Auteur-compositeur et interprète, Jean-Louis Murat naviguait souvent à contre-courant dans les eaux du show-biz français. Certaines de ses mélodies se sont nichées dans nos mémoires sans qu’on y prenne vraiment garde. Il avait un public fidèle, il était reconnu pour son immense talent. Le public belge lui était d’ailleurs acquis depuis longtemps, mais quel homme se cachait derrière ce regard azur et cette voix caressante et sensuelle, au timbre si particulier ?

Le 25 mai 2023, Jean-Louis Murat nous a quittés, tellement vite qu’il a laissé ses fans abasourdis. Une embolie pulmonaire a emporté ce chanteur unique en son genre dans le paysage musical francophone. Si les années avaient quelque peu marqué ses traits, il avait gardé des moues d’adolescent boudeur, qui faisaient oublier ses 71 ans.

En quatre décennies, le chanteur nous a laissé une discographie pléthorique, avec 21 albums officiels et une quinzaine de projets parallèles, allant des albums live, aux adaptations littéraires et aux bandes musicales de films. Mais qui était ce chanteur unique en son genre ?

Un artiste perfusé à son Auvergne natale

Jean-Louis Murat ©Datchary Jean-Jacques/ABACA

Partir à la recherche de Murat, c’est essayer de se frayer un chemin dans les pistes qu’il brouillait. Suivant les interviews, il serait né le 28 janvier 1952 à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, ou à la Bourboule, en 1954. Que ce soit l’un ou l’autre, il est auvergnat et fier de l’être

Jean-Louis Bergheaud (son vrai nom) est né d’une maman couturière et d’un papa charpentier. Enfant, il passe de longs moments dans la ferme de son grand-père, à Murat-le-Quaire. Très jeune, il montre un don certain pour la musique, et pour plusieurs instruments. Dès l’âge de 7 ans, il accompagne son père qui s’occupe de l’harmonie municipale. À 9 ans, il reçoit un Larousse qui l’accompagnera pour écrire ses premiers poèmes.

Au collège, un professeur d’anglais lui fait découvrir les musiques soul et jazz. Ce même professeur le pousse à poursuivre ses études jusqu’au BAC, alors que son père voulait faire de lui un plombier. Il sera le premier de sa famille à être bachelier. Très jeune, il s’intéresse à la littérature et à la poésie romantiques, tourmentées dans lesquelles il projette ses états d’âme d’écorché vif.

Son nom de scène, il l’a choisi selon les sources, d’après le village de la ferme familiale, d’un ancêtre caporal mort le 8 août 1918, ou inspiré par Joachim Murat, maréchal d’empire, compagnon de Napoléon et roi de Naples.

Il se marie une première fois très jeune, 17 ans, et il devient père à 19 ans. Ce qui l’oblige à travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Plagiste à Saint-Tropez, où il rencontrera Jack Nicholson, moniteur de ski à Avoriaz, cela ne lui convient pas, il s’en va à Paris, tel un Jack Kerouac en perdition. Cette vie de galère et d’errance le conduira à faire une tentative de suicide, qui sera pour lui un véritable électrochoc, qui le ramènera dans son village à l’âge de 25 ans, en 1977.

Les années « galère »

Il fonde alors un groupe rock avec des amis de Clermont-Ferrand, Clara, dont il sera auteur-compositeur-chanteur. Il jouera de la guitare et du saxophone pour cette formation, qui sera remarquée par William Sheller qui l’invitera à faire les premières parties de plusieurs de ses concerts.

Mais peu après, Clara se sépare. En 1981, et Murat enregistre un maxi 45T de trois titres dont Suicidez-vous, le peuple est mort. Ce titre sera censuré par les radios, accusé de pousser au suicide des jeunes trop sensibles et fragiles. Il deviendra pourtant un titre culte.

Les albums se suivent (Murat et Passions privées) mais ne décollent toujours pas et sa maison de disque jette l’éponge. Jean-Louis Murat a alors la trentaine. Malgré les difficultés, il s’accroche et fin juin 1987, il saisit l’opportunité d’enregistrer chez Virgin.

