Il semblerait que le réalisateur adulé Christopher Nolan ait quelque peu dévié de sa trajectoire initiale, lui qui nous promettait un film de science-fiction révolutionnaire dans la droite ligne de Star Wars a changé de destination. Il a suffi qu’un ami à lui lui tende le livre American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer pour que Nolan, subjugué par le sujet, décide d’en faire un film grandiose.

Plus proche d’un film biographique que d’un événement scientifique majeur, le long métrage raconte l’histoire de Robert J. Oppenheimer, physicien américain qui, avec l’aide de brillants savants juifs fuyant le nazisme, va créer une arme capable d’anéantir une ville entière en un claquement de doigts. Après la date fatidique d’Hiroshima et de Nagasaki, le film se focalise sur l’animosité que le secrétaire du commerce Lewis Strauss éprouve envers notre protagoniste.

Fruit de la magistrale maîtrise de son metteur en scène, Nolan n’a pas lésiné sur les moyens du film : création d’une pellicule spéciale, utilisation de 18 km de pellicule et reproduction identique de l’explosion test du projet Manhattan. La narration est  scindée entre trois procès issus de temporalité différente, n’échappent pas à la  vision morcelée du réalisateur (Tenet, Interstellar, Dunkerque, Memento) et compare avec The Social Network de son ami David Fincher. Quant au montage tout aussi brillant et saccadé soit-il, se rapproche fort du JFK d’Oliver Stone. Il est cependant évident que les deux domaines cités ci-dessus, ainsi que la  photographie, voire la réalisation valent au projet de nombreuses nominations aux  Oscar.

Avec sa myriade de stars à faire pâlir le moindre projet de Wes Anderson, telles que Cillian Murphy, Emily Blunt, Florence Pugh, Matt Damon, Kenneth Branagh, Casey Affleck ou Rami Malek, celui qui vole la vedette du film n’est autre que Robert Downey Jr, dont l’interprétation de Lewis Strauss vaudra sans doute également une nomination. Il faut savoir que l’Academy of Motion Picture raffole de projets glorifiant l’Amérique et où les dirigeants politiques peuvent se regarder le nombril en étant persuadés d’avoir sauvé le monde sans aucune critique.

Le casting du film Oppenheimer ©Alan Chapman/Dave Benett/WireImage

Ici comme depuis sa trilogie Batman, le Britannique Christopher Nolan a tronqué l’absurde et la modestie de ses compatriotes pour embrasser la vision géopolitique des États-Unis. De nombreuses critiques fusent quant à la quasi non-existence des natifs vivant sur les terres du projet Manhattan avant d’en être chassés et d’en subir encore aujourd’hui les effets dévastateurs de la radioactivité du site, sans parler du traitement des personnages féminins.

Il est clair que l’invention de la bombe H fut un moment charnière de l’histoire américaine, jusqu’à la reproduction de celle-ci par l’URSS les Etats-Unis dominèrent totalement le monde pendant un moment menant le globe vers la paranoïa d’un conflit nucléaire, perçu lors de la crises des missiles en 1963 et récemment avec l’invasion en Ukraine. Mais comment évoquer avec autant de simplicité militaire l’impact humain des dégâts causés après le largage de la bombe ? Comment ce film sera-t-il perçu en Extrême-Orient, et surtout au Japon ?

En fin de compte, le choix de Nolan d’explorer ces aspects cruciaux de l’histoire humaine rappelle que le cinéma peut servir de miroir puissant pour examiner notre passé et notre présent, tout en soulevant des réflexions sur notre avenir collectif. Et tandis que le film pourrait être encensé par certains pour son ambition et son impact, il est également exposé aux regards scrutateurs de ceux qui recherchent une représentation fidèle et nuancée des événements historiques.