J’étais installée devant mon jus de pommes, charbon et citron vert, un peu fébrile, je l’avoue, lorsqu’il est arrivé discret, souriant et chaleureux, surpris de m’impressionner autant. Et pourtant, c’est un journaliste reconnu que je rencontre aujourd’hui, interviewer émérite de dizaines de personnalités au quotidien belge Le Soir depuis 2005 : Nicolas Crousse

Uccloise depuis peu, je l’avais croisé un dimanche matin à la librairie Bleus d’encre sur le parvis Saint-Pierre où il dédicaçait comme ça, sans façon, son dernier roman. Je l’ai lu et l’ai beaucoup aimé, je dirai même qu’il m’a aidée à me sentir un peu chez moi dans cette jolie commune bruxelloise. C’est ce qui m’a donné envie aujourd’hui de vous en parler et de vous le présenter.

L’homme-orchestre

Critique de cinéma et journaliste culturel au « Matin » puis au Soir, il a remporté le Prix de la critique en 2007 et celui du reportage politique en 2008 ; il a coréalisé avec Thomas Van Zuylen le documentaire « Crimes d’artistes » où cinéastes et personnalités questionnent la mise en scène de faits divers tragiques ; il a organisé les fêtes de Bruxelles dédiées à Pierre Etaix en 2008, à Jaco Van Dormael en 2009 et à Guy Bedos en 2016 ce qui, aux yeux de la fan inconditionnelle que je suis, lui vaut un prix supplémentaire !

 Si vous ajoutez à cela une dizaine de livres, essais, textes de chansons et romans, vous comprendrez mieux le trac qui m’a envahie au moment d’interroger Nicolas Crousse.

Et j’ai découvert d’autres talents encore à ce charmant quinquagénaire, chanteur du groupe « Droit dans le Mur » depuis 2012, en amateur m’a-t-il dit, avant de me confier qu’il se produirait bientôt (c’est un scoop !) à La Tchatche à Chastre.

Nicolas Crousse et son groupe Droit dans le Mur ©Droit dans le Mur

Je ne peux résister à l’envie de lui demander quelles figures l’ont le plus marqué au fil de ses très nombreuses rencontres. Il me cite dans le désordre plusieurs personnalités comme la cantatrice Cécilia Bartoli, « un grand bonheur » ; Roberto Saviano, « saisissant » ; Annie Cordy, « délicieuse » ; Boris Cyrulnik, « passionnant », Guillermo Guiz , « une très bonne surprise » et enfin, celui que j’attendais, Guy Bedos qu’il rencontre à plusieurs reprises à la fin de sa vie et qui l’apprécie au point de « lui faire répéter son dernier spectacle à la terrasse d’un café en bas de chez lui sur l’île Saint-Louis » (souvenir précieux s’il en est !).

C’est toutefois l’écriture que Nicolas Crousse met en avant quand je lui demande de se définir. Une écriture professionnelle bien sûr mais aussi et surtout existentielle, « constitutive du MOI ». Les protagonistes de ses premiers romans Kartouch et Léger Carnage  sont des anti-héros, le premier entreprend une expédition transsibérienne pour tromper son ennui et le suivant organise ses funérailles pour naître vraiment…

Dans le troisième, Retour en pays natal, que je vous invite vivement à découvrir, on s’éloigne de la dimension absurde voire burlesque pour entrer dans le vif du sujet, en finir peut-être avec les chemins de traverse au terme du voyage originel.

Je ne serais pas devenu ce que je suis si… 

Nicolas Crousse est né à Bruxelles dans une famille d’artistes.

Son père, Jean-Louis Crousse était poète, Nicolas lui a consacré un ouvrage juste après sa mort, Mon père, la nuit s’achève qui comprend une anthologie de ses poèmes. La figure paternelle est prédominante dans son œuvre et il le cite immédiatement quand je lui pose la question récurrente de ses entretiens hebdomadaires dans Le Soir : « Je ne serais pas devenu ce que je suis si… ».

Un père qu’il me décrit comme « un personnage à la Tati, naturellement anticonformiste, un distrait peu doué pour le quotidien » avec qui il avait l’habitude, enfant, de lire le théâtre de Pagnol à haute voix, en mettant l’accent bien sûr – ce que je n’ai pas osé lui demander de refaire pour moi- curieuse pourtant d’entendre ce que donnerait le mélange des accents belge et bruxellois !

Un père qui n’a jamais été un frein à l’écriture, peut-être parce que le fils ne s’est pas aventuré dans son domaine de prédilection : la poésie.

Je ne serais pas là sans eux. Sans elle solaire, sans lui lunaire. Mon jour et ma nuit.