Et enfin, c’est le début de la reconnaissance en France, et le public belge lui ouvre franchement les bras. En 89, son album studio Cheyenne Autumn confirme son succès avec les titres L’ange déchu et Te garder près de moi

Après un passage au cinéma dans le drame de Jacques Doillon La vengeance d’une femme avec Béatrice Dalle et Isabelle Huppert, il retourne à la musique. Ses deux autres expériences au cinéma ne lui plairont pas plus.

Le sentiment nouveau de caracoler en haut des charts

©BelgaImage

Fin 91, c’est enfin la consécration. Il entre dans le Top 50, puis dans le Top 20. Il est à l’aube de la quarantaine et son nouvel album Manteau de pluie offre des titres qui sont devenus des classiques de la chanson française Col de la Croix-Morand et Sentiment nouveau.

Viscéralement attaché à son Auvergne natale, il y puise son inspiration, s’y ressource. Il a d’ailleurs composé la musique de l’émission de FR3 Montagne.

À partir du milieu des années 90, il sera pris d’une frénésie créatrice qui lui fera sortir plus d’un album par an. Parmi ses plus grandes réussites, citons Vénus en 1993, Dolorès en 1996 et Mustango .

En 2011, son album Grand Lièvre est un peu boudé, mais le quotidien belge Le Soir lui attribue le titre de « personnalité de l’année » pour ce disque, avec lequel il entame un nouveau cycle d’écriture, plus centré sur l’histoire, la mémoire, la transmission, même si l’amour et la sexualité sont toujours présents dans ses textes. « Le chanteur Auvergnat a simplement publié un album magique, Grand Lièvre, et apporté une réflexion sur l’état actuel de la chanson française… »

Murat n’est pas un chanteur engagé, néanmoins, il défend la cause tibétaine. Il s’intéresse depuis longtemps au bouddhisme et il signe un appel demandant qu’une délégation du Comité aux droits de l’enfant de l’ONU rende visite à un enfant tibétain en résidence surveillée. Il s’agit de Gedhun Choekyi Nyima, reconnu comme le 2ème panchen-lama (le deuxième dignitaire le plus important du bouddhisme). L’enfant n’a jamais réapparu à ce jour.

©Isopix

Grande gueule au cœur tendre, il était un client idéal pour les journalistes. Il n’a jamais pu se plier aux diktats de l’industrie musicale. Farouchement indépendant, travailleur acharné, il se disait artisan plutôt qu’artiste. Il ne voyait dans les « enfoirés » qu’une façon de se faire de la promotion, et il a toujours refusé d’y participer. Jean-Louis Murat n’était certes pas une personnalité consensuelle, mais il a toujours trouvé les convenances du métier insipides. Ses textes magnifiques sont remplis d’images oniriques, de références littéraires. En 2007, il adapte Charles Baudelaire et chante Léo Ferré. Il fera connaître Pierre-Jean de Béranger, l’un des plus grands chansonniers français du 19esiècle. Son immense culture a séduit tous ceux qui ont pu devenir ses amis. 

Ses plus belles réussites ? Toboggan, Babel, Il Francese…mais après tout pourquoi ne pas les écouter toutes ?

En 2021, lors d’une interview pour la sortie de son CD « La vraie vie de Buck John », il a livré ces mots curieusement prémonitoires, disant qu’on découvrirait à sa mort une partie de son œuvre. « J’enregistre des disques posthumes, j’ai enregistré 24 titres, il y a 12 chansons en plus de celles de la vraie vie de Buck John ». Ces chansons sont plus engagées, il a notamment traité de l’incendie de Notre-Dame, ainsi que sur le mouvement des gilets jaunes. Délaissant la chanson engagée pour rester dans le domaine de la variété, il laissera à ses enfants le soin de faire sortir ou non, les chansons qui sont enregistrées.

Il a influencé fortement les chanteurs Dominique A et Benjamin Bioley. Mais il a également enchanté plusieurs générations d’amoureux de la vraie, de la belle chanson française. Il nous reste des tas de chansons à réécouter ou à découvrir, car comme une ultime pirouette, le regard azur de celui qui n’appréciait que très moyennement les tournées de promotion de ses CDs, s’est éteint dans ses montagnes la veille de la sortie de son best of Jean-Louis Murat… 

De sa mort « Autant en faire quelque chose ».