Mais que fait un saint égyptien en Isère, à Saint-Antoine l’Abbaye ?
Et pourquoi ses attributs de saint sont-ils un porc, une clochette, une croix en forme de T ? Découvrez la très belle bourgade de Saint-Antoine l’Abbaye en Isère et l’étrange saint égyptien qu’elle abrite.
Illustration: vitrail de Saint-Antoine au sein de l’abbaye
Antoine était le fils de paysans aisés d’Égypte, fervents chrétiens. Il est né vers l’an 251 à Hérakléopolis Magna (aujourd’hui Qeman, dans le gouvernorat de Fayoum) dans la vallée du Nil. Il a dix-huit ans lorsque ses parents meurent tous les deux et il doit prendre en charge sa jeune sœur. Touché par le message du Christ, il abandonne tous ses biens aux pauvres, place sa sœur dans un temple comme « vierge consacrée » et à l’âge de vingt ans il devient un anachorète, c’est-à-dire une personne qui s’est retirée du monde pour se consacrer à la prière et à Dieu, et qui vit seule dans un désert, de manière ascétique, dans la pauvreté et la chasteté.
La ferveur toujours présente à Saint-Antoine © photo Grégoire Tolstoï. Saint Antoine par Francisco de Zurbarán, XVIIe siècle, Palazzo Pitti © Wikipedia Commons
C’est un synonyme d’ermite. Les anachorètes se soumettaient à un rite de consécration, comme des religieux, à la suite de quoi ils étaient considérés comme « morts au monde » symboliquement, sorte de saint vivants. Mais en 285 sa réputation de saint homme est telle que son désert est envahi de pèlerins et de disciples. Il s’en va plus loin pour mener une vie isolée, et trouve refuge dans un vieux fortin romain abandonné sur la route de la Mer Rouge. Là il subira de nombreuses attaques du démon qui le poussera à la tentation pour qu’il s’écarte de la voie de la sainteté.
Fresque dans l’abbatiale © photo Grégoire Tolstoï
En vain car Antoine ne se laissera pas impressionner. Il recevra par la suite les surnoms d’Antoine le Grand, Antoine d’Égypte, Antoine l’Ermite ouplus simplement Antoine du Désert. Ces tentations de Saint Antoine ont donné lieu à de nombreuses œuvres d’art, tant en peinture qu’en sculpture. Citons parmi les nombreux artistes qui s’en sont inspirés : Jérôme Bosch, Pierre Brueghel, Velasquez, Michel Ange, Max Ernst, Dali, le retable d’Issenheim, ou encore Gustave Flaubert qui lui a consacré un livre. Antoine est considéré comme le fondateur du monachisme en raison des nombreux chrétiens qui l’ont imité.
Fresques dans l’abbatiale: la Pesée des Âmes, et St Christophe © photo Grégoire Tolstoï
Ces visions chimériques de Saint Antoine pourraient être dues à une intoxication à l’ergot du seigle. Cette maladie que nous connaissons bien de nos jours n’était pas connue dans les siècles passés et elle faisait parfois des ravages, d’autant plus que le pain était l’aliment de base des populations. So empoisonnement par l’ergot du seigle pouvait donner lieu à des crises de folie, ou mystiques, ou des hallucinations.
Saint Antoine portant le Tau, et l’être infernal soufflant contre lui le Mal des Ardents © R. A. Schwaller de Lubicz / Le Roi de la Théocratie pharaonique, Flammarion
On pense par exemple aux Possédées de Loudun en 1630 ou à la multiplication des cas de lycanthropie en France aux XVIe et XVIIe siècles, où plus de 30 000 personnes ont été brûlées, soupçonnées d’être des loups-garous, des sorcières et autres possédés. C’est pour cette raison que l’ordre des antonins, qui se développera bien plus tard, aura dans ses attributions de soigner les malades atteints de l’ergotisme, appelé aussi Mal des Ardents ou Feu de Saint-Antoine. En Flandres on invoque Saint-Antoine contre le zona.
