Saison 2 d’Euphoria : une perte d’équilibre
Il y a trois ans, en 2019, HBO diffusait le premier épisode de la série Euphoria. L’engouement des téléspectateurs est immédiat et la série devient vite culte, devenant au passage une véritable référence dans les séries adolescentes pour toute une génération. Si la deuxième saison était très attendue et a explosé ses records d’audience, les retours sont pourtant très mitigés.
Euphoria est une série écrite et réalisée par Sam Levinson, produite par la société de production A24 Films et coproduite par Drake. Euphoria nous fait entrer dans la vie d’un groupe d’adolescents alors qu’ils traversent les épreuves de la jeunesse moderne, luttant contre leur traumatismes, la toxicomanie, différentes sortes de violences et explorent leur sexualité. Après une première saison très réussie et extrêmement bien accueillie, suivie de deux épisodes spéciaux (dont l’incroyable l’épisode consacré au personnage de Jules) la deuxième saison d’Euphoria était attendue de pied ferme par toute sa communauté de fans. Durant cette attente, prolongée dû à la pandémie mondiale, l’engouement autour d’Euphoria n’est, en aucun cas, retombé. L’esthétique « Euphoria” étant devenue un style à part entière, autant dans la mode que le maquillage.
Attention, cet article comprend énormément de spoilers pour les deux saisons d’Euphoria !
Une structure chaotique
Dans la première saison, la narration se fait à travers les yeux de Rue (Zendaya), jeune toxicomane et personnage principal de la série. Dans chaque épisode, Rue nous présente les personnages un à un : commençant par elle-même, puis Nate, Kat, Jules, Maddy, McKay et enfin Cassie. Cette structure fonctionne extrêmement bien et organise les informations que l’on reçoit sur les personnages, nous donnant de manière efficace une belle vue d’ensemble sur leur passé, leur manière de penser et leurs préoccupations présentes. Le développement de l’action évolue au fil des épisodes, s’entremêlant à travers les présentations des personnages de manière très fluide.
Étant donné que la première saison ne comptait que 8 épisodes, certains personnages, pourtant déjà importants dans la saison 1, n’ont pas eu droit à leur épisode consacré : Lexi, Gia, Fezco et Ashtray. Pour la deuxième saison, nous étions donc beaucoup à attendre d’enfin pouvoir entrer en profondeur dans leur vie, sous une structure similaire, voire identique.
Cependant, la saison 2 n’a pas vraiment suivi le même mécanisme.
Le premier épisode nous présente une très bon flashback de l’histoire de Fezco et son petit frère Ashtray. Le deuxième épisode revient sur le personnage de Nate, introduisant un grand changement dans sa personnalité. Le troisième épisode nous livre la backstory de Cal, le père de Nate, qui est un assez bon épisode. Puis à partir du quatrième épisode, cette structure est complètement abandonnée pour une narration plus classique. Lexi prend alors beaucoup de place dans les épisodes suivants alors qu’elle écrit et produit sa pièce de théâtre. Gia ne reçoit presque aucune attention et Elliot, un nouveau personnage, est introduit, mais assez peu d’informations sont dévoilées à son propos.
Le fait que ce format fonctionne si bien et surtout qu’il ait été abandonné en cours de route est assez décevant. Si Sam Levinson voulait changer de structure, peut-être pour ne pas paraître trop répétitif, il aurait été plus judicieux de le faire dès le début de la deuxième saison… Changer de narration en cours de route est assez déroutant et donne une impression d’inconstance.
Ce changement de structure a également fortement affecté le rythme de la série. Si les premiers épisodes m’ont parus assez bien équilibrés et fluides, le fait de passer d’un personnage à un autre de manière plus rapide dans les épisodes suivants m’a vite donné une impression de brouillon. Beaucoup d’arcs narratifs ont été coupés par des détails qui n’avaient finalement pas beaucoup d’importance ainsi que des intrigues vagues qui ne menaient à rien et ne faisaient pas avancer les personnages.
Certaines scènes durent beaucoup trop longtemps, faisant retomber la tension, alors que d’autres sont précipitées et reçoivent donc moins d’importance que ce qu’elles auraient dû avoir. C’est surtout le cas des deux derniers épisodes. La structure sous la forme de la pièce de théâtre de Lexi est une bonne idée en soi, mais l’application ne m’a pas convaincue. Ces deux épisodes sont très remplis et vont assez vite, comme si Sam Levinson essayait d’entrer absolument dans son quota de 8 épisodes et clôturait en hâte un maximum d’arcs narratifs, mais en laissant tout de même beaucoup de choses sur le côté. De plus, le passage entre la pièce de théâtre et la vie réelle était parfois trop compliqué à suivre.
