encore et toujours.
Lee Hallyday Producteur
On met le turbo pour la suite, faute de place. Personne n’a souligné à son décès que Lee n’a pas seulement été le mentor artistique de Johnny, et plus ou moins un père de substitution. Il est engagé comme producteur chez Philips. Ce qui est piquant : il ne commence à être enfin crédité sur les disques de Johnny qu’en 1967 !
Sur l’album Johnny, aujourd’hui rebaptisé Johnny 67.
On doit regarder à droite : on mentionne Lee avec les musiciens anglais Micky Jones (guitariste) et Tommy Brown (batteur), avec Giorgio Gomelsky,déjà à la manœuvre pour l’album précédent, mais sans mention de Lee Hallyday !
En 1968, Lee, avec Johnny, valide le choix, pour la pochette de l’album Rêve et Amour, de la future star anglaise du graphisme et de la peinture, Paul Whitehead. Whitehead se souvient très bien de Lee, comme il me l’a confié pour ma chronique sur lui parue dans Culturius, dans laquelle Paul Whitehead nous révèle les secrets de ses pochettes d’albums pour la toute première fois.
Le premier crédit de Lee lié à Johnny apparaît sur le premier EP (45 tours quatre titres) de son fantastique groupeJoey and the Showmen. Il s’agit d’un texte de présentation cosigné Lee et Johnny.
Ce groupe accompagne Johnny lors de sa série absolument mythique de ses shows à l’Olympia de février 1964. Et ce point d’orgue de sa carrière est la conclusion d’une biographie intitulée Lee Hallyday Raconte Johnny, paru chez Union Générale d’Éditions en mai 1964, donc à l’époque de son incorporation militaire.
Des propos retranscrits par un certain Michel Beaugency, qui donnent un récit infiniment précieux des jeunes années de la star, malgré certaines incohérences. Pas un mot sur l’erreur de patronyme artistique et Lee rebaptise les Hallidays : les Hallydays ! Alors qu’il confirme pourtant une erreur à Eddy Przybylski, dans l’interview mentionnée plus haut, cela quinze ans plus tard.
Mais Lee et Johnny sont déjà responsables de la carrière d’une toute jeune chanteuse marocaine, découverte en juin 1962 lors d’un show triomphal à Casablanca : son nom d’artiste, Malika. Lee signe les notes au dos de la pochette de son deuxième disque (1963). En 1968, elle est rebaptisée Tina et avec une autre équipe, elle démontre un talent hors norme et inoubliable : c’est une autre histoire mais c’est Lee et Johnny qui l’ont découverte, six ans plus tôt.
Il met le pied à l’étrier à un groupe féminin, qui comme Johnny est passé de Vogue -où elles végètent -chez Philips : les Gam’s.
Leur carrière décolle, avec ce concept très peu entendu dans le monde de la jeune chanson, celui d’un groupe vocal de filles. Il y a un groupe rémois, les Lionceaux, qui participent à des shows de l’idole avec le concept de Lee d’en faire un peu des Beatles à la française.
Un artiste qui connaîtra deux carrières, avec la première placée sous l’angle du pur rythm and blues francisé : Herbert Léonard.
Lee Hallyday, comme une boucle qui se referme
Il est difficile de comptabiliser exactement le nombre d’albums avec une implication effective de Lee Hallyday, qui s’est parfois éloigné de la star suite à une brouille. Mais on sait que c’est à la mi-octobre 2012 que Lee revoit Johnny une ultime fois, lors de ses deux shows – ou l’un d’eux au Royal Albert Hall de Londres.
La capitale anglaise où tout avait commencé, soixante-trois ans plus tôt.
Chapeau (de cow-boy !) l’artiste !
Johnny Hallyday à 18 ans, il affirme que Hallyday est son vrai nom :