« Mari en Syrie », la Mésopotamie à Mariemont
Le Musée de Mariemont nous a accoutumés à ses expositions de grande qualité, et « Mari en Syrie » ne déroge pas à l’habitude. « Exposition-voyage », selon les propos du Commissaire général, Arnaud Quertinmont, par ailleurs conservateur de la section des Antiquités égyptiennes et proche-orientales du musée, elle emmène les visiteurs sur les traces des anciens habitants de la ville, mais aussi dans les pas des premiers archéologues qui ont exhumé les traces de cette ville venant du fond des âges.
Un partenariat prestigieux
L’exposition « Mari en Syrie » est le résultat d’un prestigieux partenariat entre Mariemont, le Louvre et la BNU (Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg).
Plusieurs brillants scientifiques ont travaillé de concert afin de faire revivre l’une des plus fameuses villes de Mésopotamie, la mythique cité de Mari. Outre le commissariat général, le commissariat scientifique est constitué de Sophie Cluzan et Jaroslaw Maniaczyk (Musée du Louvre), respectivement conservatrice du département des antiquités orientales au Musée du Louvre, et documentaliste épigraphiste.
Le comité scientifique est constitué de Pascal Butterlin, de l’Université Paris I (directeur de la mission archéologique française de Mari), de Laurent Colonna d’Istria, titulaire de la chaire d’assyriologie et d’archéologie d’Asie antérieure de l’Université de Liège. Il est également spécialiste de l’époque des Shakkanakkus, qui est la période à laquelle s’intéresse principalement cette exposition et d’Emmanuel Marine, pour la BNU.
Mari, site majeur du Proche-Orient ancien
La ville de Mari en Syrie a été créée ex nihilo il y a plus de 5000 ans. Elle a été aménagée en aval du point d’intersection entre l’Euphrate et le Kabhur, deux cours d’eau importants. Les promoteurs du site voulaient construire une base de contrôle des routes commerciales de l’endroit, et assurer les communications entre le monde mésopotamien, la Méditerranée, la Babylonie.
La création de la ville a nécessité d’abord d’importants travaux hydrauliques afin de transformer cette terre aride en zone hospitalière. L’approvisionnement de la ville a été assuré par voie fluviale, et très vite la cité est devenue un centre d’artisanat basé sur la métallurgie. Les quelque 1200 ans d’occupation du site ont vu une succession de constructions et de destructions de la ville de Mari.
Fondée en -2900, elle devint un important centre politique et religieux qui contrôlait un vaste territoire (la ville II). Vers -2300/2250, la ville fut détruite par les armées d’Akkad. Elle sera reconstruite progressivement par des gouverneurs d’Akkad, les Shakkanakkus, qui s’affranchirent peu à peu d’Akkad pour créer leurs propres dynasties, et redonner à Mari toute son importance géopolitique, artistique et commerciale (Ville III – et période que l’on présente dans l’exposition). Finalement, en 1850 avant J.-C, une dynastie amorrite régna sur la ville mais sera détruite en -1759, par le roi Hammurabi de Babylone.
Le parcours de l’exposition
Plus de 200 pièces et documents d’archives sont présentés dans cette exposition, et témoignent de la renaissance de la ville de Mari sous la gouvernance des Shakkanakkus. Les nombreuses tablettes en cunéiforme et les objets retrouvés lors des campagnes de fouilles permettent d’étendre les connaissances des villes et royaumes de Syrie et Mésopotamie pendant cette période.
La mission archéologique
La première partie de l’exposition est consacrée à la découverte des ruines de Mari sur le Tell Hariri. Au début du mois d’août 1933, un bédouin qui creusait le sommet d’une colline pour inhumer un des siens, a mis au jour une statue acéphale (sans tête) d’un personnage aux mains jointes, avec des inscriptions en cunéiforme. Le site étant sous mandat français à l’époque, le musée du Louvre est mis au courant de la découverte et a envoyé l’archéologue André Parrot pour étudier le site.
