The Northman du sang et des larmes
L’ère viking a le vent en poupe. Robert Eggers l’a bien compris avec son troisième long métrage The Northman. Aidé à l’écriture par l’auteur islandais Sjón, accompagné d’un casting trois étoiles (Alexander Skarsgård, Nicole Kidman, Anya Taylor-Joy, Claes Bang, Willem Dafoe) et se voyant accorder un budget de 90 millions de dollars, le cinéaste américain souhaite propulser son film au rang d’ultime épopée nordique.
Librement influencé par le mythe scandinave sur Amleth et par le récit shakespearien Hamlet, The Northman raconte l’histoire du prince Amleth. Il jure de venger l’assassinat de son père, le roi-corbeau Horwendil, de sauver sa mère Gudrun des griffes de son oncle Fjolnir et de tuer ce dernier, coupable de tous ses maux.
Des symboles au service du mythe
Les quatre éléments – le feu, l’eau, la terre et l’air- rythment le récit et y détiennent un rôle dramaturgique. De nombreuses scènes reprennent un ou plusieurs de ces éléments. Ces récurrences ont toutes une signification spécifique et offrent une stature mystique à l’histoire.
Le film commence avec un plan d’eau. Le roi Horwendil arrive dans son royaume par la mer. Après le meurtre de son père, Amleth va fuir via cette même étendue d’eau mouvementée. Juste avant une attaque sanglante, il danse sous la pluie avec ses compagnons d’armes pour bien nous faire comprendre qu’il n’est plus un enfant. Il est devenu adulte, sauvage et brutal. L’eau marque sa renaissance. Amleth plonge à l’eau pour rejoindre un bateau qui le mènera à son oncle. Toutes ces métaphores autour de l’eau témoignent des transitions identitaires vécues par Amleth, et le construisent en tant qu’homme.
Le feu est également un élément central. Des incendies ravagent des habitations. Amleth se marque au fer rouge pour se créer une nouvelle identité et danse autour du feu jusqu’à en devenir bestial. Une autre représentation visuelle est celle du volcan. La destinée d’Amleth est intimement lié à celui-ci. À mon sens, le volcan est plus qu’un symbole de la virilité toute puissante. Il évoque surtout la folie meurtrière dans laquelle il sombre progressivement. Une folie due à son désir de vengeance.
Enfin, on retrouve l’air et la terre. Ces deux derniers éléments sont plus discrets, mais bien présents. Ils appuient des rituels vikings et rendent des scènes davantage mystiques.
Robert Eggers a également recourt à la métaphore de l’arbre, qui a une valeur symbolique essentielle dans The Northman. L’arbre relie l’homme avec la nature et ses divinités. Une spiritualité s’en dégage, d’autant plus quand des scènes d’une rare violence sont mises en parallèle. Robert Eggers s’en sert principalement pour s’interroger sur les questions d’héritage, de filiation et du poids de la transmission. De ces réflexions émanent la vengeance d’Amleth.
Un voyage sombre
Dès le premier plan, on comprend que ce monde est sombre, rugueux et violent. Les tons sont tristes et inquiétants, variant entre le noir et le gris. De temps à autre, un peu de chaleur provient d’un feu, mais c’est tout. La bande-son est immédiatement immersive. Les décors, les costumes, le maquillage, les coiffures, … Robert Eggers ne lésine pas sur les moyens pour donner de l’authenticité à son récit, sans pour autant vouloir le rendre historique. Il a visiblement étudié les traditions, la culture et les mœurs vikings, mais le voyage d’Amleth reste une épopée, un mythe.
Le récit évoque le cercle vicieux dû à la vengeance. Amleth s’enfonce dans une violence aveugle et perd progressivement son humanité. Il le dit lui-même. Il ne vit plus depuis qu’il a juré sa vengeance et attend d’être délivré de ce devoir. Il n’a même plus le droit de pleurer.
Amleth n’incarne pas les valeurs du héros, contemporain en tous cas. Il commet des atrocités sans ressentir le moindre remords, est violent, sauvage et têtu. Il n’hésite pas à brutaliser un malheureux pour montrer sa force et sa détermination. Sa seule valeur actuelle est le respect envers sa famille et ses divinités.
Le film pâtit d’un problème de rythme. Le film n’est pas lent, il y a de nombreux rebondissements et les éléments dramaturgiques ne manquent pas. Mais la gestion du temps est hasardeuse. Certaines scènes arrivent trop vite et leur transition « soudaine » peut surprendre. En voyant ce film, j’ai parfois eu l’impression que Robert Eggers n’a pas su choisir entre réaliser un film d’action américain et une épopée mythique nordique.
Si les propos du réalisateur sur la violence sont intéressants et globalement bien abordés, je ne suis pas convaincu que l’extrême violence affichée sert les propos du film, au contraire.
Une violence excessive ?
Le récit se veut authentique, mais crée un décalage presque inévitable entre l’histoire et son public. La reconstitution de rites ou de mœurs vikings peut désorienter, et de surcroit nous faire sortir du récit. Nous ne sommes pas toujours en empathie avec Amleth, loin de là. Le jeu d’acteur d’Alexander Skarsgård, véritable montagne de muscles couverte de sang (la testostérone est à son comble), n’aide en rien. Il a un manque criant d’expression et d’empathie.
Mais est-ce que tout ceci ne serait pas recherché par le cinéaste ? Nous sommes en désaccord avec les agissements d’Amleth. Nous ne pouvons que difficilement être en empathie avec un animal féroce. Toutefois un détail compte. Nous avons vu Amleth enfant, le petit blondinet innocent, qui est bien différent d’Amleth adulte, une bête épaisse déjà décrite précédemment. Il tombe dans une folie meurtrière, sous le couvert de la vengeance. Mais cette folie est peut-être, voire sans doute, due à l’ultra-violence de son monde : traite d’esclaves, sacrifices, rituels extrêmes, enfants arrachés à leur mère, mariages forcés, honneur lors d’une mort au combat, etc.
Ce film n’est pas destiné à tout public. C’est pour une bonne raison qu’il est déconseillé au moins de 16 ans. Ceci étant dit, The Northman est intéressant à voir, tant pour sa réflexion sur cette même violence que pour son voyage dans la mythologie nordique.