Maudoux, Mots durs
Florent Maudoux est un dessinateur-graphiste-scénariste français issu de la culture underground et qui est présent sur le marché de l’édition depuis près de quatorze ans. Retour sur son parcours et ses œuvres pour le moins atypiques.
Freak’s Squeele
L’univers de Maudoux est très atypique, car très melting-pot. L’exemple de son galop d’essai en sept tomes, Freak’s Squeele, illustre bien ce propos. En effet, dans un scénario type « upper school life », concept jusqu’alors presque exclusivement réservé aux mangakas, l’auteur mélange sans retenue des personnages issus d’univers radicalement différents. Loups-garous, valkyries, mafia asiatique, démons, croque-mitaines, squelettes et bien d’autres encore prennent le café ensemble dans un scénario à multiples degrés de lecture.
Maudoux pose rapidement son empreinte en matière d’intrigue. Situations tordues, valeurs dépassées, personnages antihéroïques, le tout sur fond de mass-média. Ce thème est récurrent (voire omniprésent) dans les productions de l’auteur, et on devine vite qu’un grand nombre de squelettes sont enterrés sous le plancher.
Le scénario de Freak’s Squeele se base « simplement » sur les trois canards boiteux de la classe de première année; un loup avec deux mains gauches, une démonette opportuniste et une humaine sans pouvoirs. Le contexte donne toute sa saveur a ce plat qu’on jugerait mainstream de prime abord; les élèves sont d’apprentis super-héros, et leurs études portent moins sur le combat contre le mal que sur l’art de bien paraître en société; costumes, make up, poses et autres artifices jonchent le chemin a parcourir devant l’œil des caméras.
L’art de l’image, domaine dont les bédéistes sont joueurs et arbitres, est exploré en long, en large et en travers. Alors que Maudoux, par l’intermédiaire de son trio calamiteux, décortique les codes sociaux mis en place autour des apparitions médiatiques, des costumes et de l’apparence d’une manière générale.
À des degrés qu’on estime moindres, le lecteur se fait aussi témoin de l’évolution du trio équilibré où chacun a son heure de gloire et sa part de mystère. On notera au passage que c’est en fait le cas pour la majorité des personnages de la série, même les secondaires, qui ne sont pas les moins gratinés.
En fait de mystères, la trame de cette histoire est posément menée par un directeur d’école que l’on imagine facilement jouer aux échecs avec Sauron. Scipio, c’est son nom, est à mes humbles yeux ce que l’on peut rapprocher le plus de l’avatar de Maudoux lui-même. Il est vif d’esprit, défiant, dénigrant, cultivé, innovant, manipulateur et « fan d’auteures de fantasy à lunettes ». Le personnage est là pour, selon ses propres termes, « leur mettre le nez dans la merde ».
L’ensemble du scénario de Freak’s Squeele serait terni sans les multiples et discrètes interventions de ce vrai-faux dandy machiavélique qui démantèle avec passion les codes sociaux et culturels auxquels notre vieille Europe semble tant attachée. C’est là que réside la trademark de l’auteur : faire du neuf avec du vieux.
Ce message est omniprésent dans les productions de cet artiste : opposition avec des institutions séculaires, recherche de sang neuf là où les conventions sont outrepassées. Messages idéalistes et audacieux, en contraste absolu avec les dénouements ordinaires qui meublent nos histoires. Une ouverture à la tolérance et au changement, là où d’aucun aurait continué le conflit selon nos vieilles recettes d’après-guerre.
Funérailles
Puisqu’il est ici question de conflit, étendons-nous sur la seconde production majeure de Maudoux : Funérailles.
Cette histoire est un spin-off de Freak’s Squeele, consacré à Funérailles, ce personnage mystérieux déjà présent dans la première saga. L’auteur donne toute sa mesure a son talent en reprenant les sujets déjà abordés dans Freak’s Squeele, mais dans un tout autre contexte.
L’univers, pour commencer, mélange plusieurs concepts. Société « néo-romaine », roman noir, steampunk, mythologie…on y retrouve même des références et inspirations particulièrement bien mesurées à la série japonaise Saint Seya. L’auteur prône d’emblée l’atypisme et le mélange social en opposant et en démontrant la complémentarité de l’élitisme et de la plèbe. Les deux étant caricaturés sous la forme d’un sénat surpuissant, vieillissant et corrompu, et d’une basse-ville peuplée d’estropiés condamnés à une existence pauvre ou à l’école militaire. Funérailles et son frère Scipio -le même que dans Freak’s- grandissent dans ces deux monde, sans se douter de leur lien de sang, et seront brutalement catapultés dans un monde pourri par l’inégalité et le culte de la perfection.
Le vécu des deux garçons accompagne le discours de Maudoux au premier, second et troisième degré. Les deux grandissent séparément, estropié et « parfait » dans deux mondes que tout oppose. L’un, Funérailles, inculque à son bataillon de recrues estropiées la culture et la lecture, les unissant autour d’un état d’esprit basé sur la tolérance, l’ouverture et l’analyse. Allant jusqu’à en faire une force majeure dans la compagnie où ils seront recrutées. Dans le cas de Scipio, qui grandit dans un monde d’études réservées à l’élite la plus stricte. Où l’opposition est au goût du jour, face à des autorités vieillissantes assises sur un prestige poussiéreux (Europe, prend garde!).
Richesse excessive ?
Le défaut des productions de Florent Maudoux réside dans leur richesse excessive, cas largement démontré par cette saga. Le scénario jongle pêle-mêle avec la métaphysique, les rapports hommes-femmes, les conflits sociaux, la stratégie militaire, la science, la mythologie et le mass-média. Bien qu’amené avec beaucoup de soin, et du point de vues de personnes auxquelles beaucoup parmi le lectorat s’identifieront, la charge culturelle de Funérailles est lourde. D’ailleurs plusieurs relectures peuvent s’imposer pour bien tout assimiler.
Mais n’est-ce pas aussi un atout? Ne s’en voudrait-on pas de ne lire qu’une fois ce que certains ont mit tant de soin à construire?
Le chemin à suivre pour produire son œuvre pousse Maudoux toujours plus loin dans son travail de recherche, tant au niveau culturel que graphique.
Dans le premier cas, on dénote un complexe mélange de cultures latines, de références culturelles variées (le Magicien d’Oz, Clint Eastwood, Batman, Biomens, Zardoz, Bruce Lee, Saint Seya, mythes greco-romains, bibliques et celtes) et d’études sociales qui force l’apparition d’une gamme de personnages très variés et d’une histoire très, très fournie. Dans le second cas, il est immanquable de noter l’influence du manga dans son style de dessin. Ceux-ci sont très dynamiques et le plus souvent sans couleurs. L’anatomie un sujet omniprésent tant l’auteur s’échine à représenter ses protagonistes nus ou pas loin, avec une maîtrise du mouvement aussi poussée et délirante que possible.
Audace et innovation
Deux qualités majeures portées à son paroxysme par le savoureux mélange d’un scénario tordu, de personnages fort en caractère, d’amalgame culturels variés et de graphismes aussi explosifs que sombres.
Tant de raisons qui me pousse à vous inviter, humblement, a poser votre regard sur ces œuvres.