Grand protecteur des arts et des sciences, l’empereur Rodolphe II (1552-1612) était l’un des souverains européens dont l’enthousiasme pour l’étude de la nature était le plus vif. Il appela à sa cour des savants et des artistes venus de toute l’Europe, qui travaillèrent à proximité les uns des autres dans l’enceinte du château, faisant de Prague un véritable laboratoire, un lieu d’expérimentation, dans un climat propice de tolérance intellectuelle et religieuse. 


Dans l’élaboration d’un nouveau rapport à la nature basé sur l’observation, les sciences et les arts s’influencèrent mutuellement. Cet aspect novateur de l’art pratiqué à Prague, en relation avec les premiers développements de la science expérimentale, permet de repenser le creuset pragois à l’époque de Rodolphe II, moins comme les derniers feux de l’automne de la Renaissance que le bourgeonnement prometteur de la modernité. 

Hans Hoffmann, d’après Dürer © Galleria Nazionali di Arte Antica, Rome

Organisée en partenariat avec la Národni Galerie de Prague, cette exposition rassemble cent œuvres (objets d’art, sculptures, peintures, arts graphiques, instruments scientifiques, manuscrits, imprimés…) majoritairement exécutées à Prague et commandées ou achetées par Rodolphe II pour sa Kunstkammer. Elles proviennent essentiellement des collections pragoises et du musée du Louvre, mais aussi du Kunsthistorisches Museum à Vienne, du Rijksmuseum à Amsterdam, du Kupferstichkabinett de Berlin et de la bibliothèque de l’Observatoire à Paris.

Roelandt Savery, « Orphée jouant de la harpe » © National Gallery, Prague

Dans le domaine des arts, la cour de Prague reste associée à une forme paroxysmique du maniérisme tardif, avec ses allégories sophistiquées, son coloris fantasque et ses canons d’une élégance artificielle, dont le pendant historique serait la figure de Rodolphe, empereur esthète et neurasthénique.
L’exposition souhaite mettre en lumière un autre visage de l’art à la cour de Rodolphe II, moins connu. À côté de cette mouvance « maniériste » existe un second courant, qualifié de « naturaliste » : celui des peintres de la nature, qu’il s’agisse des paysagistes Roelandt Savery, Peter Stevens et Paulus van Vianen, ou des peintres de fleurs et d’animaux, aussi bien sur parchemin, tels Hans Hoffmann, Daniel Fröschl et Joris Hoefnagel, que sur panneau, comme Savery. 

Adrien De Vries, Cheval © National Gallery, Prague

Prendre la mesure des choses


La convergence des regards scientifiques et artistiques sur la nature fut particulièrement sensible à la cour de Prague. Elle se caractérisait d’abord par une nouvelle approche, directe, scrutatrice. Les artistes participèrent activement aux premiers balbutiements de l’empirisme, non seulement par la confection d’instruments de mesure scientifiques aussi esthétiques qu’innovants, mais encore par leurs dessins de plantes et d’animaux, contribution majeure à l’entreprise d’inventaire du vivant qui animait alors les sciences naturelles : six pages d’un des ouvrages majeurs de Joris Hoefnagel consacré aux Quatre Éléments seront ainsi rassemblées dans l’exposition.

Giovanni Castrucci, Vue de Prague © The Museum of Decorative Arts, Prague

Comme les savants, ils s’intéressèrent également aux forces cachées à l’œuvre dans la nature, qu’ils évoquèrent par le truchement de l’allégorie, notamment les peintres Giuseppe Arcimboldo, Daniel Fröschl, les Hoefnagel encore et des sculpteurs comme Nikolaus Pfaff. Tous partageaient une même culture humaniste, essentiellement livresque et héritée de l’Antiquité, mais le système cohérent décrit dans ces ouvrages ne résista pas à l’observation attentive d’une nature impermanente et capricieuse.

Une nature impermanente et capricieuse


Cette curiosité visuelle, commune aux scientifiques et aux artistes, contribua au renouvellement de la création artistique à Prague. À la faveur de nouvelles pratiques comme celle du dessin en plein air, l’expérience directe de la nature encouragea le choix de nouveaux matériaux et de nouveaux motifs, jusque-là jugés indignes d’être utilisés ou représentés, ainsi que le goût pour de nouvelles formes artistiques qui imitent la singularité des formes naturelles, leur instabilité inhérente au processus de croissance du vivant. Les vases de pierres dures créés par Ottavio Miseroni et ses frères en sont l’un des exemples les plus magistraux. Quant à Paulus van Vianen, orfèvre virtuose et paysagiste inspiré et plein de finesse, son influence permit à Roelandt Savery et Pieter Stevens de renouveler leur art du paysage.

L’exposition aura lieu au Louvre du 19 mars au 30 juin 2025.

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