Nouvelle rencontre littéraire et pas des moindres au pied de ma dune préférée, entre pinède et océan. Chroniqueuse dans le Masque et la Plume et au Cercle, critique de Cinéma au quotidien Sud-Ouest avant de se consacrer entièrement à l’écriture, Sophie Avon en a sous la plume ! Elle venait partager avec nous ce soir-là, Le goût du bonheur, au cœur des Landes, décor de son dernier roman.

En couverture : Sophie Avon © Stéphane Askel – Mercure de France

Une bourlingueuse

Sophie Avon est née à Oran et a quitté l’Algérie avec ses parents et son frère au début des années 1960, un exil vécu très jeune dont elle ne garde qu’un lointain souvenir mais qui est ancré dans sa mémoire profonde. Est-ce ce voyage originel qui lui a donné le goût du large ? Après des études à Bordeaux et à Paris où elle suit les cours Florent, elle s’installe à Amsterdam puis entreprend une traversée de l’Atlantique à la voile pendant neuf mois du Sénégal au Brésil. En 1988, elle publie son premier roman Le Silence de Gabrielle suivi d’une douzaine de textes dont La petite famille, réflexion sur les relations dans le couple et Une femme remarquable, portrait lumineux de sa grand-mère. Le goût du bonheur est son quatorzième roman.

Les deux derniers romans de Sophie Avon et un texte de Yves Harté, son compagnon © photo Frédérique Vanandrewelt

« Longtemps, il avait rêvé de partir. Aiguillonné par l’appel du large, poussé vers des archipels lointains, passant son adolescence à lire des romans de marine et des cartes de navigation. » Sophie Avon, Le goût du bonheur

La journaliste a progressivement fait sa mue et est passée du reportage au roman mais elle a gardé le goût du détail et de la précision de ses reportages passés. Devant la librairie où a lieu la rencontre, elle s’assoit sur le bord d’un tabouret en murmurant: «J’aime m’installer en équilibre» et on sent chez elle la voyageuse en perpétuelle escale. Les Landes sont une terre d’adoption pour beaucoup d’écrivains en quête d’authenticité, Sophie la décrit avec une sensibilité et un accent qui trahissent son attachement aux lieux. Elle cite Christine de Rivoyre, une des plus connues sans doute mais j’ai une pensée pour Jean-Paul Kauffmann qui, journaliste lui aussi, paya un lourd tribut à sa fonction en étant retenu trois années au Liban et qui, une fois libéré, se réfugia aux Tilleuls, une maison perdue dans la forêt landaise.

Le goût du bonheur © photo Frédérique Vanandrewelt

Un ancrage

Quand on lui demande le point de départ de ce roman au titre réjouissant, elle évoque un frère, «un personnage romanesque, digne d’être un personnage» dont elle voulait faire le portrait et puis du frère on passe à la maison dont il fait l’acquisition dans les Landes après avoir passé une grande partie de sa vie sur un bateau. Frère et sœur se retrouvent dans cette maison traditionnelle au milieu d’un vaste airial dans la forêt avec leurs compagne et compagnon. Or Sophie Avon a bien un frère, ce frère a bien acheté dans les Landes une maison qu’il a restaurée et où l’auteure et son compagnon ont bien partagé des moments heureux. Elle a modifié les noms des lieux en gardant les sonorités qui lui plaisent tant et les noms des personnages aussi et a ajouté, comme elle dit: « plus de romanesque pour faire plus vrai.»

Une vieille landaise © photo Frédérique Vanandrewelt

« Cette vieille maison aux murs épais donnait à Paul l’illusion de faire partie d’un territoire pour la première fois. » Sophie Avon, Le goût du bonheur

Quand elle ajoute qu’elle passait l’été 2022 dans cette maison au moment où les incendies ont éclaté, on comprend qu’il y a dans ce récit une grande part de vécu et que l’expression: «Impalpable atmosphère de fin du monde» qu’elle emploie pour évoquer ce moment particulier  n’est pas une formule purement stylistique. Aux rires et à la légèreté des après-midis de jardinage et des apéritifs prolongés sous les parasols succède l’angoisse du feu qui couve et qui menace. Cette expérience a engendré un récit qui passe de la fantaisie à la tragédie mais ne renonce pas à célébrer la vie.

