« Oppenheimer » de Christopher Nolan et le « Projet Manhattan » au cinéma
Inspiré de l’histoire vraie du « Projet Manhattan », la course à la bombe atomique, Oppenheimer n’est pas le premier film à aborder ce sujet capital de l’histoire du monde. Rapide survol des œuvres qui avant le film de Christopher Nolan ont abordé ce sujet dramatique.
Le film de Christopher Nolan
Ce biopic, financé par Universal Pictures à hauteur de 100 millions de dollars, s’annonce passionnant et va sortir à la mi-juillet sur nos écrans. Il retrace la vie du physicien Robert Oppenheimer qui fut à la tête de la recherche américaine pour développer une bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faudra bien trois heures en IMAX au réalisateur anglo-américain Christopher Nolan (The Dark Knight, Inception, Interstellar, Dunkerque, Tenet) pour aborder un sujet aussi complexe. Parions que ce film ne sera pas seulement un blockbuster mais aussi un film intelligent et original, à l’image de son réalisateur.
Secret sur sa vie privée, ne possédant ni mail ni smartphone, philosophe et inspiré par le graphiste Maurits Cornelis Escher, le peintre Francis Bacon, les architectes Frank Lloyd Wright, Gropius, Mies van der Rohe, les écrivains Chandler, Elroy, Dickens, Nolan est un personnage atypique. Son cinéma qualifié de postmoderne est influencé par le Film noir. Il donne une place très importante à la musique dans son œuvre, expliquant : « J’ai toujours aimé les films qui abordent le son de manière impressionniste. Je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle on ne peut atteindre la clarté que par le dialogue. »
Le Projet Manhattan
Le contexte du film est la course à la bombe atomique lancée dès avant le début de la guerre. Dans les années trente ce sont surtout les Allemands et les Anglais qui s’avancent dans ces recherches. Les mesures antisémites des nazis chassent d’Allemagne nombre de savants et Prix Nobel juifs qui se réfugient au Royaume-Uni et aux USA. Cela ralentira de manière décisive la bombe allemande. L’Angleterre n’ayant pas assez de moyens pour y arriver, elle transfère aux USA ses connaissances.
Une lettre de Einstein au président Roosevelt en 1939 l’avertit contre le danger de voir les nazis avoir la bombe les premiers. Le Projet Manhattan est alors lancé. Il va mobiliser jusqu’à 130 000 personnes aux USA pour un budget de deux milliards de dollars de l’époque (32 milliards aujourd’hui). Une vraie ville sera construite en un temps record au milieu du désert, à Los Alamos au Nouveau-Mexique. Un premier essai de bombe, l’essai Trinity, aura lieu en juillet 1945. Puis ce seront les bombardements d’août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki.
C’est un projet pharaonique qui doit être mené le plus rapidement possible, une course contre la montre. Excellent scénario de film, évidemment. Et pourtant, tout est vrai.
Le vrai Oppenheimer
Né à New York en 1904 dans une famille de Juifs allemands fortunés, intellectuels et libéraux, son engagement plutôt à gauche lui vaudra souvent des soucis dans sa carrière. Il est surnommé le « père de la bombe nucléaire » mais il faillit ne jamais l’être car les services de sécurité craignaient qu’il s’oppose à une utilisation militaire de la bombe. Après la guerre, pendant la période du maccarthysme, son accréditation de sécurité lui sera retirée car il s’oppose au développement d’armes thermonucléaires. Elle lui sera rendue plus tard.
C’est un physicien de génie, spécialiste de physique théorique, mécanique quantique, physique des particules, physique nucléaire. Grâce à lui l’Université de Californie à Berkeley où il travaille devient un des plus importants centres de recherche en physique au monde.
On lui doit aussi le développement de la théorie des trous noirs dans l’univers. Pour toutes ces qualités il est nommé directeur scientifique du Projet Manhattan.
Top secret
« Ce qui se passe ici reste ici. », cette phrase devenue célèbre a été utilisée pour la première fois à Los Alamos pour garder le secret autour du développement des premières bombes nucléaires. Pour éviter que le bruit des recherches ne filtre à l’extérieur, toutes les 130 000 personnes travaillant sur le Projet Manhattan ne connaissaient qu’un partie seulement du but et jamais sa totalité. Seules une dizaine de personnes au monde connaissaient le but complet des activités à Los Alamos. C’est ce qu’on appelle la compartimentation des activités. Une vive censure fut décrétée aux USA et même les livres scientifiques qui parlaient de physique nucléaire furent retirés des bibliothèques publiques.
Les services secrets étrangers ont bien compris qu’il se passait quelque chose à Los Alamos et ont essayé d’infiltrer les laboratoires. Les USA redoutaient aussi les sabotages. Les Allemands n’y sont pas parvenus. Seuls les Russes ont fini par découvrir le secret mais ils avaient déjà pris trop de retard pour pouvoir rattraper les Américains. Lorsque la guerre s’est terminée en Europe, les Soviétiques ont essayé de récupérer le maximum de savants atomistes allemands pour profiter de leurs connaissances, ainsi que des lieux de fabrication atomiques en Allemagne et dans les pays occupés. Les Américains ont fait la même chose lors de l’opération Paperclip.
