Où il est question d’une redécouverte d’une pochette d’album de Johnny Hallyday taillée pour entrer -enfin – dans la légende ! Rêve et Amour, sorti en octobre 1968. Et un jeune graphiste anglais à l’aube d’une sensationnelle carrière…Paul Whitehead, qui nous révèle tout pour la toute première fois.

Dans deux précédents articles tout récents, je me suis penché pour vous sur la thématique quasi infinie des pochettes de vinyles dessinées. Avant de se plonger dans ce sujet de Paul Whitehead et sa splendide création pour Johnny Hallyday, petit retour en 1967.

Le chanteur sacrifia lui aussi à la mode des pochettes dessinées, avec l’enregistrement capté au Palais des Sports. Le résultat n’est pas transcendant : l’artiste Pierre Dessons se contente de dessiner le visage de Johnny de profil, en double. Tourné vers la gauche et vers la droite. On peut imaginer un clin d’œil caché en pensant à la divinité romaine Janus, dont c’était la caractéristique : le double visage tourné en opposition, à gauche et à droite…

Pour Janus Hallyday peut-être !

Mais les choses sérieuses commencèrent en 1968, quant à ces nouveautés dans le processus de création de pochettes.

En ces années exceptionnellement créatives…

Il sera question ici d’une pochette de l’album Rêve et Amour de Johnny Hallyday, paru en octobre 1968 et enregistré quelques mois plus tôt aux Olympic Studios de Londres -en banlieue, à Barnes, en plusieurs sessions. Celles-ci ont été réparties sur les mois de mars, mai et juin 1968.

Trois producteurs crédités : Lee Hallyday et deux musiciens anglais, inséparables du chanteur à l’époque : le guitariste Micky Jones et le batteur Tommy Brown.

Mais pour des raisons que je ne m’explique pas, on n’évoque jamais le créateur de la pochette de cet album Rêve Et Amour, totalement hors du commun ! Paul Whitehead, le jeune graphiste anglais encore très peu connu et qui se trouvait à l’aube d’une fabuleuse carrière.

Hallyday le suiveur, Hallyday le copieur…

Dès septembre 1961, il était le tout premier rocker français à enregistrer à Londres, aux Stanhope Studios. On sait tous qu’il a emmené en France, en première partie d’une courte tournée et de l’Olympia, un Hendrix sur le point d’exploser en octobre 1966.

Mais on ne crédite jamais Johnny pour avoir fait confiance au jeune Paul Whitehead en 1968, chargé de la réalisation d’une pochette dont un élément central correspond à une reprise d’une idée de Sgt. Pepper’s !

Toutes les petites photos de stars : dans Rêve Et Amour, elles sont visibles sur les atours du chanteur. Certes plus en miniature que sur l’album des Beatles mais l’idée vient de là. Comme Paul Whitehead le confirme plus loin. Cela a échappé aux innombrables biographes de la star et aux journalistes.

Heureusement que Paul Whitehead, entre deux conventions artistiques qui le font voyager un peu partout sur la planète, nous éclaire sur cette histoire si importante et jamais racontée, ni en français ni en anglais…

Voyez sur Wikipedia la liste des artistes ayant enregistré aux très prestigieux Olympic Studios, parfois nommés Olympic Sound Studios…Hallyday n’y est même pas mentionné.

Mais depuis sa mort surtout, Johnny commence à susciter un véritable intérêt de la part d’amateurs anglo-saxons voire américains, loin du cliché réducteur de French Elvis.

Une édition anglaise d’Hallyday parue en 2010 sur le label anglais Cherry Red s’intitule Le Roi de France ! Et plusieurs articles sur lui, laudateurs et enfin totalement dénués de sarcasmes, sont parus dans des revues musicales anglaises, plus récemment.

Notamment après sa mort.

Paul Whitehead Souvenirs d’un artiste hors pair

©Tuscia Media

Paul Whitehead est né à Dartford…tout comme un certain Mick Jagger et bien sûr Keith Richards, alors que le sujet de cet article concerne une pochette liée à Sgt. Pepper’s : ironie !

