Ce vendredi 17 juin, les ors et le magnifique plafond de l’Opéra Royal de Wallonie de Liège ont accueilli la première représentation d’un des derniers opéras de Verdi : « Simon Boccanegra ». Ces mêmes murs ont également vibré sous les applaudissements d’un public entièrement conquis par cette représentation magistrale conduite par la cheffe Sperenza Scappucci, valeur sûre de la nouvelle génération.

Simon Boccanegra par Lawrence Dale (© J. Berger – ORW-Liège)

Nous sommes à Gênes au XIVème siècle. Simon Boccanegra, ancien corsaire, se voit proposer le poste de doge par Paolo, qui fait partie du parti des Gibelins, hommes du peuple qui soutiennent l’empereur germanique. Mais le pouvoir et la richesse ne suffisent pas à remplir sa vie. Son amour, Maria, est morte, et le père de celle-ci, Fiesco, rempli de haine pour Simon qui l’a déshonorée, lui refuse son pardon à moins qu’il ne lui livre l’enfant que Maria a eue de lui. Malheureusement, cette enfant a disparu à Pise où elle était sous la protection de sa vieille nourrice. Or Fiesco, lui, fait partie des Guildes, patriciens soutenant le parti du pape.

Simon devenu doge, navigue dès lors, dans les tempêtes du pouvoir, bien plus hostiles que celles qu’il a connues sur les mers. 

Simon Boccanegra par Lawrence Dale (© J. Berger – ORW-Liège)

Paolo, qui l’a aidé à devenir doge, demande en récompense la main d’Amelia Grimaldi (nom de famille sous lequel se cache en fait le vieil ennemi de Simon, Fiesco, père de sa bien-aimée décédée). Voulant honorer sa promesse, Simon s’arrête au palais Grimaldi et rencontre Amelia. Lors d’un duo magnifiquement intense, Simon Boccanegra comprend qu’Amelia est, en fait Maria (junior), la fille qu’il a eue autrefois avec Maria Fiesco. Père et fille tombent dans les bras l’un de l’autre et Maria/Amelia lui confie qu’elle est amoureuse d’un jeune homme, Gabriele Adolfo.

Simon Boccanegra par Lawrence Dale (© J. Berger – ORW-Liège)

Simon, écartelé entre ses luttes politiques et son amour paternel, décide de répondre à la supplique d’Amelia, amoureuse de Gabriele, qui appartient aux Guelfes qui n’ont eu de cesse que de comploter contre lui. 

Paolo, ulcéré de la « trahison » de Boccanegra qui lui refuse la main de Maria/Amelia, décide d’empoisonner Simon et de faire porter le chapeau aux Guelfes, en ordonnant à Fiesco/Grimaldi de tuer le doge lors d’une révolte dans la cité. Comme Fiesco refuse, Paolo arme alors Gabriele, mais peu après, celui-ci comprend qu’Amelia est en fait la fille de Simon. Non seulement il refuse de tuer le doge, mais il se range à ses côtés.

La traîtrise de Paolo mise à jour, celui-ci est condamné à mort. Amelia/Maria célèbre alors ses noces avec Gabriele Adorno et c’est sous les vivats et la fête de ce mariage que Paolo est mené à l’échafaud. Fiesco/Grimaldi et Simon Boccanegra, se réconcilient car Fiesco comprend que la jeune orpheline qu’il avait sauvée à Pise était en fait sa propre petite-fille. Malheureusement, le doge ayant bu l’eau empoisonnée par Paolo, se meurt lentement et est emporté à la fin de l’opéra, par le fantôme de sa bien-aimée Maria.

Simon Boccanegra par Lawrence Dale (© J. Berger – ORW-Liège)

Résumer « Simon Boccanegra » n’est pas la chose la plus simple du monde. C’est un des opéras les moins connus de Verdi. D’ailleurs sa première version datant de 1857, n’a pas du tout rencontré le succès. Jugé trop sombre, trop pesant, il a été décrit par son auteur même, comme un opéra « désespéré, lugubre même, faisant écho au personnage historique du même nom. Il s’agit donc d’une œuvre qui divise un peu plus que la majorité des opéras de Verdi, mais elle fait néanmoins l’unanimité parmi les connaisseurs. 

N’étant pas musicologue moi-même, j’ai pourtant énormément apprécié cet opéra présenté à Liège vendredi 17 juin. La version présentée ici est celle de 1881. Le maître a été présenté au jeune librettiste Arrigo Boito. La magie entre eux fonctionne à merveille, et il deviendra alors le collaborateur des dernières œuvres du grand compositeur. Cette deuxième version s’impose donc comme standard, et sera reprise jusqu’à nos jours. 

Amputée d’une grande partie des partitions originales, la nouvelle mouture est moins ténébreuse et moins déprimante pour le public. La psyché des personnages est plus complexe, recherchée. 

