Elle joue, elle écrit pour le théâtre et a signé cette année son premier roman « J’ai tout dans ma tête ». C’est Rachel Arditi à l’affiche de « PUNK.e.s ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres », pièce qu’elle a co-écrit avec Justine Heynemann, à l’affiche également de « Songe à la Douceur », adaptation du roman de Clémentine Beauvais,  et initiatrice avec ses frères et sœurs de l’exposition sur l’œuvre de son père Georges Arditi actuellement au musée « La Piscine » à Roubaix.

Entrée en matière

C‘est un jeudi matin, il est 11h, Rachel Arditi est à Paris, je suis à Marseille, c’est derrière les écrans que nous faisons connaissance.

J’avais envie d’aborder votre travail sous un angle transverse : quels sont les points communs, ou quelle est la continuité, entre votre posture de comédienne, celle de co-autrice, co-autrice qui joue, et puis romancière ?  

C’est vraiment une affaire de regards : le fait d’être devenue, par l’écriture, un possible regard sur les choses. Je pense qu’il y avait une sorte d’insatisfaction à être celle qui est constamment regardée. Et d’avoir compris que je pouvais aussi me déplacer, me mettre à regarder, et donc à compléter, cela a complètement changé aussi ma manière de me laisser voir, par exemple.

PUNK.E.S, Justine Heynemann, Rachel Arditi © Arnaud Dufau

Le sentiment d’accomplissement, de très grande liberté que procure l’écriture, a infusé tous les autres domaines de ma vie, y compris le jeu.

Pouvez-vous me dire si votre roman « J’ai tout dans ma tête» est une autofiction ?

Il y a une partie du livre qui est très autobiographique, qui est « mon père », même si j’ai remanié la réalité, puisque les événements ne se sont pas produits nécessairement dans cet ordre, n’ont pas nécessairement été ceux-là. Je les ai réinventés avec mes souvenirs, mais disons que le personnage, je l’ai voulu quand même le plus proche possible de la vision que j’en avais, donc de ma réalité.

J’ai tout dans ma tête, le roman de Rachel Arditi © Flammarion

Pour le reste, j’ai l’impression d’avoir eu besoin de raconter un certain nombre de choses sur, justement, ce point de navigation entre être regardée et regarder. Et donc j’ai le sentiment de ne pas être trahie, d’avoir dit des choses vraies, même si c’est totalement inventé.

Écrire, c’est pouvoir devenir son propre narrateur, c’est-à-dire pouvoir se mettre à côté de soi-même, et passer du « je » au « elle », par exemple, même si ça peut rester un « je » – en l’occurrence, moi je parle à la première personne du singulier dans le livre. C’est le sens de ce que dit la narratrice à un moment dans le livre : « écrire, c’est se regarder vivre de dos ».

Et pourquoi le choix du « je » et non celui du « elle » ?

Parce que ce n’était pas possible avec mon père, c’était absolument impossible. Je l’ai essayé, mais c’était faux, ça sonnait absolument à côté, ça n’aurait pas été possible, pas pour ce roman. Mais la question s’est vraiment posée. Ce qui est assez passionnant dans l’écriture, c’est que les questions qu’on se pose se résolvent par l’objet littéraire lui-même, c’est l’écriture qui les résout.

Le spectacle Punk.e.s © Punk.e.s

Et finalement, c’est aussi ça, le sujet du livre : est-ce que je peux me prendre en charge, puis-je devenir ma propre narratrice, raconter ma propre histoire ? Est-ce que je peux écrire ma propre histoire, l’inventer, ou est-ce que pour toujours, je vais être celle qui attend des instructions sur un plateau et qui attend d’être aimée et regardée ?

Votre père était artiste, vos frères et soeurs le sont également, ils sont comédiens. Qu’est-ce que votre père vous a transmis en termes de créativité, de création ?

C’est de l’ordre d’une nécessité à exprimer quelque chose. Une nécessité de jouer, une nécessité pour lui de peindre… Ce qu’il nous a transmis est multiple. Lui, je pense qu’il avait cette sorte de nécessité absolue de peindre, de dessiner, de représenter le monde qu’il voyait par ce médium-là.

Georges Arditi, autoportrait, 1994 © Artnet.fr

Moi, c’est plutôt les mots et toutes leurs possibilités, c’est-à-dire soit les dire, soit les écrire, ce qui revient en fait au même d’une certaine manière. Enfin, il y a un endroit où c’est la même chose. Quand j’écrivais, j’entendais ce que j’écrivais. D’ailleurs, le roman est assez oral. Il pourrait parfaitement être un objet théâtral.

Il m’a transmis cette sorte de nécessité qui ne relève pas d’une volonté. C’est quelque chose qui nous précède, et qui relèverait plutôt d’un tempérament peut-être, ou, je ne sais pas, d’un traumatisme. Je crois qu’il nous a transmis aussi une sorte d’énergie. L’énergie à y aller, à aller au bout, à ne pas faire beaucoup de concessions.

Focus sur « Punk.e.s ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres »

Si nous abordons le spectacle que vous avez écrit avec Justine Heynemann, comment avez-vous collaboré ensemble ?