Il dirigera par la suite 11 campagnes de fouilles jusqu’en 1974. En 1979, Jean-Claude Margueron prendra sa suite et organisera à son tour une vingtaine de campagne de fouilles, et il sera suivi de 2005 à 2011 par l’équipe de Pascal Butterlin. Celui-ci a d’ailleurs produit de nouveaux plans du centre monumental de la ville de Mari.
Cette partie de l’exposition présente donc de nombreux documents et photos d’archives, ainsi que des films documentaires qui témoignent de cette période, des relations chaleureuses qui existaient entre les scientifiques et les ouvriers syriens, ainsi que du travail de l’épigraphiste liégeois, Georges Dossin, chargé du déchiffrement des milliers de tablettes retrouvées à Mari.
Des lettres échangées entre Parrot et Dossin montrent à quel point ces deux savants travaillaient ensemble afin de restituer une image aussi claire que possible de la vie quotidienne, de la vie religieuse et économique de ce vaste ensemble palatial.
La cité de Mari
L’exposition se poursuit avec la présentation de l’histoire discontinue de la cité et des grandes étapes de son développement, évoquées plus haut.
Plusieurs œuvres clés peuvent s’admirer dans de nombreuses vitrines : un fragment de stèle aux yeux ; des statuettes d’orants (personnages représentés en prière), des sceaux cylindriques ou sceaux-signature, des briques inscrites, des tablettes cunéiformes, des statuettes d’orants en albâtre, des statues de Shakkanakkus, en diorite ou stéatite, …
Le secteur des temples
Ce lieu était dédié aux dieux, c’est dans cette section qu’on peut admirer la tête d’affiche de l’exposition : le lion de Mari. Celui présenté à Mariemont est celui du Louvre, l’autre lion se trouvant au musée d’Alep. Les lions sont caractéristiques du dieu honoré dans le temple de Mari : « le Seigneur-du-pays ». Ce lion est dans une position telle qu’il semble surveiller la sortie des visiteurs. La délicatesse témoigne d’un artisanat du cuivre hautement perfectionné, qui a fait la renommée de la cité.
C’est le 23 janvier 1937 que ces lions ont été découverts lors de la fouille de l’intérieur d’un temple, un édifice voué au dieu Bêl-Matim. Parrot témoigna dans son rapport de fouilles, de l’extrême délicatesse de l’opération, lorsqu’il a fallu dégager les deux lions dont le métal était affaibli par une corrosion millénaire. Pouvoir l’admirer dans les salles de Mariemont est donc une opportunité tout à fait exceptionnelle.
Le grand palais royal
Le palais de Mari a subi de nombreux remaniements au fil des périodes de l’histoire de la cité. Lieu de la vie religieuse, il est également un centre économique, administratif, et un lieu de vie, avec des équipements tels des bains, et même des glacières où de la neige et de la glace venant du nord des territoires permettaient de garder des aliments au frais, ce qui montre un art de vivre d’un grand raffinement. Un millier de personnes vivaient dans ce grand complexe.
L’exposition présente des objets de la vie quotidienne, tels que des moules à gâteaux, des tablettes d’exercices pour les étudiants…
Une série de foies en terre cuite, aux détails étonnamment précis témoignent de la pratique de l’hépatoscopie. Cette pratique divinatoire, consiste à lire l’avenir en s’appuyant sur l’examen des foies d’animaux sacrifiés. On peut voir ainsi 16 maquettes de foies, retrouvées dans le Grand Palais. Les augures disposaient ainsi d’une sorte de catalogue permettant d’interpréter ce qui résultaient de ces pratiques pour le moins sanglantes. Cela démontre les interactions entre le pouvoir royal et le pouvoir religieux durant l’histoire de la cité.
La chapelle 132
Retrouvée en 1936, cette chapelle a livré d’importants fragments de peintures murales. Détruits depuis, ces fragments n’existent plus que sous forme de photographies sur plaques de verre ou de relevés sur cellophanes. Ces deux supports ont constitué l’unique source qui a permis au dessinateur Pierre Hamelin de tenter une restitution sur calques en 1957.
