Le festival international de la bande dessinée, un événement qui rassemble chaque année des milliers de personnes dans la petite mais magnifique ville d’Angoulême, dans le département français de Charente. Désormais culte pour beaucoup, ce festival émérite a crû d’année en année pour désormais englober toute la ville dans une multitude d’installations.

Monté de toutes pièces dans les années 70 par Francis Groux, ce festival était à l’origine un simple rassemblement de fans de comics books francophones. Eu égard à la prise d’importance de ce support dans la même période, l’évènement est un réel succès et, en dépit d’un contexte social et économique difficile, gagne de plus en plus d’adhérents. Officiellement instauré en 1974, il devient dès lors l’un des grands carrefours du monde culturel français, ainsi que l’un de ses événements les plus guettés.

Exactement ce qu’il faut pour redonner un peu de cœur dans le contexte difficile de cette jeune année 2023.

Que promet cette 50e édition ?

Difficile de savoir ce qui nous frappe le plus en arrivant à Angoulême. Serait-ce l’engouement des visiteurs ou bien l’ampleur prise par les installations ? Dur à dire, mais toujours est-il que le public s’aligne en grosses files dans les quelques 23 zones attribuées aux différents domaines couverts sous et sur les remparts de la vieille ville.

Sa popularité croissante au fil des ans a valu à cette ancienne plaque tournante du commerce fluvial de se spécialiser dans le Neuvième Art. C’est donc un pèlerinage à part entière qui s’offre au piéton ; depuis les quais de la Charente (le fleuve à qui le département doit son nom), le piéton entame sa visite au musée du papier, louvoie entre les expos proches des Halles pour finalement se retrouver au cœur de l’activité, au plus près des zones de vente, d’échanges et d’intervention.

Précisons que pour y accéder, et pour la toute première fois depuis la création de l’événement, les tickets d’entrée sont intégralement numérisés. La nouvelle semble banale, mais mérite d’être reconnue quand on sait la complexité et le gaspillage d’encre qu’engendre le ticket traditionnel dans une installation de cette ampleur. Preuve que ça fonctionne, les avis recueillis auprès des visiteurs sont unanimes ; tout est plus fluide, bien que les temps d’attente restent longs.

Que justifie un tel temps d’attente ? Les remises de prix, en tout premier lieux ; BD franco belge, Comics, Mangas, Manhuas…La diversité ne manque pas. Sans plus attendre, attaquons la liste !

Pour commencer par le plus original, le Fauve d’Or, prestigieux trophée surveillé de près par les comicons, a été accordé à Martin Panchaud pour sa production La couleur des choses. Ce Suisse a séduit le jury avec son récit. Mêlant polar et humour, cet ouvrage narre les péripéties d’un jeune homme enquêtant sur le sort de ses parents. Le graphisme, très perturbant et géométrique, rappelle sans difficultés ces jeux (plateau ou vidéo) où les lieux sont observés du dessus. Le lecteur imagine, le récit narre, le graphisme synthétise ; une audace qui pourrait rebuter, mais dont le contenu tend à convaincre.

Beaucoup plus présent dans le décor, le titulaire du Grand Prix d’Angoulême a été attribué au franco-syrien Riad Sattouf. Prolifique auteur-dessinateur connu pour Les Cahiers d’Esther, l’Arabe du Futur ou encore La vie secrète des Jeunes. Très réputé pour son travail d’enquête, de restitution et d’observation, Sattouf explore dans chacune de ses productions le quotidien
des jeunes dans différents coins du monde (Syrie, Bretagne, France…). Le contenu choque, amuse, touche et sensibilise bien mieux qu’aucun reportage, et a ravi le cœur de tous les lecteurs de BD francophone.

Faisons honneur à l’Asie ; étaient présents au festival les mangakas Hajime Isayama, Ryoichi Ikegami et Junji Ito. Le premier n’est ni plus ni moins que l’auteur du célébrissime Shingeki No kyojin ( l’Attaque des Titans ), méga thriller vibrant et délirant qui a conquis le cœur de dizaines de millions de lecteurs/spectateurs dans le monde entier. C’est donc naturellement que le jury lui a remis le Fauve Spécial 50e Edition, une performance presque dérisoire quand on connaît le succès de son adaptation animée.

Ikegami et Itô, tous deux titulaires du Fauve d’Honneur 2023, ont eux aussi plus que bercés dans le domaine du sombre et du morbide ; l’un a exploré très largement l’univers de la mafia ( Sanctuary, Strain, Rokumonsen rock ) qui fait si bien corps avec la société japonaise, tandis que l’autre a généreusement donné de son âme au récit d’horreur ( Tomié, Gyo, Rémina). Quelques noms à suivre pour la communauté des lecteurs !