Avec Justine Heynemann, on s’est rencontrées il y a plus de 12 ans. Je jouais un « seul en scène », elle m’avait vue jouer et elle avait eu envie qu’on travaille ensemble. J’étais allée voir son travail, j’avais été très emballée par l’énergie qui se dégageait du plateau. Pendant longtemps, on a cherché un texte que je pourrais jouer. On avait trouvé un roman qu’on aimait bien, un roman de Nathalie Kuperman qui s’appelle La Loi Sauvage qu’on a adapté.Mais pour plusieurs raisons, on a finalement abandonné le projet.

Justine Heynemann © Giovanni Cittadini

En tout cas, on s’est découvertes l’une l’autre, un goût pour le travail sur le texte, le travail d’adaptation et surtout une compatibilité dans le travail très rare parce que c’est difficile quand, à l’écriture surtout, il faut laisser la place à l’autre. Je crois qu’on sait toujours se laisser la place.  

Ensuite, il y a eu un autre roman qu’on a adapté, celui-ci a vu le jour. Il a extrêmement bien marché (Les Petites Reines, d’après le roman de Clémentine Beauvais). Et puis un deuxième, qui a aussi été une merveilleuse aventure (Songe à la Douceur, d’après Clémentine Beauvais). Et tout à coup, on s’est dit « bon, maintenant ça suffit de faire des adaptations, on va écrire notre propre histoire » et ça a été Punk.e.s.

Quelle est la genèse de PUNK.E.S ?

Justine venait de lire par hasard De fringues, de musique et de mecs, le livre de Viv Albertine qui raconte notamment toute l’histoire du groupe The Slits. C’est très savoureux, très drôle, bien écrit. Justine avait très envie d’écrire sur uneaventure de plusieurs filles ensemble et pourquoi pas sur un groupe de musique. Elle avait adoré le livre. Elle m’a dit « lis-le, j’ai l’impression qu’il y a un truc». Et puis l’histoire démarre en 76 qui est notre année de naissance à toutes les deux.

Viv Albertine jouant avec son groupe punk-rock The Vivs © Wikipedia

Moi j’ai été punk quand j’avais 14 ans, exactement à l’âge de Ari Up la chanteuse.

Mais pour autant Punk.e.s n’est pas une adaptation du livre de Viv Albertine, d’autant plus qu’à plein d’endroits on a beaucoup inventé. Finalement c’est un prétexte pour parler d’un tas d’autres choses.

Comment définiriez-vous le punk ?

C’est un truc d’énergie, d’envie de tout envoyer péter, c’est sûr. Il y a évidemment une part assez grande de désespoir. C’est une sorte d’énergie de désespoir, mais ce serait très réducteur de dire que ça n’est que cela. Le « no future », ce n’était pas : on casse tout et on met fin à l’avenir. C’était presque le contraire, moi c’est comme ça que je l’entends :  on ne veut pas de ce futur, donc on va s’inventer le nôtre.

Et «do it yourself » c’est punk, c’est : « On le fait nous-mêmes. On ne sait pas le faire ? On le fait quand même. On ne nous autorise pas ? On le fait quand même ».  Donc il y a aussi, dans ce mouvement qui a été extrêmement rapide, un questionnement vital que connaissent tous les jeunes gens à un moment ou à un autre.

Punk’s Not Dead © VectorArtBox / DevianArt

C’est ce qui nous plaisait beaucoup dans l’idée de raconter une histoire qui se passait à ce moment-là, qui se passait avec des jeunes punks : c’était une façon de parler de la jeunesse, de l’adolescence, mais aussi de la création. Tout ça est mêlé. C’est le même mouvement vital pour n’importe quel être humain : ce qu’on fait de sa vie, et ce à quoi on renonce. C’est donc aussi une pièce sur ce que c’est que grandir, que ce soit dans le sens de mûrir ou de s’élever.

PUNK.E.S, de Rachel Arditi et Justine Heynemann, mise en scène Justine Heynemann

9 et 10 novembre à Tarbes

1er décembre à Achères

4 mars à Villeneuve-sur-Lot

8 mars à Monceau-les-Mines

15 mars à Vergèzes

21 mars : Courbevoie  

Du 27 mars au 6 avril à Paris, Théâtre La Scala

30 avril Conflans-Saint-Honorine

27 mai à Coye-la-Forêt

Affiche du spectacle à La Scala Provence © Punk.e.s

SONGE A LA DOUCEUR, d’après le roman de Clémentine Beauvais, mise en scène Justine Heynemann, adaptation Rachel Arditi et Justine Heynemann

14 novembre à Noisy le Sec, Théâtre des Bergeries

2 mars au Théâtre de St Maur

19 mars à Montigny le Bretonneux

22 mars à Argenteuil

26 mars à Corbeil-Essone

3 avril à Libourne

ADAPTATION de Culottées de Pénélope Bagieu au studio de la Comédie française mis en scène par Justine Heynemann du 25 janvier au 3 mars 2024

« J’ai tout dans ma tête » :  rencontre / lecture / dédicace le 6 novembre à la mairie du 5ème, Paris, dans le cadre des Lundis du Livre organisés par Eric Poindron. 

Georges Arditi (1914-2012) D’un réel à l’autre, au Musée de La Piscine à Roubaix.

Exposition du 7 octobre 2023 au 7 janvier 2024