Dans un monde préhistorique, un homme des cavernes et un dinosaure unis par un passé tragique voyagent côte-à-côte. Leurs noms ; Spear et Fang. Cette production de Genndy Tartakovsky, cinéaste vétéran du monde de l’animation, emporte le spectateur dans un monde cruel et sauvage, à mi-chemin entre la fin des dinosaures et l’aube de l’humanité.

Entamons l’analyse de cette petite série par sa caractéristique la plus étonnante ; elle est muette. Pas un mot, pas une phrase structurée. Là où d’aucun aurait ménagé un minimum de dialogue sous forme orale et construite, Tartakovsky et son équipe nous lâchent dès la première scène dans un vocabulaire à base de plans fixes, de bruits, d’actions et de jeux de regards, de lumières et d’ombres. Car après tout, dans un univers préhistorique, qui s’embarrasserait d’un vocable élaboré ? Certainement pas Spear, le personnage principal et homme des cavernes de son état. La relation entre ce semi-primate et Fang, son compagnon dinosaure, se prête sans arrêt au renouvellement de ces codes de discussion primordiaux.

Le spectateur n’a donc aucune difficulté à s’immerger dans un univers sauvage, où la vie n’est qu’une succession de petits drames cruels. Depuis les pertes communes vécues par Spear et Fang jusqu’aux astuces déployées par cet improbable duo pour survivre, la dure réalité des âges farouches rythme chaque épisode, à chaque fois avec une contrainte nouvelle ; prédateurs, froid mortel, cohabitation, alimentation, découvertes d’autres ethnies…

La diversité ne manque pas, quand bien même quelques ajouts ont été faits pour éviter de trop tourner autour du pot. Par exemple avec l’intégration dans ce monde si sauvage de pré-civilisations d’hommes des cavernes en proie aux caprices des derniers dinosaures, ou de leurs propres vices. On retrouve d’ailleurs ici une influence notable des aventures de Conan le cimmérien, de Robert Ervin Howard, l’un des pères de la fantasy moderne. Le look de Spear pour commencer. Son regard, son aptitude indiscutable à casser des mâchoires et inventer toutes sortes de stratagèmes pour se sortir de situations inextricables, l’ensemble du personnage semble être une énorme dédicace au légendaire barbare interprété au cinéma par des acteurs comme Arnold Shvarzenegger ou Jason Momoa….

Au détail près que ce Conan-ci est absout de toutes paroles, ce qui porte d’autant plus l’attention sur les aspects moins bourrus du personnage, chose heureuse car la série ne manque pas de flaques de sang.

Outre Conan lui-même, l’univers de la série ressemble en de nombreux aspects à celui du cimmérien ; clans primitifs, cultes violents, bêtes monstrueuses, duels homériques et paysages de rêves. On notera aussi que Robert E. Howard avait lui-même, pour ses débuts dans le pulp mag Weird Tales, rédigé une nouvelle nommée Spear and Claws se déroulant dans un univers similaire à celui de Primal.

Monde sauvage, personnage astucieux, cinéma muet, quel savoureux mélange. Mais pour en pousser plus avant l’analyse, portons notre attention sur le producteur de Primal : Tartakovsky

De son nom complet Genndy Borisovich Tartakovsky, n’est pas un petit nouveau dans le monde de l’animation. Connu depuis les années 90-début 2000 pour la réalisation de plusieurs cartoons, parmi lesquels Le laboratoire de Dexter, les Super-nanas, ou encore Samurai Jack, Genndy a une approche singulière de l’animation.

Son style, axé sur le dynamisme et le jonglage entre des plans de profil et centraux, est particulièrement exploré dans le cas du samurai ; la série regorge de longs instants de silence, voire même de petits courts-métrages muets, entièrement consacrés à la seule action et à l’astuce déployée par le personnage de Jack, toujours en position de faiblesse par rapport à un monde qui veut sa peau. Primal était donc la suite logique de ce dessin animé désormais ancré dans la pop-culture.

Autre caractéristique propre aux collaborateurs de Tartakovsky ; les graphismes. Primal est réalisée à l’aide de procédés « old school » : aplats de couleurs, animation en frame par frame, le tout en 2D. Ce rendu « années 50 » accompagne les productions du réalisateur russo-américain depuis ses tout débuts, et n’a jamais été abandonné que lors de la production de la quadrilogie Hôtel Transylvania, complètement hors-contexte. Ici, elle est particulièrement mise à contribution lors des nombreux plans de profil, des face-à-face et effets d’ambiance vibrants qui jalonnent les paysages colorés de la série.

Immersion et créativité, ne sont-ce pas les meilleures qualités d’un film d’animation ?

Je me plais à observer que le monde moderne laisse une place de plus en plus grande à cette facette du cinéma, et que ceux qui y officient renouvellent par mille et une façons les personnages-types et les procédés auxquels plusieurs générations d’auteurs et d’animateurs nous ont habitués. Les concepts que sont Spear et Fang, un bourru au grand cœur et une bête pas si sauvage que ça, n’ont rien d’originaux. Rien, sinon le contexte dans lequel ils évoluent et la façon dont l’animation et l’atmosphère sont traitées. Autant d’aspects qui permettent à d’éternels clichés de revivre, encore et toujours, sous les doigts habiles des vidéastes de notre temps.

Oui, Primal n’est pas une série qui sidère, surtout au beau milieu des nouveautés -graphiques et scénaristiques- proposées par les studios de notre époque, tels que Netflix ou l’Atelier. Fidèle aux recettes les plus élémentaires du Septième Art, elle brille par la profondeur que révèlent sa simplicité, et l’extrême soin apporté à la composition de chaque épisode.

Deux qualités puissantes au nom desquelles je vous recommande humblement cette production.