Ancien corsaire, écartelé entre des idéaux moraux élevés et la réalité politique de sa cité, Simon Boccanegra est un personnage profondément attachant qui suscite la sympathie dès le prologue. Au fil de l’œuvre, il cherchera toujours à apaiser les tensions, à promouvoir la paix, entre les différentes factions, et avec les autres cités-états italiennes. Simon est également un amoureux fidèle à son amour pour Maria, fille de Fiesco, et aimant profondément sa fille retrouvée Amelia/Maria, prêt à tout pardonner, pour le bonheur de celle-ci.

Le metteur en scène de cette version, Laurence Dale, a su faire passer une émotion incroyable dans les scènes où Simon et Amelia se font face, mais aussi dans celle où Fiesco/Grimaldi et le doge se retrouvent après des années de ressentiment, pour apaiser leurs blessures passées.

Simon Boccanegra par Lawrence Dale (© J. Berger – ORW-Liège)

Le metteur en scène nous dit d’ailleurs « Pour cette production, nous cherchons à créer une fresque épique qui parcourt vingt-cinq ans de la vie des personnages. Simon Boccanegra, ce corsaire qui ne cherche aucun pouvoir, se retrouve élu Doge suite aux manipulations de Paolo, un profiteur qui ambitionne d’exercer le pouvoir en sous-marin. Pourtant, durant ces années Simon se révèlera un dirigeant sage et d’une grande humilité qui sera adoré par son peuple.

Lorsque Simon décide que sa fille Amelia n’épousera pas son lieutenant Paolo, ce dernier pense que le vieux Doge veut la garder pour lui-même. Et dès lors, il sera persuadé que Simon a voulu le tromper. Les erreurs et les malentendus formeront ici la base de cette tragédie qui comporte deux grands rôles de barytons verdiens ( le généreux Boccanegra et le maléfique Paolo), tels le Ying et le Yang. »

En fait, la mise en scène entière est une réussite totale, elle ne peut être mise en défaut à aucun moment. Bien que l’œuvre soit complexe, le spectateur peut vivre l’intrigue, ressentir les sentiments des personnages.

Le décor se décline en plusieurs tableaux, différents et pourtant chacun si particulier. Inspiré par les modern style et style paquebot, façon années 30, les hauts murs se transforment en portes extérieures de palais, ou en intérieur du conseil d’état, les scènes plus intimistes se passent dans l’intérieur du même Palais, avec en fond, l’immensité de la mer, symbole d’infini, de la réussite mais aussi des pertes de Simon. Une toute grande réussite de Gary Mc Cann , servie par les jeux de lumière de John Bishop.

Opéra essentiellement masculin par ses premiers rôles, Simon Boccanegra nous a permis d’entendre le baryton roumain George Petean, magnifique voix tellement juste, dans son chant comme dans les émotions qu’il veut nous transmettre, son timbre grave et réellement profond nous emmène dans ses doutes, ses regrets, ses incertitudes, sa droiture aussi, son honneur et son amour paternel. D’ailleurs ses duos avec la soprano Frederica Lombardi, nous ont fait vibrer. 

Seule voix de femme face à des voix graves de barytons (Simon, Pietro) et de basse (Fiesco et Paolo), elle émeut lors de ses duos avec Gabriele Adorno, son amour, rôle tenu le ténor liégeois Marc Laho

Lors des scènes où tous sont présents, Frederica Lombardi fait entendre une voix vibrante, cristalline, qui prend aux tripes et semble surnager toutes les autres.

Les chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie, magnifiques comme toujours, nous ont livré des passages superbes.

Sperenza Scappuci ©Dario Acosta

Mais la réussite de cette représentation est due aussi, sans aucun conteste, au vu des applaudissements des plus enthousiastes de la salle, à la cheffe d’orchestre italienne, Sperenza Scappuci, directrice musicale de l’ORW depuis 2017, elle a conduit ses musiciens et ses chanteurs d’une baguette magistrale, ayant saisi toutes les subtilités de l’œuvre de Verdi, elle les a fait ressentir à un public enchanté qui lui a adressé de nombreux rappels.

Bref, à voir à l’ORW jusqu’au samedi 25 juin. Les places sont disponibles ici

Rappelons les tarifs préférentiels pour les jeunes amateurs d’opéra. Tous les détails sont sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie.

Soulignons également que l’opéra « Simon Boccanegra » sera retransmis en direct sur Francetvinfo.fr/culture le 23 juin et sera également en rediffusion sur MEZZO.

Si vous souhaitez en savoir plus sur Simon Boccanegra, mais aussi sur l’opéra en général, n’hésitez pas à consulter le site Simon Boccanegra, le doge sans gêne | Forum Opéra (forumopera.com)