Tromperie d’Arnaud Desplechin, ou l’adultère de la fiction sur l’expérience.
« Quand je t’ai connue tu étais mure ». « -Non j’étais un fruit tombé au pied de l’arbre qui pourrissait sur place ». Tromperie est le dernier film réalisé par Arnaud Desplechin, basé sur le roman homonyme de Philip Roth, sorti en 1990. Le film aborde, à travers de moelleuses conversations d’oreillers, finement tissées par Denis Podalydès et Léa Seydoux, le vieillissement des corps, la genèse du désir et la possibilité de l’amour.
Arnaud Desplechin
Le cinéma d’Arnaud Desplechin s’inscrit dans la continuité esthétique des films de la Nouvelle Vague des Rohmer et Godard. Récemment réalisateur pour la série « En thérapie », c’est sous le bandeau « dirigé par Arnaud Desplechin » qu’il signe ici Tromperie. Après le détonnant Roubaix, une lumière, nous sommes soulagés de retrouver pour son 14ème long métrage les thèmes chers à ce réalisateur : la bourgeoisie intellectuelle en crise de sens, la propension à la discussion littéraire, une intrigue d’espionnage, un cinéma plus porté sur la direction d’acteur que sur l’écriture cinématographique à proprement parler -mis à part, quelques fioritures caractéristiques de sa filmographie, avec, çà et là, des fondus au noir qui coulent progressivement sur les protagonistes, les engloutissant dans un néant de solitude.
Bien qu’il soit loin du « théâtre filmé » qu’exécrait son père spirituel François Truffaut, Arnaud Desplechin voue une réelle passion pour le théâtre, avec notamment sa mise en scène du Angels in América de Tony Kushner, présentée à la comédie française en 2020. Passionné par le métier de comédien, il en donne une magnifique définition dans une interview pour « Négatif» les décrivant comme des artistes qui sont « à la fois et la toile et le pinceau »
À 35 ans un écrivain a renoncé à transcrire son expérience en fiction, il impose sa fiction à l’expérience
Une question hante le film : l’incursion de l’art dans la vie. En effet, de par la mise en abime que propose le récit initial -un écrivain qui écrit sur sa vie d’écrivain en panne d’inspiration-, le film amène à interroger les frontières entre la création et la vie. L’étudiante, jouée par Rebecca Marder, explique au protagoniste que la Métamorphose et le Procès ne viennent pas du rapport qu’entretenait Kafka avec son père mais qu’au contraire, la Lettre au père découle de ses deux romans : ce n’est pas le réel qui devient fiction mais la fiction qui ébranle le réel. Cette inversion du schéma classique de la dialectique vie-œuvre est également ébranlée quand le protagoniste explique nonchalamment à son amante que « oui, la littérature touche le réel ».
Pour la légende, Philip Roth aurait découvert, à partir des bonus du film Rois et Reine, une première version de l’épilogue de Tromperie, tourné à l’époque, en 2004, pendant des échauffements pour une séquence avec Emmanuelle Devos. L’écrivain aurait alors proposé au réalisateur d’en faire un film entier. Ce qu’Arnaud Desplechin, quinze années plus tard, après avoir vainement essayé avec plusieurs scénarios d’adaptation théâtrale, réalisera avec Tromperie.