Une esthétique extrêmement léchée
La grosse réussite d’Euphoria, et ce depuis la première saison, c’est sa cinématographie, son esthétique. La série est visuellement époustouflante, elle n’est pas seulement objectivement belle, mais surtout, les visuels ont généralement un but et permettent de ressentir plus profondément ce que les personnages vivent devant nos yeux. La série prend des risques visuellement, c’est rare pour la plupart des séries adolescentes aujourd’hui. Cette unité visuelle forte, Euphoria la doit à son directeur de la photographie, Marcell Rév. Pour cette deuxième saison, il a décidé avec Sam Levinson de tourner entièrement en pellicule 35mm, ce qui donne un grain très intéressant aux images et une chaleur particulière à la peau des personnages.
La beauté des images, des jeux de lumières aux allure oniriques, des mises en scène inspirées de inspirées de toutes sortes d’œuvres culturelles, rien n’est laissé au hasard. Encore moins les tenues et maquillages des personnages, qui ont et continuent d’inspirer toute une génération. Mais encore une fois, Heidi Bivens, la costumière et Doniella Davy, la maquilleuse, n’ont pas seulement créé une esthétique plaisante, chaque personnage est caractérisé par un certain style, une certaine esthétique. Et ce qui est génial dans cette deuxième saison, c’est que ce style et donc leurs vêtements et maquillages évoluent en parallèle avec leurs personnages.
Des sujets tabous
Si Euphoria est fort connue pour son esthétique, la série a également beaucoup fait parler d’elle pour son traitement de sujets sensibles. Violence, drogue, sexe, le tout y est et ce, autour de personnages adolescents. Je pense qu’il est assez difficile d’émettre une critique ou un jugement sur le fait que la série soit morale ou non, car la réponse est claire : elle ne l’est pas. C’est le principe même d’Euphoria, elle repousse les limites et va dans l’extrême, encore plus dans cette deuxième saison. Le parti pris est celui d’aller investiguer les recoins sombres de l’adolescence en étant très explicite.
Cependant, il n’y a pas que les personnages qui sont des adolescents, une grande partie des téléspectateurs de la série le sont aussi. Et cela pose évidemment beaucoup de questions sur l’exposition d’un jeune public à des images si dures et crues, mais surtout autour de la romantisation la consommation de drogues dures, entre autres. D’un côté, je pense que l’art a une réelle légitimité et même un certain devoir lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets sensibles et tabous et qu’il ne faut surtout pas les censurer. Mais d’un autre côté, les artistes, et dans ce cas-ci le réalisateur, a une certaine responsabilité envers son public. Si je suis persuadée que Sam Levinson, lui-même ancien addict, n’a jamais voulu encourager qui que ce soit à prendre de la drogue, ni la rendre attractive, mais je sais d’expérience personnelle que certains jeunes auditeurs ont commencé à consommer des drogues dures « parce que ça avait l’air cool dans Euphoria ». Le débat a donc bel et bien lieu d’être.
Je pense qu’un des plus gros problèmes dans l’écriture de la série à ce sujet-là, est la trop grande absence de conséquences. Les comportements dangereux, problématiques ou illégaux des personnages n’ont que très peu de retombées. Et pour le coup, la personne qui subit le plus dans la série est Rue, le personnage autour duquel gravite le sujet de la toxicomanie. Dans la première saison, le personnage de Kat s’émancipe en devenant camgirl sur un site pornographique, Jules ment sur son âge pour entretenir des relations sexuelles avec des hommes adultes, etc. Évidemment, des choses se passent, des problèmes se créent face à ces situations, mais même dans le cas de Rue où l’on va plus loin dans les conséquences, tout finit toujours par s’arranger. J’attendais de la deuxième saison une réelle prise de position par rapport à tous ces choix, mais plutôt que d’aller dans ce sens, énormément de problématiques ont tout simplement été écartées ou oubliées.
Un dernier point qu’il me semble important d’aborder ici est la sexualisation des personnages féminins dans la réalisation de Sam Levinson.