Sans relater ici toute la biographie de Paul Whitehead, on soulignera qu’il effectua ses débuts au cœur des Swinging Sixties londoniennes.

D’abord pour la branche anglaise du label Liberty Records, avec un job assez original : adapter pour un jeune public anglais des pochettes de stars comme Fats Domino !

Ensuite il fut le premier directeur artistique, à l’été 1968, d’une nouvelle publication : Time Out London, qui était plutôt alors une publication underground avant de «s’embourgeoiser» et de devenir un média dominant. Exactement la même évolution que le magazine Rolling Stone aux States.

Cela lui permit d’intégrer le label Charisma en 1969 et de créer des pochettes de Genesis, Van der Graaf Generator, Peter Hammill et bien d’autres…Et d’entamer une exceptionnelle carrière de peintre, entre autres. Il fut même durant cinq ans le directeur créatif des studios Universal à Hollywood.

Il existe un lien entre Whitehead et la Belgique quant à ses sources d’inspiration : la peinture surréaliste de René Magritte Ceci N’est Pas Une Pipe en est une qu’il aime à citer ! 

Mais on remarque que tout cela, et même son activité de directeur artistique à Time Out London, est postérieur aux sessions d’enregistrement de Rêve et Amour de Johnny (donc mars, mai et juin 1968). Comment diable a-t-on pu faire appel à un jeune artiste encore très peu connu -plus pour longtemps ! -pour réaliser une pochette ?

Paul Whitehead nous explique tout. Pour la toute première fois…

Son récit est composé des réponses à nos questions.

Donc toutes les circonstances relatives à cette pochette, y compris le choix de sa collaboration, que personne n’aurait imaginée. Pour Bobbie Clarke qu’il a mentionné à mon immense stupéfaction, il s’agit du batteur de Johnny de février 1963 à mai 1964, soit le départ d’Hallyday au service militaire.

Précédemment de Vince Taylor et Johnny, dûment impressionné par le talent XXL de ce musicien originaire de Coventry, l’a engagé en février 1963. Mais tout s’est en principe terminé entre Clarke et lui lorsqu’il fut incorporé en mai 1964.

Selon les premiers mots ci-dessous de Paul Whitehead qui en surprendront plus d’un, Clarke est revenu de façon officieuse et non créditée lors des sessions de Rêve Et Amour !

Il nous raconte.

«J’ai été présenté à Lee Hallyday par Bobbie Clarke qui était le batteur de Bodast avec Steve Howe. Je l’avais connu à Paris via un ami commun du nom de Christian Landais. J’ai eu un déjeuner avec Lee Hallyday et Bobbie et Lee m’a donné le concept de la pochette en me demandant si j’étais intéressé.

Avant cela j’avais accompli plusieurs repackagings pour Liberty.

De pochettes de la West Coast, pour les rendre plus acceptables pour les goûts de plus jeunes acheteurs anglais de disques. J’ajoutais un peu de fantaisie anglaise au design.

J’ai également créé le design du LP The Birthday Party de Idle Race sur Liberty, avec Jeff Lynne. Cette couverture avait un dépliant noir et blanc qui contenait une série de photos noir et blanc de DJ’s et de musiciens que le groupe admirait ou qui l’ont influencé.

Ils étaient tous assis à une table de banquet pour célébrer l’anniversaire de quelqu’un.»

(Remarque de l’auteur de ces lignes : peu après, soit le 6 décembre 1968, paraissait l’album Beggar’s Banquet des Stones dont le concept de pochette n’est pas très éloigné de celui de l’album d’Idle Race dont la pochette figure au palmarès de notre artiste !)

Paul Whitehead …

«Quelques fois, j’ai assisté à des séances d’enregistrement. Je crois me souvenir que mon ami Bobbie a fait quelque sessions pour Johnny sur ce disque.»

(Non créditées, le seul batteur crédité étant Tommy Brown -CN.)

«J’amenais mon travail en cours au studio pour le montrer et obtenir leurs commentaires.

Pour le concept de la pochette, je pense que c’était l’idée de Johnny et Lee.

Ils m’ont dit clairement qu’ils voulaient inclure toutes les influences de Johnny et les choses qu’il aimait, comme Sgt. Pepper’s. Je pense que c’était aussi un hommage à cette pochette des Beatles en outre.

