Le collectif FIBRA, c’est l’union de trois péruviennes, Gianine Tabja, Lucia Monge et Gabriela Flores del Pozo. Artistes engagées, elles conçoivent des  installations bio-inspirées sous forme de sculptures, véritables œuvres d’art ! Actuellement, elles sont exposées, pour militer contre la déforestation et donner une voix intelligible à la Nature, au MAIF social club à Paris et ce jusqu’en juillet 2023.

Dans cette exposition, dénommée Le Chant des forêts, des artefacts : téléphones, micros, haut-parleur sont disposés artistiquement et harmonieusement, tous de champignons vêtus ! La fibre artistique du Collectif suscite un vif intérêt, ses auteures ont d’ailleurs été récompensées par le prix COAL, Art et environnement, en 2021. Récompense attribuée aux artistes particulièrement touchés par l’écologie. Les trois artistes à l’initiative du collectif FIBRA ont accepté de répondre, conjointement, à quelques questions pour notre magazine avec une grande amabilité.

FIBRA, Desbosque ©Juan Pablo Murrugarra

Quel est votre parcours scolaire et artistique ?

Nous sommes nées et avons grandi à Lima au Pérou. Nous avons commencé par étudier l’Art à la Pontificia Universidad Católica du Pérou, où nous nous sommes rencontrées aux Beaux Arts. Gianine et Lucia se sont spécialisées dans la peinture, Gabriela, dans la sculpture. À la fin de nos études universitaires, chacune d’entre nous a poursuivi un troisième cycle : Lucia a obtenu un master en Art avec une spécialisation en sculpture à la Rhode Island School of Design (États-Unis), Gianine un master de Lettres en pratique artistique à la Glasgow School of Art (Royaume-Uni) et Gabriela, un master en Art public et nouvelles stratégies artistiques à la Bauhaus Universität Weimar (Allemagne). Avant de fonder le Collectif, nous avons non seulement étudié ensemble, mais nous avons également partagé un atelier.

Nous avons aussi, pendant un certain temps, créé collectivement des collections de vêtements et, même lorsque nous vivions dans des pays différents, nous nous retrouvions, virtuellement, pour des séances de critique de nos travaux respectifs afin d’en tirer des enseignements sur nos pratiques et décider des recherches futures.

Qu’est-ce qui vous a tant rapprochées ?

Nos études d’Art une fois terminées, nous avons commencé par partager un studio avec d’autres artistes à Lima. Nous avons collaboré de différentes manières depuis la fin de nos études universitaires. Peu après, nous avons fait partie d’un collectif de sept artistes avec lesquels nous avons organisé des manifestations artistiques dans des espaces publics. Nous avons toujours été très proches du fait de l’amitié et du travail collaboratif. Après avoir vécu dans différentes villes, nous nous sommes retrouvées, depuis fin 2018, à Lima et début 2019, nous avons décidé de travailler à nouveau en tant que collectif et avons fondé FIBRA.

Pourquoi avoir décidé de travailler à trois ?

Nous avons toujours été unies par l’amitié et la coopération dans le travail ! Ce qui a grandement facilité nos discussions et nos échanges. Nous avons beaucoup de respect pour les opinions de chacune d’entre nous, même lorsque nous sommes en désaccord. Nous pensons que le travail en collaboration nous enrichit individuellement et favorise, également, le projet collectif. Nous pensons, aussi, que c’est un acte de résistance, face à une société qui s’engage pour l’individu. Nous, nous nous engageons pour le collectif.

Combien de temps avez-vous mis pour créer Déforestation : déterrer les signaux

Nous avons commencé les recherches en 2019 et prévu d’ouvrir l’exposition au Musée d’Art Contemporain de Lima en 2020. Cependant, l’exposition a été interrompue par la pandémie mondiale. Pendant la période durant laquelle nous n’avons pas pu exposer, nous avons poursuivi nos recherches et participé à des conférences et à diverses publications. Nous avons également organisé la rencontre internationale Relaciones Entre : Arte,  ecología e interdisciplinariedad (Relations entre : art, écologie et interdisciplinarité). De cette manière, nous avons pu assurer la continuité du projet malgré l’isolement. Enfin, l’exposition a été réouverte au public en mars 2021.

Pourquoi avoir choisi le titre, Déforestation, déterrer des signaux , pour votre installation ?

La déforestation est le terme technique désignant la disparition progressive de la couverture forestière qui provoque le déséquilibre de l’état naturel des forêts. Le projet s’appuie, également, comme point de départ sur les réseaux de communication souterrains formés par les champignons et les arbres de la forêt, qui leur permettent d’échanger des informations et des nutriments. Le processus de communication proposé dans l’installation répond, non seulement, à une transcription chiffrée des données de déforestation mais aussi à une traduction poétique de ces signaux qui sont ainsi dévoilés et explicités.

Comment avez-vous procédé pour déplacer votre installation du Pérou à Paris, sans la détruire ni la perturber ?

L’œuvre Desbosque : desenterrando señales a été inaugurée au Musée d’Art Contemporain de Lima (MAC – Lima) en 2021 et a été exposée pendant environ cinq mois. Après cette période, les sculptures en mycélium ont été conservées dans un conditionnement particulier permettant de les protéger de l’humidité de Lima. 

Dans l’exposition Le Chant des Forêts au MAIF Social Club, vous trouverez certaines des sculptures en mycélium qui ont été exposées à Lima et d’autres que nous avons reconstruites. Le système de son et lumière est semblable à celui installé à Lima, mais il a dû être adapté à l’espace plus réduit du MAIF Social Club.