Nicolas Crousse

Nicolas Crousse cite aussi sa mère, Jacqueline De Geest dont il parle dans son roman comme d’une « mère-courage, un tourbillon de vie, le bouclier, le refuge et l’oasis de ses trois enfants. » Une femme indépendante qui décide à dix-neuf ans de pousser pour la première fois la porte de l’église orthodoxe où sera baptisé le petit Nicolas, qui reprend des études à quarante ans quand Jean-Louis quitte le foyer conjugal, qui accueille et écoute tous ceux qui en ont besoin, qui publie un recueil de photographies et de poèmes sur le tard…

Et il faut écouter la nouvelle que Nicolas Crousse a écrite pour les 100 ans d’eqla autour des sens et de la perception pour comprendre l’importance du regard maternel relayé par celui de la femme aimée. Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est Adia Crousse Panteleeff, comédienne et créatrice de marionnettes, son épouse, qui prête sa voix à la lecture radiophonique de ce récit magnifique.

Enfin, Nicolas Crousse ajoute avec émotion « qu’il ne serait pas devenu qui il est… sans ses trois filles qui tiennent une grande place, occupent avec bonheur son esprit… »

La notion de paternité est donc au cœur de la démarche littéraire de celui qui se pose en fils dans un premier temps mais aussi désormais en père.

Entre réalité et fiction

« Retour en pays natal n’est pas complètement autobiographique », l’auteur évoque des petits textes de souvenirs épars au commencement qui mis bout à bout finissent par raconter l’histoire de la vie d’un enfant puis d’un adolescent de Schaerbeek, d’un journaliste, un artiste, un homme tout simplement, « un mélange de temps ».

 Des fragments d’autobiographie bousculés par la mémoire, remaniés par la pudeur, façonnés par l’écriture qui donnent un récit émouvant, poétique, fort et drôle aussi. Un récit truffé de références cinématographiques et littéraires que nous partageons avec lui et qui en font un récit universel. Au-delà de l’exercice autobiographique, il nous livre une profonde réflexion sur les liens qui unissent l’enfant à ses parents et à tous ceux qui peuplent le pays de l’enfance pour en devenir les fantômes.

Il est question ici de la vie et de la mort, de la vie surtout que l’on souhaite longue est belle, ici et ailleurs, à tous les personnages de ce superbe voyage en poésie intime. Nicolas Crousse projette les diapositives d’une enfance dont les couleurs et la musique ressemblent aux nôtres.

Quid d’un nouveau roman ? L’écrivain hésite et botte d’abord en touche, « il faut du temps pour chercher, réfléchir »… Et puis il finit par évoquer « un roman picaresque, un Candide moderne, un touche à tout pris dans le mouvement de la vie, confronté à des expériences diverses et contradictoires ». Un personnage qui lui ressemblerait peut-être ?

À l’issue de cet agréable entretien, j’espère que Nicolas Crousse trouvera le temps de se lancer de nouveau sur les routes de l’écriture pour partager avec lui peut-être un autre jus de pommes, charbon et citron vert sur la charmante petite place de Uccle.


Les bonnes adresses de Nicolas Crousse à Uccle

La librairie Bleus d’encre Où ? Parvis Saint-Pierre 10

Caffè Al Dente, Où ? Rue du Doyenné 87

Le théâtre de Poche, Où ? Chem. du Gymnase 1a (Bois de la Cambre)

Ses lieux de promenade favoris :

• Le Bois de la Cambre

• Le parc de Wolvendael Où ? Avenue De Fré

• Le parc Montjoie Où ? Rue Edith Cavell (recommandé par ses filles)

• Le plateau Avijl

et l’église de sa maman :

• Eglise-Mémorial Orthodoxe, Saint Job ? Avenue du Manoir 8


Sa bibliographie

Grabuge, coécrit avec Benoît Delépine, Noël Godin et Matthias Sanderson, Ed. Flammarion, 2002 

Voxy Lady, Le Somnambule équivoque, 2003

 Kartouch, Le Somnambule équivoque, 2005

Le complexe belge,. Anabet, 2007

Hollywood Boulevard, First, 2007

Mon père / La Nuit s’achève, coécrit avec Jean-Louis Crousse, Le Somnambule  équivoque, 2009

Léger carnage, Le Somnambule équivoque, 2009

Une Passion, Jacques Flament, 2011

 Les Magnifiques,Flammarion, 2012

Poupée russe, JFE (Jacques Flament), 2014

Droit dans le mur,  JFE (Jacques Flament), 2017  Retour en pays natal, Le Castor Astral, 2021