Pour la photo, j’avais pris quelques photos de lui en vue de cette pochette. On a eu du bon temps, surtout parce que Bobbie était déjà très ami avec Johnny et Lee et il était un bon chanteur.

Tout le monde était très content, spécialement parce que la pochette a donné un meilleur résultat que prévu, et c’était quelque chose d’original.

Pour les petites images de stars sur le vêtement de Johnny, je pense que c’était surtout ses idées mais Lee a fait quelques suggestions. J’en ai également fait quelques-unes, comme Blanche Neige, l’Empereur Rosko  et Georgie Fame, qu’il a accepté d’inclure.» 

(Note de l’auteur : on le sait peu, mais sous son premier nom d’artiste de Clive Powell, Georgie Fame a accompagné Hallyday pour son premier album Philips enregistré à Londres en septembre 1961.)

Whitehead raconte.

« 58 icônes sur la pochette des Beatles ?Je n’ai pas compté combien sur l’album de Johnny !

Par la suite je l’ai revu à l’Olympia quelques années plus tard et beaucoup d’années plus tard, j’ai vu qu’il donnait une conférence de presse à LA pour un film où il joue un gangster cramé. Je me suis pointé et on a parlé un moment, il était heureux de me voir et son anglais s’était fortement amélioré.

Pour Rêve et Amour, c’était une belle expérience que j’avais presque oubliée.

Quelqu’un m’a montré une édition CD et j’ai vu qu’ils ne m’ont pas crédité.

À ce moment, Johnny était légendaire, juste par le fait d’avoir survécu si longtemps. En 1968, j’avais une petite amie française du nom de Renate qui m’a fait aimer Johnny et certains chanteurs français.

J’oublie des noms, mais il y avait Polnareff et Claude François. Ils me semblaient un peu superficiels probablement parce que je ne parle pas français et je ne comprenais pas les paroles.

Johnny était plus mon style. Il était une bonne réplique de ce style d’Elvis, il faisait très bien la version française de l’idole américaine.

J’aimais Sylvie Vartan, c’était une poupée. Johnny était un gars chanceux. Je sais qu’il est resté ami longtemps avec elle après leur divorce.»

Et au début à Dartford…

Paul Whitehead a souhaité nous confier quelques révélations sur sa petite enfance à Dartford, marquée par la guerre.

Il y est même question…des Rolling Stones !

À propos de ses premières années à Dartford, où il est né.

«Dans Life, l’autobiographie de Keith Richards, il écrit que la maison au bout de sa rue fut bombardée. Cette maison était celle de sa mère, la sienne a été tuée et mon grand-père a été gravement blessé. Il a perdu un bras et un œil. Je n’étais pas encore né.

Ma mère travaillait la nuit à cette époque et revenait du boulot à 8 heures du matin. Elle a vu sa maison détruite. Mon frère et moi blaguons souvent que si la bombe était tombée à cent yards de là, il n’y aurait pas eu de Rolling Stones !»

Conclusion de Paul Whitehead

L’immense artiste plus actif que jamais sur le plan international -j’invite tout le monde à visiter son très remarquable site -nous donne la conclusion que voici.

«Je crois que j’ai découvert -au fil des années -que des idées sont «dans l’air».

Très souvent deux personnes dans des parties très différentes du monde , et de cultures différentes, viennent (spontanément) avec la même idée.»

Il suffit de jeter un coup d’œil sur ses innombrables créations, bien au-delà des pochettes de disques, pour découvrir que ses idées artistiques à lui sont puissamment originales et innombrables !

Un autre talent XXL qui aura croisé la si riche carrière de Johnny Hallyday. Il s’agissait de le créditer sérieusement en tentant, grâce à sa collaboration accordée de si bonne grâce, de faire toute la lumière sur une pochette magnifique et inspirée.

On la regardera différemment désormais.

En n’oubliant pas de nous intéresser à l’œuvre exceptionnelle de son auteur, le mégatalentueux Paul Whitehead que l’auteur de ces lignes remercie très chaleureusement.