Les Enchaînés, de Hitchcock (1947)
Tourné en 1946 dans les mois qui suivent les explosions de Hiroshima et Nagasaki, c’est un projet qui inquiète le FBI en raison de ce qui pourrait bien y être raconté, et de ce qui pourrait y être dévoilé. Des pressions sont exercées sur les producteurs qui préfèrent refiler la patate chaude à d’autres. La RKO Radio Pictures n’a pas peur et se lance dans l’aventure.
Le scénario est édulcoré pour éviter la confrontation avec les services secrets américains, il y a une autocensure évidente.
C’est l’histoire de la fille (Ingrid Bergman) d’un Américain d’origine allemande devenu espion pour le compte des nazis. Il est découvert, condamné à la prison et se suicide. Elle tombe amoureuse d’un espion américain (Cary Grant) qui va lui proposer une mission au Brésil où se sont réfugiés d’anciens nazis. Elle devra démasquer leurs intrigues en Amérique du Sud, et va tomber sur un trafic d’uranium, destiné bien sûr à fabriquer une bombe atomique. À aucun moment des mots comme « bombe » ou « Hitler » ne sont prononcés, c’est encore trop douloureux, trop dans l’actualité. Ni bien sûr « Projet Manhattan », ni aucun nom de savants comme Oppenheimer ou Einstein qui sont encore actifs dans le programme nucléaire américain.
Le Grand Secret (1952)
Dans ce film qui sort sept ans après les explosions du Japon, la censure est déjà moins visible. On y parle ouvertement de ces bombes et le film est un biopic qui s’attache à la vie du lieutenant-colonel Paul W. Tibbets Jr., le pilote de l’avion qui a largué la bombe sur Hiroshima. L’avion avait été appelé l’Enola Gay par son équipage, qui est le nom de jeune fille de la mère du pilote. Le groupe de New Wave Orchestral Manœuvres in the Dark (OMD) sort aussi une chanson baptisée Enola Gay sur ce thème en 1980.
Le film raconte d’une part l’histoire d’amour difficile entre le pilote (Robert Taylor) et son épouse (Eleanor Parker), car l’éloignement et la mise au secret du pilote influe négativement sur sa vie amoureuse. D’autre part il retrace les efforts de l’équipe qui a préparé le bombardement, et leur entraînement. En effet, lorsque l’équipage a largué la bombe à 10 000 mètres au-dessus d’Hiroshima, ils ont disposé de quarante secondes, temps de la chute de la bombe, pour s’éloigner de douze kilomètres du point d’impact pour avoir une chance de survivre à l’explosion.
La série Manhattan (2014-2015)
Elle raconte l’histoire du Projet Manhattan et se déroule en 1943 en plein désert du Nouveau-Mexique, à Los Alamos. C’est une série en deux saisons et vingt-trois épisodes avec Harry Lloyd, Ashley Zukerman, John Benjamin Hickey, Daniel Stern et Rachel Brosnahan, entre autres. Elle n’a pas encore été diffusée dans les pays francophones.
Robert Oppenheimer est confronté en 1942 à la difficulté d’avoir des équipes qui travaillent dans des lieux très éloignés les uns des autres sur tout le territoire américain. Il connaît la région de Los Alamos pour y avoir passé beaucoup de temps dans sa jeunesse. Après l’avoir à nouveau explorée avec le général Leslie Groves et le physicien Ernest Orlando Lawrence, il choisit ce lieu éloigné pour y concentrer les activités du Projet Manhattan. Le site de Los Alamos est renommé Site Y pendant la durée du projet, et il est si secret que, pour toute la correspondance des dizaines de milliers de personnes y travaillant, il ne possède qu’une boîte aux lettres unique, la numéro 1663, à Santa Fe.
BD La Bombe (2020)
C’est une BD historique en noir et blanc d’Alcante (scénario), Bollée (scénario) et Denis Rodier (dessin). Elle raconte elle aussi les étapes de la construction des bombes atomiques américaines, le premier essai nucléaire appelé Trinity, et le lancement de Little Boy, surnom de la bombe qui a explosé sur Hiroshima. Originalité, le narrateur de l’histoire est l’uranium, et le personnage principal est Leó Szilárd. Il ne cesse de mettre les savants et les militaires face à leurs responsabilités.
Leó Szilárd (1898-1964) est un physicien d’origine hongroise qui a dû quitter Budapest car en tant que Juif il est soumis à l’université à un numerus clausus. Il étudie à Berlin où il rencontre Albert Einstein et Max Planck. Il doit à nouveau quitter Berlin en 1933 avec Einstein à l’arrivée d’Hitler. Aux USA il dépose avec Enrico Fermi le brevet du premier réacteur nucléaire. Il pousse Einstein à écrire au président Roosevelt, lettre qui initie le Projet Manhattan auquel Szilárd va participer. Il avait une excellente vision de l’avenir qu’il arrivait à prédire avec exactitude. Pour cette raison, il vivait avec ses valises toujours prêtes pour partir. Il disait : « Il suffit de prendre le train le bon jour. »
Pour le film Oppenheimer rendez-vous dans les salles en Belgique et en France le mercredi 19 juillet.