C’était l’objectif de La Tricoterie ce dimanche 4 décembre et ça tombait bien car tisser des liens, c’est la spécialité de ce lieu particulier voué aux rencontres et à la culture.

L’auteur de Numéro 2, son roman de la rentrée, accueillait les visiteurs avec le sourire, dédicaçait les livres avec soin et posait volontiers pour la petite photo souvenir. Tout cela avec une bonne humeur naturelle avant de répondre aux questions de la journaliste Kerenn Elkaïm devant un public nombreux invité pour le brunch littéraire organisé dans le cadre des 40 ans de la Ligue de la Sclérose en Plaques. Je me suis donc rendue à St Gilles, un peu intriguée par cet événement. Que venait donc faire David Foenkinos un dimanche matin dans une ancienne fabrique de meubles ? Pourquoi Patrick Lambot, fundraising manager à la LIGUESEP l’avait-il choisi pour accompagner ses ambassadeurs ? Il me fallait aller à la rencontre des Tricoteurs…

La Fabrique de liens

La belle histoire de La Tricoterie commence en 2010 quand Joëlle Yana et Xavier Campion imaginent un lieu culturel atypique .Un lieu où se rencontreraient des gens d’origines et de cultures différentes, aux centres d’intérêts variés, mais tous curieux des autres. Ils découvrent cette usine en piteux état dont ils voient immédiatement le potentiel. Ils réunissent alors « les tricoteurs et tricoteuses » de la première heure, séduits par la belle utopie. Une coopérative voit le jour et pendant trois ans, bénévoles et coopérateurs s’unissent pour rénover le bâtiment.

Le 6 mars 2013, La Tricoterie ouvrait ses portes sur un univers chaleureux dont les ambitions de partages, d’échanges et de découvertes culturelles ont été largement atteintes et enrichies au cours de ces bientôt dix années. Les fondateurs avait écrit un manifeste inspiré par la philosophie d’Edgar Morin qui prône un rapport poétique au monde et on retrouve ces valeurs qui visent non pas un enrichissement matériel mais bien un épanouissement personnel dans toutes les manifestations proposées depuis.

De nouveaux espaces ont été inaugurés en septembre dernier dont Le Boudoir, une salle de spectacle pour accueillir concerts, représentations théâtrales et conférences dans des conditions optimales. On est saisi dès l’entrée par le contraste entre l’architecture industrielle soigneusement conservée et mise en valeur et l’aménagement chaleureux et coloré des différentes salles.

C’est Marie qui m’accueille au bar du brunch traditionnel du dimanche, une institution dans le quartier au regard de toutes les tables occupées et couvertes de mets plus appétissants les uns que les autres. La jeune-femme sourire aux lèvres et soucieuse de répondre à mes questions en dépit du rush, insiste sur la cohésion de l’équipe qui s’active en salle et en cuisine pour servir des produits de saison principalement locaux et bio, issus du commerce équitable.

Elle me raconte l’histoire de La Tricoterie dont elle souligne la transversalité entre les événements privés (anniversaires, mariages et autres fêtes familiales) et les activités culturelles, les premiers permettant d’alimenter en partie les autres. Elle m’invite à retrouver sur le site de la maison le programme des ateliers, le « café des tricoteuses et tricoteurs » du lundi, le « soul diner » et java du vendredi et beaucoup d’autres rendez-vous gourmands et joyeux que je vous laisse découvrir…

Numéro Deux

Le dernier titre de David Foenkinos est quasiment éponyme puisqu’il désigne le héros malheureux de la saga Harry Potter. Je m’explique. Des centaines de jeunes garçons furent auditionnés pour obtenir le rôle principal jusqu’à ce qu’il n’en reste que deux, Daniel Radcliffe et Martin Hill. On connaît l’histoire du premier, Davis Foenkinos a décidé de s’intéresser au second. Il s’agit bien d’un roman et si les faits sont pour la plupart réels, le personnage principal et l’intrigue sont les fruits de son imagination.