Ceux-ci ont été retrouvés par hasard dans une réserve du Louvre en 2019, et ont été l’objet d’une importante restauration co-financée par le musée de Mariemont. Ces calques magnifiques sont montrés pour la toute première fois au public et, étant donné que les peintures ont aujourd’hui disparu, ils ont maintenant un statut de sources originales.
Les destructions de Mari
En -1759, la cité de Mari, qui était alors sous autorité de l’empire d’Akkad, fut détruite par les armées d’Hammurabi, qui anéantit la ville dans sa totalité. Elle disparaîtra en tant qu’important centre royal, et elle ne retrouvera jamais plus sa splendeur passée. Elle appartiendra à la mémoire collective, sans qu’on sache exactement son emplacement jusqu’au début des années 1930.
De nombreuses briques de terre crue présentes dans l’exposition témoignent de la fragilité des bâtiments retrouvés. L’histoire de Mari est faite de destructions et de renaissances. Plusieurs programmes de restauration ont été mis en place par les équipes archéologiques depuis sa redécouverte. Malheureusement, le conflit syrien a mis fin aux dernières campagnes de fouilles, organisées de 2005 à 2011 par les équipes de Pascal Butterlin et a causé des dégâts majeurs et irréparables à un site déjà largement endommagé par les éléments.
En effet, suite à la guerre civile syrienne, les différents sites de fouille ont subi un pillage à grande échelle. Entre 2014 et 2018, les milices terroristes de Daesh ont causé d’importantes destructions aux monuments patiemment restaurés par les équipes des différents archéologues français qui se battaient déjà contre les érosions naturelles du site.
Au regard des différentes avanies subies par Mari, au cours des millénaires, mais surtout au cours des quelques dizaines d’années depuis sa redécouverte, les rapports de fouilles, les films tournés par les scientifiques, les photos prises, les relevés topographiques, les reproductions très précises des peintures prennent une importance toute particulière. Ces documents ont maintenant un statut de sources, et vont permettre à des générations de scientifiques d’étudier une cité qui sans ces documents serait retournée au néant pour de bon.
Autour de l’exposition
Pour compléter la visite, le catalogue offre des textes complémentaires extrêmement intéressants et surtout des photos très précises, permettant de voir en détails, les objets exposés, même les plus petits. Ce catalogue est ce qu’on peut qualifier de « beau livre », et vous permettra de profiter encore longtemps de cette magnifique exposition.
N’hésitez pas non plus à prendre connaissance des panneaux de sensibilisation sur la lutte contre le pillage archéologique et le trafic illicite de bien culturels. Cette « mini » exposition a été réalisée en collaboration avec le comité belge du Bouclier bleu. 7 panneaux didactiques interrogent le public sur les origines du pillage, la destruction du patrimoine culturel et sur le trafic illicite d’œuvres d’art.
Cette exposition Mari en Syrie rappelle que lors de la conquête de Mari par le roi Hammurabi en 1759 avant notre ère, le Grand palais fut brûlé et de nombreuses œuvres d’art dérobées. Les pillages ne sont donc pas une habitude de notre époque, mais ils ont été perpétrés de tout temps et en tout lieux. L’exposition sera visible jusqu’au 3 janvier 2024.
Renseignements pratiques :
L’exposition Mari en Syrie – Renaissance d’une cité au 3ème millénaire, sera visible jusqu’au 7 janvier 2024. L’exposition partira ensuite en itinérance à la BNU de Strasbourg du 7 février au 26 mai 2024.
Adresse : Musée du domaine de Mariemont, Chaussée de Mariemont 100, 7140 Morlanwez
Heures d’ouverture : Musée ouvert du mardi au dimanche de 10 à 17h00, dernière entrée 45 minutes avant la fermeture
Tarif pour Mari en Syrie: 8€/adulte
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Mari en Syrie, métropole royale :