Mentionnons pour finir le cas de Victoria Lomasko, lauréate du prix Couilles au Cul ( C’est un vrai prix, promis ! ) pour sa production de BD-reportages. Le motif ? Victoria est russe et exilée de son pays eu égard au contenu provocateur et dénonciateur de ses petites œuvres. Le prix, remis en Off of Off ( Le « dessous de la cape » du festival ) est largement mérité pour la prise de risques et le courage dont témoignent les rares dessinateurs/auteurs présents en Russie…

Le cas Lomasko interpelle plus que de raison ; la bande dessinée, support ô combien modulable, se décline sous de multiples formes. Dans le cas du festival, nombre d’annexes étaient là pour en attester.

En parallèle des grands prix et des lauréats, la foule a eu le plaisir de se frotter au génie des autres acteurs du Neuvième Art. Par exemple, la BD alternative.

Présent à deux pas de l’hôtel de ville angoumoisin, l’espace dans lequel les plus modestes acteurs de la bulle se pressaient n’a pas manqué de visites, lui non plus. Cet espace, présent chaque année, contient pêle-mêle des recycleurs de grands classiques, des marchands d’art au profil surprenant, et bien sûr les marchands de fanzines.

« Fanzine », encore un mot improbable qui se joint à la farandole de termes abscons propres à cet univers si particulier (voir lexique en fin d’article). Ces mini productions, dont les exemples les plus célèbres sont vraisemblablement Fluide Glacial et Métal Hurlant, consistent en un assemblage de petites histoires présentées le plus souvent par un collectif en auto-édition. La quantité de ces mini-éditions présentes sous les chapiteaux blancs de la zone 5 en a surpris plus d’un.

La boîte à bulles, Blow books, des Ronds dans l’O, les Talents du Pôle images, Cafe Creed, Bello Loco, Bd Tabou, Editions Barbier, Pufr Locus, La Fanzinothèque, Lgbt bd, Under boom,…la liste des petits éditeurs n’en finit pas. Il m’a été donné d’observer des exemples aussi différents par l’aspect que par la forme ; par exemple, la jeune dessinatrice Olha qui édite ses aventures fantasy en graphisme manga à son propre compte (fait impressionnant car rare dans le milieu !).

Sa voisine de table, Juliette Taka, produit pour sa part toutes sortes d’albums tournant autour de l’univers du pole dance, rien d’aussi provoquant toutefois que le kiosque « BD érotique » et leur contenu parfaitement assumé. Ma petite mention personnelle va au groupe Blow Book et leur concept étrange de micro-livres disponibles dans un distributeur à boisson customisé. En voilà un moyen de vendre efficacement !

L’univers du Comic book est, par définition, underground. À l’image de cette dimension tordue où circulent des images et des histoires à n’en plus finir, il faut accepter de se perdre dans les méandres d’Angoulême pour faire le tour de toutes les autres expos. « Les Six voyages de Phillipe Druillet », « l’Attaque des Titans : l’Ombre et la Lumière »; ces deux premières -et très grandes- expositions étaient d’ores et déjà parfaites pour immerger les curieux et les fans dans le monde de leurs œuvres favorites.

Moins bondées et gratuites, on peut aussi citer les Offs, alias expos libres d’accès hébergées par des habitants volontaires. Mais plus intéressant encore ; pour les artistes en devenir, plusieurs possibilités de se faire connaître ont été jointes au décor. Ainsi donc, le festival est doté chaque année d’une expo « jeunes talents », ainsi que du petit concours qui l’accompagne. Un thème, quelques pages pour convaincre ; voilà tout ce à quoi les prétendants au titre ont droit pour faire valoir leurs capacités. Pour les plus ambitieux, la zone 1 accueillait les multiples maisons d’édition auxquelles il est possible de laisser
un dossier d’édition.

Pour compléter la panoplie d’initiatives instaurées lors du festival, la communication était aussi de la partie. Outre les inaltérables rencontres et séances de dédicaces, les pavillons proposaient aussi des tables rondes entre jeunes auteurs et intervenants, ainsi que des projections et un concert dessiné. Comment ne pas y trouver son compte ? Variété, ouverture, culture, fun…Depuis sa première ouverture en 1974 dans une aile déserte du musée d’Angoulême, le festival a évolué de façon grandiose.

Toutefois, cette énorme évolution a un prix. Littéralement ; le coût des places a nettement augmenté, et il n’est désormais pas exagéré de dire que la publicité et le marketing des grandes maisons d’édition privatisent une partie de l’évènement. Une telle manœuvre est-elle vraiment garante de la qualité du festival ?


Lexique

Neuvième Art : titre officiellement attribué à la création de comics-book (terme générique incluant la bd) vers 1960.
Manhuas : équivalent sino-coréen du Manga. Le sens de lecture est souvent vertical, car le support s’est plus souvent développé sous forme de webcomic.
Comicons : fanatiques éperdus du genre comics. Le terme s’emploie pour toutes les formes de comics répertoriés.
Angoumoisin : nom officiel des habitant-es d’Angoulême.
Tables rondes : rassemblement de personnes autour d’une tablée et d’un sujet/thème, souvent dans l’optique de concevoir un projet.
Concert dessiné : apparu ces dernières années, il s’agit d’un concert durant lequel un artiste illustre en temps réel le contenu des paroles ou du sujet abordé par celles-ci. Existe aussi sous forme d’histoires narrées au public.