Un « Bourgeois gentilhomme » très humoristique à l’Opéra-Comique
Programmée en 2020 à l’Opéra-Comique en pleine crise sanitaire et donc annulée, la dernière comédie-ballet de Molière et Lully est enfin proposée dans son écrin initial. Le Bourgeois gentilhomme est mis en scène et interprété dans le rôle-titre par Jérôme Deschamps qui a également été directeur de l’Opéra-Comique de 2007 à 2015.
Molière, fin observateur, a croqué avec malice ses contemporains, ses œuvres sont des témoignages sur les mœurs de la société de son temps.
Le metteur en scène ridiculise aussi les autres protagonistes
Homme de théâtre reconnu, Jérôme Deschamps choisit d’apporter sensibilité et poésie au personnage de Monsieur Jourdain. Ce bourgeois crédule et dépensier rêve d’ascension sociale. Mais sous le règne de Louis XIV ne devient pas aristocrate qui veut sans la condition de la naissance. Afin de devenir un gentilhomme, Monsieur Jourdain a décidé d’acquérir les manières des gens de qualité ou l’habitus comme pourrait le définir Bourdieu. Jérôme Deschamps affectionne ce personnage qu’il interprète avec bienveillance : « Et je veux ici faire partager sa solitude au milieu de ceux qui le dupent, son émerveillement devant le paradis qu’il croit voir naître sous ses yeux. » Au-delà de l’adaptation de cette comédie-ballet qui mêle chant, danse et théâtre dans le décor épuré de la maison Jourdain, le metteur en scène ridiculise aussi les autres protagonistes. Les maîtres de la musique et de la danse sont montrés sous un angle arrogant et suffisant. Ces « gens de la culture » méprisent avec cynisme Monsieur Jourdain qui souhaite apprendre et s’élever. Il est pourtant très entouré, tant que la bourse reste déliée… Les leçons de philosophie ou plutôt de prononciation du comédien Jean-Claude Bolle Reddat sont bêtement répétées et déformées. Très sensible à la flatterie et noyé dans le paraître, Monsieur Jourdain s’honore de porter des habits qu’il croit somptueux – alors qu’il est affublé d’une robe de chambre rose. Les costumes d’inspiration XVIIIe aux couleurs flashy assorties aux perruques sont signés Vanessa Sannino. Ils contribuent à apporter un grain de folie.
Des moments inattendus et amusants
Monsieur Jourdain est également trompé par Dorante, ruiné et très intéressé par sa générosité – interprété par l’excellent Guillaume Laloux qui joue aussi le maître de danse. Ce noble revient accompagné de la marquise Dorimène (Pauline Deshons). Monsieur Jourdain, très amoureux, espère la séduire. La séquence du banquet est très réussie avec des moments inattendus et amusants, en accord avec la subtilité des dialogues. La servante Nicole (la pétillante Pauline Tricot) est très présente tout le long de cette pièce. Elle sautille et astique le plateau avec des balais en ramassant des souris. Avec franchise et par de grands éclats de rire, elle se moque de Monsieur Jourdain ; Nicole et Madame Jourdain sont deux personnages intéressants car elles sont toutes deux authentiques. Vincent Debost a pour rôle le maître d’arme et celui de Covielle, le valet de Cléonte (Aurélien Gabrielli) qui veut épouser Lucile (Pauline Gardel). Monsieur Jourdain refuse ce mariage et fait rire le public, car ses prétentions n’ont pas de limites : sa fille deviendra marquise et même mieux duchesse ! Or Cléonte a fait l’erreur d’avouer ne pas être un gentilhomme. Covielle fomente donc une mascarade ou plutôt une turquerie par laquelle il fait croire à Monsieur Jourdain que le fils du Grand Turc souhaite épouser Lucile. Encore dupé, Monsieur Jourdain la marie à Cléonte déguisé à la mode orientale. Il est alors persuadé qu’il devient un grand personnage, ébloui par les fastes de la cérémonie-ballet.
À la fosse, les Musiciens du Louvre jouent sur des instruments d’époque. C’est un plaisir d’entendre cette musique baroque sous la direction du jeune chef d’orchestre Théotime Langlois de Swarte, très attentif et enthousiaste. Pour les premières représentations, il remplace le talentueux Marc Minkowski qui s’est blessé. Théotime Langlois de Swarte alterne avec dynamisme violon et orchestration, ses débuts à l’Opéra-Comique sont prometteurs. Jérôme Deschamps a été longuement applaudi pour ce spectacle complet dont le propos reste actuel.
Le Bourgeois gentilhomme de Molière et Jean-Baptiste Lully
Comédie-ballet en cinq actes. Créée au château de Chambord le 14 octobre 1670.
Mise en scène Jérôme Deschamps
Décors Félix Deschamps
Costumes Vanessa Sannino
Chorégraphie Natalie Van Parys
Lumières François Menou
Direction de l’orchestre Théotime Langlois de Swarte
Orchestre Les Musiciens du Louvre / L’Académie des Musiciens du Louvre
Avec Flore Babled /Pauline Gardel, Jean-Claude Bolle Reddat, Sébastien Boudrot, Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Pauline Deshons /Bénédicte Choisnet, Aurélien Gabrielli, Guillaume Laloux, Josiane Stoleru, Pauline Tricot / Lucrèce Carmignac, Sandrine Buendia / Natalie Pérez / Constance Malta-Bey, Nile Senatore, Lisandro Nesis, Jérôme Varnier / Nabil Suliman
Spectacle en français, surtitré en anglais
3h (entracte inclus)
Jusqu’au 26 mars 2023 à l’Opéra Comique.