J’ai pu, avant l’interview officielle, poser une question qui me trottait dans la tête depuis que j’avais lu le roman : « Vous est-il arrivé David Foenkinos d’être numéro 2 ? ». Ce à quoi il m’a répondu :  « Tellement de fois ! Déjà, je suis arrivé le deuxième dans la famille. Et puis, j’ai connu beaucoup d’échecs amoureux. Il m’est  arrivé aussi d’être deuxième au Goncourt… »

On se souvient en effet que Charlotte aurait pu l’obtenir en 2014 et que le roman, finalement récompensé par le prix Renaudot, avait été aussi consacré par le Goncourt des lycéens. Reconnaissance d’un jeune public toujours avisé qui l’avait, m’a-t-il dit, « beaucoup touché et rendu très heureux ». Cet échange simple et spontané avec l’auteur cinquantenaire à l’allure juvénile d’une sobre élégance n’était qu’un prélude à l’entretien qui nous attendait au Boudoir.

Tricoter les émotions

Quand Kerenn Elkaïm l’interroge sur la genèse du roman, il confie l’empathie qu’il a ressenti pour l’enfant évincé lorsqu’il a lu la déclaration de la directrice de casting expliquant que les deux garçons convenaient pour le rôle d’Harry mais que Daniel Radcliffe « avait ce petit quelque chose en plus… ». Comment surmonte-t-on à dix ans une déception comme celle-là ? Comment vit-on des années durant avec l’image de celui que l’on aurait pu être, affichée partout et célébrée par des générations d’enfants fans ?

David Foenkinos et Kerenn Elkaïm

La journaliste lui demande alors pourquoi il s’attache aussi souvent dans ses romans à des personnages blessés par l’existence. David Foenkinos a passé plusieurs mois à l’hôpital à la suite de graves problèmes cardiaques, il n’avait alors que 16 ans : « la proximité avec la mort m’a insufflé une fabuleuse énergie de vie, je n’étais pas du tout issu d’un milieu culturel, il n’y avait pas de livres à la maison. Je me suis mis à lire, à écrire, à toucher à tout ce qui avait un lien avec la beauté, la peinture, la musique. Je cherchais tout ce qui était réjouissant. Et donc je comprends ceux qui dans le public aujourd’hui souffrent de la sclérose en plaques. Mon expérience est bien sûr différente mais ce qui compte c’est de se réunir et d’échanger. » Il ajoute avec un petit air malicieux : « Il faut tricoter les émotions ».

Et des émotions, il nous en a tricoté ce dimanche matin, David Foenkinos.

Il nous a fait rire en citant les numéros 2 malchanceux… en politique (le PS français, beaucoup de rires dans la salle), au football (l’équipe belge face au Maroc, un peu moins de rires), en art (Le tableau à côté de La Joconde, « S’il vous plaît, allez le voir la prochaine fois que vous irez au Louvre»).

Une voisine de Mona Lisa, éclipsée par le tableau n°1 de la salle des Etats, dite salle de La Joconde.
Portrait d’une vénitienne, 
«  La Belle Nani »
de Paolo Caliari

Il nous a émus aussi en évoquant la reconstruction qui suit l’échec et la souffrance qui peut accompagner la réussite ; la consolation par l’art et la force inouïe de l’amour.

L’anecdote du changement de titre pour son roman en Angleterre prend tout son sens : « on ne pouvait utiliser Number 2, les anglicistes le savent, quand un enfant fait pipi, c’est le number 1, vous me suivez ? Alors on a choisi « The second best », et j’aime beaucoup ce titre ! »

Il n’y a pas de limite à l’espoir .

Alors que le responsable de la LIGUESEP annonce ses ambassadeurs, David Foenkinos cite Winston Churchill : « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » et se souvient d’une séance de signatures annulée à ses débuts faute de public. Une seule femme était venue et alors qu’il la remerciait, elle lui avait avoué ne pas le connaître mais s’être installée au chaud pour attendre son mari. Grande leçon d’humilité qu’il n’a pas oubliée et qui lui permet aujourd’hui « de savourer une salle pleine ».

Critiqué parfois pour être trop optimiste, David Foenkinos met la gentillesse au sommet des valeurs humaines. La bienveillance aide bien souvent à la résilience et dans tous ses romans, il accompagne ses personnages vers la lumière. Marie, Thierry et Josselin sont venus témoigner des  difficultés de vivre avec la maladie au quotidien mais aussi du bonheur de surmonter les épreuves ensemble au sein de la ligue dont on célèbre aujourd’hui les quarante ans.

