Rimini
Présenté à la Berlinale 2022, Rimini, le nouveau film du réalisateur autrichien Ulrich Seidl imbibe le spectateur dans l’intimité de Richie. Un vieux crooner désabusé -joué par Michael Thomas- en phase de pourrissement, chantant dans les hôtels miteux qui veulent bien encore de sa voix. Elle sonne comme l’écho brisé d’un temps révolu. Un cocktail entre le Big Lebowski et un personnage évadé d’une nouvelle de Bukowski.
Évoluant dans la station balnéaire de Rimini, à travers les brumes hivernales de l’arrière-saison, à l’ombre de la vitalité estivale, Richie, vieil alcoolique solitaire et bedonnant, s’efforce en vain de rallumer les cendres du succès d’antan. La ville et le protagoniste forment un tout. La brume colle la mer au ciel. Le long des digues désertes, Richie traîne le fantôme de ses années de gloire en ingurgitant pathétiquement tout l’alcool qui lui passe sous la main.
La vie semble mener son court, sculptant la routine en séries de gueules de bois presque manufacturées, jusqu’à l’arrivée de la fille du protagoniste, qui vient faire basculer la tranquillité baroque qui régnait jusque-là. Elle réclame un dédommagement économique pour les années d’absence de son père, estimant l’in-implication de Richie -les dommages et intérêts- à 30.000€.
30.000€ pour acheter une voiture. Le matérialisme de la jeune femme est d’autant plus glaçant qu’il contraste avec l’hédonisme non-consumériste de son géniteur. Quand celui-ci veut discuter, pleurer et s’embrasser ; celle-ci ne réclame que l’enveloppe. Des scènes forcent l’interrogation sur le sentiment qui anime sa fille. Si, psychologiquement, il est réactif à l’absence du père, ou si, plus tristement, il se fait le diagnostic du pourrissement des relations humaines.
De la chosification totale des échanges par la logique du marché. Par ailleurs, chez le père Richie, la réification fait également la loi en monnayant la moindre interaction avec l’Autrui. Que ça soit pour le sexe, où il se fait systématiquement le gigolo anachronique des groupies ridées qui n’ont plus 16 ans depuis 60 ans, ou pour le chant ou encore pour l’amour. Cette tension entre le pessimisme historique et la réduction psychologique des personnages à leur anamnèse est sans doute l’élément le plus fort du film. C’est amer et chirurgical, avec des personnages consistants, bourrés d’affects.
Les plans sont très froids, graphiques et impersonnels, ce qui amplifie la sensation de vide. Rimini amène une dimension houellebecquienne par la justesse et l’impudeur dans l’exposition des solitudes. Esseulement des corps qui paraissent, à l’instar de ce que décrit l’œuvre du romancier français, directement issus des déboires du libéralisme post soixante-huitard. Le chanteur pop, l’icône des années déjà fanées, plus que bon à pourrir. L’instinct grégaire qui accole les prémourants désœuvrés dans un tourisme mécanique, entièrement scénarisés.
Des articulations rouillées à force de tourner à vide. Seidl nous met face à ce nihilisme consumériste, où en fin de vies, les organes desséchés sont obligés de se lubrifier à coup d’artifice poisseux pour correspondre aux impératifs de plaisir qui ont jadis été les leurs. Comme dans anéantir, les vieux crèvent seuls et en silence. Dans une scène particulièrement touchante, on écoute le père du protagoniste chanter le Voyage d’hiver de Schubert face à sa fenêtre, tout en prenant conscience de sa propre sénilité, du temps qui passe mais qui ne s’enregistre plus. De l’oubli de soi par les autres à l’oubli des autres par le soi.