Sophie Avon et Frédérique Hardy pendant l’entretien © photo Frédérique Vanandrewelt

« Combatif et contemplatif, le roman de Sophie Avon, héritière de Colette et de Christine de Rivoyre, est plein de confidences, de parfums, de couleurs, de bruyères, de regrets et d’espoirs. Il brûle comme le lignite sous la terre de Gascogne. » Le Nouvel Obs, 25 avril 2024 – Jérôme Garcin
 

L’ogre

Cet été-là, le feu venait de Gironde, les pompiers ne parvenait pas à l’arrêter, les anciens se remémoraient les feux de 1949, « en pleine crise climatique, c’était une sonnerie de plus » et un ressort dramatique explicite: « la littérature permet de métaphoriser la vie, ce n’est pas tant une métaphore qu’une transcendance, ce n’est pas tant une métaphore qu’une façon de tendre un miroir à soi-même, aux autres, au monde, de faire entendre une voix qui soit une de plus». Le feu souterrain qui consume la tourbe et ne demande qu’à sortir le long d’une racine pour se répandre encore dans la lande et dévorer tout ce qu’il trouve sur son passage évoque l’être humain, plein de tout ce qu’il a traversé, peines et chagrins, « métaphore de la vie avec ce qui la brûle, ce qui la consume ».

L’ogre © Arnaud Journois

A propos de son roman précédent, Une femme remarquable, l’auteur avait dit : « Ce sont les personnages qui font les romans », il s’agissait alors de retracer le parcours exemplaire de Mime, sa grand-mère. Mais elle abonde dans mon sens quand je lui livre l’impression que cette fois, la maison et la forêt, indissociables constituent LE personnage du Goût du bonheur. La maison, véritable revanche sur le destin qui leur a imposé l’exil à elle et à son frère comme aux personnages du roman est un havre de paix et un lieu de réparation pour la fratrie déracinée. Or « l’ogre » (c’est ainsi que l’on appelle le feu dans le pays) veille et les voilà de nouveau menacés, impuissants face à la force destructrice des incendies mais ensemble, ils font face et continuent malgré tout de tracer leur chemin. Sophie Avon considère que l’on écrit toujours deux livres, celui qui est publié et l’autre, « le livre fantôme » aux résonances souterraines. Ainsi, le goût du bonheur est aussi un hymne à la nature mais aussi à la fraternité.

Les derniers romans de Sophie Avon © Mercure de France

Sophie Avon n’est plus critique de cinéma mais fréquente toujours autant les salles obscures et le 7e art influence beaucoup son écriture. Le goût du bonheur se prêterait assurément à une adaptation cinématographique sous la luminosité magique du ciel landais et dans la simplicité chaleureuse d’une demeure où planter ses racines.

Si vous souhaitez rencontrer Sophie Avon:

Le 23.08.2024, elle sera l’invitée de la Rentrée littéraire à la librairie Alice Cap Ferret

et du 08 au10.11.2024 à la Foire du livre de Brive-la-Gaillarde

Sophie Avon s’exprime sur « Le goût du bonheur » :

Bibliographie de Sophie Avon:

Le silence de Gabrielle, Arléa, 1988

Hors les murs, Arléa, 1990

Les hauts-fonds, Gallimard, 1993

Latifundo, Denoël, 1997

La lumière de Neckland, Denoël, 1999

La bibliothécaire, Arléa, 2006

Ce que dit Lili, 2007

Les belles années, Mercure de France, 2010

Les amoureux, Mercure de France, 2012

Dire adieu, Mercure de France, 2014

Le vent se lève, Mercure de France, 2016

La petite famille, Mercure de France, 2018

Une femme remarquable, Mercure de France, 2021

Le goût du bonheur, Mercure de France, 2024

Je vous recommande également le nouveau roman de Yves Harte à paraître aux éditions Le Cherche Midi le 22 août, coup de cœur assuré de la rentrée littéraire prochaine : Parmi d’autres solitudes.

A lire ou relire:

La maison du retour de Jean-Paul Kauffmann, folio. L’œuvre entière de Christine de Rivoyre et peut-être en particulier deux romans imprégnés de l’atmosphère des Landes : Le petit matin, et Belle alliance, chez Grasset.


« Petit éloge des cafés », le dernier Léa Wiazemsky à découvrir ici !