Étant donné que la sexualité est une thématique importante dans Euphoria, la question de la nudité se pose forcément. Si la nudité était présente dans la première saison, elle est dérangeante dans la deuxième, hors de contrôle, surtout celle du personnage de Cassie. La quantité de nudité dans la première série était assez équilibrée (à l’échelle d’Euphoria, bien sûr) que pour faire comprendre que les personnages ont une sexualité, qu’ils ont des mœurs sexuelles libres, mais sans aller trop loin, sans montrer ce qui n’est pas nécessaire. Montrer ce qui est légitime et suggérer ce qui peut l’être.
À l’inverse, la saison 2 comporte beaucoup de plans de nudité qui n’ont pas lieu d’être. Les personnages féminins peuvent porter des tenues sexy et vivre leur sexualité comme elles l’entendent, et la caméra n’a pas besoin de se comporter en yeux voyeurs pour nous le faire comprendre. N’oublions d’ailleurs pas que les personnages filmés sont des adolescentes. Sam Levinson a trop voulu suivre son principe de tout pousser à l’extrême et a fini par se laisser aller à un male gaze dérangeant. Cela l’est d’autant plus lorsque l’on sait que l’actrice Sydney Sweeney qui incarne le personnage de Cassie, a demandé au réalisateur de supprimer certaines scènes de nudité qu’elle a jugées inutiles.
Une série réaliste ?
Lors de la sortie de la première saison, j’ai entendu beaucoup de retours de personnes qui étaient heureuses d’enfin voir une série qui parlait honnêtement des adolescents, et si au début je ne comprenais pas vraiment cette déclaration, j’ai finalement moi aussi ressenti ce sentiment d’identification, de proximité avec les personnages. Car même si la vie des personnages d’Euphoria est bien plus extrême que la plupart des adolescents, il y a beaucoup de choses dans lesquelles on peut se retrouver, des sensations, des émotions et les choses plus simples qui sont représentées en ancrant la série dans le réel. C’est tout le principe de la vérisimilitude qui est indispensable lorsque l’on raconte une histoire, la fiction est certes une fiction, mais elle doit être plausible, on doit y croire. Et ce sont ces éléments de vérisimilitude qui ont permis aux téléspectateurs de se projeter sur les personnages. Malheureusement, la deuxième saison a perdu certains de ses éléments…
Cette saison est d’autant plus extrême et hyperdramatique que la première et je ne pense pas que ce soit forcément quelque chose de mal, mais à condition qu’il nous reste des choses auxquelles on puisse se raccrocher lorsque le récit nous emmène loin de notre réalité. À plusieurs reprises, des situations ou des comportements illogiques m’ont fait perdre ce lien et fait sortir du récit. Pour ne citer qu’un point ici, je pense notamment à la disparition presque totale de l’ancrage de l’histoire dans le monde scolaire, certaines scènes sont filmées dans leur école, mais rien ne s’y passe réellement, rien ne raccroche les personnages à ce monde qui est pourtant le lieu où l’on passe le plus clair de notre adolescence.
Le potentiel des personnages mal utilisé
Levinson a prouvé dans la première saison (et d’autres productions) qu’il brillait dans l’écriture de jeunes gens convaincants et captivants qui arrivent à nous maintenir investis dans leurs histoires ainsi que dans leurs relations interpersonnelles. Mais cette aptitude n’a malheureusement pas très bien suivi dans la deuxième saison. On sent que les personnages ont été tournés et retournés dans tous les sens durant l’écriture, certains personnages ont été délaissés ou ont des comportements illogiques par rapport aux informations que l’on a pu recevoir dans la première saison. Ces problèmes relèvent pour moi d’une seule chose, le fait que Sam Levinson écrive seul et ne s’entoure pas d’une équipe de scénaristes.
Si j’ai critiqué beaucoup de choses concernant cette deuxième saison, Euphoria reste une série que j’ai aimé regardé et pour laquelle j’ai, de semaine en semaine, attendu avec impatience les épisodes suivants. Malgré ses défauts Euphoria reste une série qui me fascine énormément et qui restera une référence pour beaucoup à bien des égards. C’est un véritable phénomène culturel qui nous pousse à toujours y revenir et fait beaucoup parler de lui. Son esthétique immédiatement reconnaissable est incroyable, l’histoire est prenante et nous fait passer par une belle palette d’émotions. Et finalement, c’est tout ce que l’on attend d’une histoire. Comme beaucoup d’autres, j’attends la saison 3 avec impatience, en espérant que Sam Levinson écoute ses fans et leurs critiques avec humilité et décide de travailler (peut-être avec une équipe de scénaristes plus diversifiée ?) sur les points qui se sont prouvés décevants ici.