Le déplacement de l’exposition d’un lieu à un autre ne pose pas de problème réel, car nous disposons d’un protocole pour la mise en place de l’installation et ses composants peuvent être adaptés à différents espaces.

Qui a permis à votre installation d’être exposée ?

Le projet a été rendu possible grâce au soutien du Musée d’Art contemporain de Lima et de sa conservatrice Giuliana Vidarte. Sa réalisation et sa production ont été rendues possibles grâce à un prix du Ministère péruvien de la culture. La programmation autour de l’exposition a été soutenue par la « Fundación Telefónica Movistar » du Pérou. Nous avons également reçu le prix Forêt de COAL en 2021, ce qui nous a permis de poursuivre notre travail et nos recherches sur le sujet. Enfin, la présentation du projet à Paris a été rendue possible grâce à l’invitation et au soutien de la Résidence avec la Fondation LAccolade et Lauranne Germond, commissaire de l’exposition Le Chant des Forêts au MAIF Social Club.

Quels matériaux avez-vous utilisés pour cette magnifique installation ?

Pour réaliser les sculptures, nous avons utilisé des matières organiques telles des déchets de maïs et de blé afin de favoriser la culture de champignons,  pleurotes et ganodermes. La prolifération de ces champignons compacte la matière organique, qui finit par prendre la forme des moules que nous avions créés pour les outils de communication humaine, tels que les mégaphones, les haut-parleurs, les écouteurs, entre autres.

Le système d’éclairage est composé de lampes LED qui retranscrivent une vidéo des alertes s’appuyant sur les données de déforestation entre 2015 et 2019. 

Le système de sonorisation a été conçu par l’artiste sonore, Brian House, qui a créé un logiciel spécialement pour ce projet et a traduit les données de déforestation ainsi que les alertes.

Quelles sont vos sources d’inspiration artistique ?

Nous pensons à notre travail en relation avec les artistes péruviens Elizabeth Lino et Antonio Paucar. Ainsi qu’avec l’artiste Francisco Mariotti, dont les œuvres remettent en question la pseudo division entre nature et technologie. Nous partageons des affinités avec les artistes Cecilia Vicuña et Maria Thereza Alves. Elles développent, elles aussi, des projets liés aux questions territoriales dans une perspective décoloniale et affirment de nouvelles façons d’être au monde, sans hiérarchie. En termes de références théoriques, nous apprécions beaucoup le travail d’Anna L Tsing, de María Galindo, de Bruno Latour, de Rita Segato, de Donna Haraway et de Victor Vich, parmi beaucoup d’autres.

Avez-vous toujours été préoccupées par le devenir de nos forêts ? Quel a été l’élément déclencheur ?

Nos pratiques individuelles ont toujours été liées aux questions sociales et environnementales. Être à l’écoute des communautés humaines au-delà des différences, être à l’écoute des pierres et, avec elles, se connecter aux temporalités géologiques, être à l’écoute des plantes pour approcher d’autres manières d’être et d’habiter le monde… autant d’approches que chacune d’entre nous développe dans ses propres recherches. Au sein de FIBRA, nous relions ces approches et ces préoccupations qui ont toujours été présentes dans notre vie et notre travail.

Êtes-vous convaincues de l’impact réel de vos créations ?

Nous pensons que notre travail fait partie d’un réseau d’efforts engendrés par de nombreuses disciplines, connaissances et lieux. Le changement ou l’impact résulte de la somme de toutes ces énergies !

Que voudriez-vous faire de plus pour l’environnement ?

Les questions sur lesquelles nous travaillons sont complexes et nécessitent donc des recherches approfondies afin d’aborder les différentes couches et approches des problèmes environnementaux. Desbosque a été un projet de deux années de recherche théorique, de recherche matérielle et d’apprentissage en collaboration avec d’autres espèces. En suivant cette ligne de travail, nous avons commencé une enquête sur les marées noires qui se produisent, fréquemment, en Amazonie et sur la côte péruvienne. Nous avons commencé par étudier les contextes dans lesquels ces déversements se produisent et les effets qu’ils ont sur les écosystèmes et toute la biodiversité. Dans le cadre du processus de recherche, nous produirons des pièces et nous aurons un projet artistique où toutes ces recherches à long terme seront rassemblées. 

Avez-vous une anecdote particulière sur vos créations ?

Nous n’avons pas d’anecdote particulière, mais nous pensons que chaque projet dans lequel nous nous embarquons est un nouveau voyage, où non seulement nous tirons des enseignements et faisons des recherches sur le sujet et les matériaux, mais où nous apprenons, aussi, quelque chose de nouveau sur nous-mêmes.  

Nous pensons qu’il est parfois très amusant de travailler ensemble, l’humour et le jeu font partie de nos séances de travail, mais… il y a aussi des moments de négociation et de compromis !

Préparez -vous une nouvelle exposition ? Quand ? Où? Quelle(s) œuvre(s) y  seront exposées ?

Nous poursuivons nos recherches sur les effets secondaires de la culture du palmier  pour en extraire l’huile de palme et avons réalisé une sculpture que nous exposerons aux États-Unis, nous animerons, également, un atelier au Costa Rica sur le royaume des champignons, les collaborations et les réseaux de création, et enfin, en décembre, nous rencontrerons le réseau d’artistes et d’organisations environnementales GALA, initié par Yasmine Ostendorf, qui se réunira au Chili.


Le Chant des Forêts, du 1 octobre 2022 au 22 juillet 2023. Entrée libre, sans réservation. MAIF Social Club, 37 Rue de Turenne.