« Sorolla et la mer », une peinture positive et solaire
A l’occasion du centième anniversaire du peintre Joaquín Sorolla (très injustement méconnu en dehors de son pays natal), la fondation Bancaja a décidé de consacrer une exposition aux rapports entre l’artiste et un élément majeur du paysage valencien : la mer. Dans le même temps, par un hasard de calendrier ou une nécessité commerciale (ou les deux), la fondation a également organisé une exposition sur l’icône incontournable de la peinture espagnole et mondiale : Pablo Picasso.
Illustration: Joaquín Sorolla, « Paseo por la plaja » (1909), au Musée Sorolla de Madrid © Wikipedia Commons
Si les deux hommes sont, tout à la fois, compatriotes et contemporains, en revanche tout les sépare du point de vue créatif : Picasso est celui qui détruit l’anatomie et la réalité pour mieux forger son propre puzzle de couleurs et de sensation tandis que Sorolla, lui, construit patiemment, à grands renforts de coloris francs, d’empâtements et de luminosité, un univers expressif autant que profond.
Joaquín Sorolla, exposition à la Fondation Bancaja © DR
Le monde de Sorolla est positif, enthousiaste, énergique et solaire : à l’image de la méditerranée qui borde sa ville natale. Rien pourtant n’est d’emblée évident : Sorolla nait en 1863 et, jusqu’à la moitié du XXème siècle, le concept de vacances balnéaires n’est guère réservé qu’à une petite élite bourgeoise. La mer, pour la plupart des Espagnols, est d’abord et surtout source d’alimentation et de péril : la mer nourrit, ou bien elle tue. « Un drama naturalista bajo la luz de la mediterraneo » comme le souligne un cartel de l’exposition : un drame naturaliste sous la lumière méditerranéenne.
Joaquín Sorolla, exposition à la Fondation Bancaja © DR
Il arrive d’ailleurs à Sorolla d’évoquer ce sombre aspect de l’élément marin : Dia gris en la playa de Valencia (1904) ou Barca valenciana (1909) sont des compositions dans des tonalités grises et mornes qui évoquent la difficulté de la pêche et son importance cruciale. La foule qui se presse à l’arrivée des bateaux rappelle à quel point le bilan de la pêche conditionne le quotidien Esperando la pesca (1908). C’est l’aspect proprement « réaliste » du travail de Sorolla, réalisme qui n’est pas, par moments, sans rappeler Meyssonnier ou Courbet : Los palangreros (1899).
Joaquín Sorolla, exposition à la Fondation Bancaja © DR
Mais, la plupart du temps, Sorolla peint des gens heureux se promenant ou se baignant. Et, ce qui est frappant, c’est que, dans son langage expressif, fait tout à la fois d’impressionnisme et de précision, il évoque, à chaque fois, la puissance indéniable de l’eau et sa supériorité sur l’Homme. Les personnages sont toujours représentés en légère plongée et comme d’emblée écrasés par le paysage. On dirait que les gamins demi nus sont aspirés par l’eau : la vague, ou les reflets du soleil sur elle, diluent les membres, bras et jambes, et les rendent invisibles et illisibles : Al agua (1908), Nina en la playa de Valencia (1916), Nadadores, Javea, (1905).
Joaquín Sorolla, « Chicos en la plaja » (1910), Musée du Prado © Wikipedia Commons
Sans cesse Sorolla revient sur ce motif de l’eau qui gomme le corps, l’eau qui mange les chairs, l’eau qui possède l’homme. Même son modèle féminin favori est tout entière aspirée par le paysage qui l’entoure et la sublime : air, eau et sable. Elle n’existe que perdue au centre d’une dynamique naturelle : Elena en la playa (1909). Elle n’est qu’une frêle silhouette dont le soleil dore le bras droit tandis que le vent menace de lui enlever son chapeau : à peine une ligne délicate entre le sable et l’eau, comme si les éléments avaient raison d’elle.
Joaquín Sorolla, exposition à la Fondation Bancaja © DR
Pour autant, cette façon d’intégrer l’homme à son décor n’a rien de sombre : le soleil est partout présent et réchauffe l’âme autant que les chairs. La pêcheuse est saisie à l’instant où l’astre du jour la contraint à lever le bras et se protéger les yeux, si bien que l’on ne voit ni son visage à elle ni celui de l’enfant qu’elle serre contre elle. Tous deux n’existent qu’abreuvés par le soleil régnant en maître, Pescadora con su hijo Valencia (1908).
Joaquín Sorolla, exposition à la Fondation Bancaja © DR
En une sorte d’effet ironique, Sorolla s’attache à déployer sur le sable l’ombre du couple se tenant la main, comme si le paysage les tenait fermement entre ombre et lumière, comme s’ils étaient sur le point de devenir, elle et lui, du sable, de l’eau, du soleil En balandrito (1909). Même dans l’autoportrait Autorretrato con fonda de mar (1909), il est représenté en plongée, le visage à la hauteur du flot, comme s’il disparaissait lui-même dans la grande magie puissante de l’eau.
« En el mar de Sorolla » pour l’artiste valencien, tandis que Picasso a droit à une exposition « Picasso y la modelo » consacrée à ses liens particuliers avec l’une de ses épouses, Jacqueline. La mer pour Sorolla, la femme pour Picasso.
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