Marie, 56 ans dit avoir construit un mur de protection autour d’elle à l’annonce de la maladie, convaincue qu’elle ne serait jamais plus elle-même. Abonnée au journal de la ligue par une amie, elle le met à la corbeille sans l’ouvrir. Et puis un jour, allez savoir pourquoi, elle y jette un coup d’œil et fait tomber le mur. Elle participe à une ascension dans le massif du Mont Blanc et ne s’arrête plus, elle fait les 20 km de Bruxelles et décide de devenir ambassadrice pour faire passer son message : « On peut faire plein de choses même si ça demande beaucoup d’efforts, on est encore utiles ».

Thierry, 49 ans parle de « sa vie de raté » avec douceur et fermeté, cet homme né intersexué est devenu sage-femme et son histoire pourrait-être le sujet d’un roman. Atteint de la sclérose en plaques, il continue de militer contre les opérations génitales sur les enfants notamment aux Nations Unies où il est rapporteur et s’implique activement dans la LIGUESEP . Il évoque les ruptures professionnelles, familiales, amicales qu’a provoquées sa situation mais insiste surtout sur la solidarité et toutes les amitiés qui l’entourent aujourd’hui : « c’est un challenge quotidien à remporter! ».

Josselin est le plus jeune du trio, diagnostiqué à 23 ans alors qu’il perd la vue, il a aujourd’hui 31 ans et se réjouit d’avoir pu participer aux derniers 20 km de Bruxelles en fauteuil roulant. Cet exploit lui a redonné du courage et l’incite aujourd’hui à trouver une nouvelle orientation professionnelle.

Le témoignage de ces trois héros de la vie quotidienne a donné lieu à une salve d’applaudissements et David Foenkinos leur a exprimé toute son admiration en citant de nouveau un mot récurent pendant l’entretien qu’ils incarnent parfaitement : « la reconstruction ».

Après quelques heures passées dans ce lieu atypique au milieu d’une communauté accueillante et d’une énergie folle, j’ai bien compris ce qu’était venu faire David Foenkinos un dimanche matin dans le quartier de St Gilles. Cette rencontre était bien plus qu’un autre entretien sur son dernier livre , c’était une invitation comme l’a souligné Thierry Bosman dans son intervention à « tricoter des liens pour continuer à vivre. »

David Foenkinos et Frédérique Vanandrewelt

Merci à La Tricoterie pour cette rencontre lumineuse qui va me tenir au chaud un bon moment !


Petite biblio- filmographie de David Foenkinos

(présentation toute personnelle)

Côté Roman

*Les premiers romans

Inversion de l’idiotie, 2002 (Prix F Mauriac)

Entre les oreilles, 2002

Le potentiel érotique de ma femme, 2004 (Prix R Nimier)

En cas de bonheur, 2005

Les cœurs autonomes, 2006

Qui se souvient de David Foenkinos ?, 2007 (Prix du jury J Giono)

Nos séparations, 2008

*Vers la reconnaissance

La délicatesse, 2009

Lennon, 2010

Les souvenirs, 2011

Je vais mieux, 2013

La tête de l’emploi, 2013

*La consécration

Charlotte, 2014 (Prix Renaudot, Prix Goncourt des Lycéens) Mon numéro 1 !

Le mystère Henri Pick, 2016

Vers la beauté, 2028 Mon « Second Best »

Deux sœurs, 2019

La famille Martin, 2020

Numéro 2, 2022

Côté Théâtre

Célibataires, 2008

Le plus beau jour, 2016

Côté Jeunesse

Le petit garçon qui disait toujours non, 2011

Le saule pleureur de bonne humeur, 2012

Côté Cinéma

* (ses romans adaptés)

La Délicatesse, 2011 ( avec son frère, le réalisateur, Stéphane Foenkinos)

Les Souvenirs, 2014 (de Jean-Paul Rouve)

Je vais mieux, 2017 (de Jean-Pierre Améris)

Le mystère Henri Pick, 2019 (de Rémi Besançon)

Deux sœurs, 2020 (de Jean-Paul Rouve)

*Autres Films

Une histoire de pieds, 2005 (avec Stéphane Foenkinos, court-métrage)

Jalouse, 2017 (avec Stéphane Foenkinos)

*SCOOP

« Mais il y a un mec quelque part pour qui c’est probablement vrai », c’est ce qu’a dit Daniel Radcliffe quand il a découvert le roman de David Foenkinos qui devrait être adapté au cinéma. Et l’auteur se prend à rêver : « Et si ce numéro 2 anonyme jouait son propre rôle dans le film ? »

À  suivre…