L’entrée principale de l’abbatiale © photo Grégoire Tolstoï
Après la mort d’Antoine dans le désert en 356, à l’âge vénérable de 105 ans, son corps fut enterré en secret pour éviter la vénération. Mais rien n’y fit, et un siècle plus tard il fut retrouvé et déterré, puis emmené à Alexandrie. Lorsque les invasions arabes du VIIe siècle auront lieu, ses restes seront transférés à l’abri à Constantinople. Puis, un chevalier dauphinois nommé Jocelyn ramènera les précieuses reliques du saint dans son village de La Motte-aux-Bois, petite bourgade qui deviendra par la suite Saint-Antoine en Viennois. Les malades et les pèlerins affluent. La petit église en bois ne suffit plus et une grande église en pierre sera construite et consacrée le 20 mars 1119 par le pape Calixte II en personne. A la fin du même siècle elle sera remplacée par l’église gothique actuelle.
La châsse est bien gardée. Étrange autel d’inspiration orientale © photos Grégoire Tolstoï
En 1297 est créé l’Ordre des Antonins, qui reprennent la garde des reliques confiées précédemment aux Bénédictins. L’emblème des Antonins est le Tau, c’est-à-dire le T grec, ou copte, qui rappelle la croix du Christ. Ils le portaient de couleur bleue, brodé sur la poitrine de la robe de bure à capuchon. Clochette et bâton thaumaturgique sont des attributs traditionnels de Saint Antoine, ce qui explique que le bâton sur lequel les religieux s’appuient est surmonté d’un Tau. Ce signe est initialement une référence à l’initiale du nom grec de Dieu (Theos) mais il est devenu chez cet ordre l’emblème héraldique d’une béquille, rappel de la canne des infirmes que les Antonins soignaient, ainsi que des lépreux qui prévenaient de leur approche en agitant une clochette en amulette sur lequel était gravé ce signe. On retrouve le Tau gravé et buriné partout dans la ville de Saint-Antoine l’Abbaye.
La châsse de Saint-Antoine surmontée du fameux Tau que l’on voit dans toute la ville © photo Grégoire Tolstoï
L’Ordre des Antonins est donc un ordre hospitalier qui, pour avoir de la viande pour soigner les malades, reçoit le privilège de laisser errer ses porcs en liberté, avec une clochette au cou pour qu’on les reconnaisse. Raison pour laquelle en Italie on l’appelle parfois Antonio del Porco, ou Saint Antoine des Cochons. L’Ordre va devenir riche et puissant, il se répand dans toute l’Europe et jusqu’en Terre Sainte. C’est toute la Chrétienté qui va défiler à Saint Antoine l’Abbaye : évêques, papes, rois, princes viennent en pèlerinage dans la petite cité. Au XVIe siècle les guerres de religion affectent profondément l’abbaye, suivi au XVIIe siècle par une période de reconstruction. Mais l’Ordre va péricliter avec le temps et ses biens et activités seront repris par l’Ordre de Malte en 1777. Pas pour longtemps, car la révolution vendra les bâtiments comme bien nationaux. L’église deviendra juste une église paroissiale. Elle sera heureusement classée en 1840.
L’habit de l’Ordre des Antonins avec le Tau bleu brodé © Wikipedia Commons. Beaucoup de fresques de l’abbatiale ont été recouvertes d’un enduit à la révolution française, ce qui les a en partie préservées. Malheureusement les points de colle sont encore visibles © photo Grégoire Tolstoï
Je ne peux que vous en conseiller la visite. La châsse contenant les reliques de Saint Antoine est impressionnante, il y un trésor que vous pouvez voir. En raison des origines étrangères de ce saint qui repose en partie en terre française, Saint Antoine est le patron de la Légion Étrangère, mais aussi celui des vanniers et des creuseurs de tombes… Saint Antoine se fête le 17 janvier, mais la température hivernale a amené les Antonins à réunir le chapitre de l’Ordre pour la fête de l’Ascension. C’est à cette date que la paroisse organise, après la célébration de la messe, la procession des reliques du Saint dans la Grande Cour. Son orgue magnifique donne lieu à un festival durant l’été : Musiques d’Europe, sur les pas des Antonins. Cette année le XXXIIe Festival de Musique Sacrée à lieu du 23 juin au 29 septembre 2024. Consultez le programme ici.
Découvrez la Chapelle Saint-Yves à Saint-Brieuc, une œuvre d’art total et unique !