Catherine Mory a publié une bande dessinée très remarquée sur l’histoire de la littérature française. Sur un ton humoristique, elle désacralise les écrivains par une approche biographique notamment des anecdotes parfois peu connues et une présentation synthétique des œuvres. Son dernier ouvrage L’Incroyable Histoire de la mythologie grecque, illustré par Philippe Bercovici, vient d’être publié aux Arènes BD.

Vous êtes auteure et professeure de lettres, vos deux derniers ouvrages ont été publiés en bandes dessinées. Qu’apporte selon vous ce format ?

Il apporte une double expressivité puisqu’il joue sur une double palette, les mots et les dessins. Dans la mesure où il y a des images, c’est moins impressionnant, moins intimidant. Et c’est un format qui séduit la jeunesse. La bande dessinée a longtemps été un fruit interdit. C’est ce que je raconte dans L’Incroyable Histoire de la littérature française à deux reprises. Dans le chapitre sur Sartre, notamment.

Dans cette partie, on voit deux vignettes. Sartre lit devant ses parents Le Cid de Corneille, et en cachette Les Pieds nickelés.

Dans sa vie officieuse, il jette par-dessus son épaule Le Cid et il lit secrètement Les Pieds nickelés. De même, Céline raconte que sa grand-mère qui s’appelait Céline – Louis-Ferdinand Destouches a choisi ce pseudonyme parce que c’était le prénom de sa grand-mère – lui offrait en cachette des bandes dessinées qu’on appelait alors des illustrés. Elle agissait clandestinement parce que le père de Céline prétendait que la BD, je cite : « Ça dévoye ! » Pour lui, ces illustrés fourvoyaient les jeunes. Donc les BD ont longtemps été considérées comme des lectures à éviter. 

Ce qui est intéressant c’est qu’en regard de notre époque, vous montrez de nombreux décalages. Pour Rimbaud, vous racontez l’anecdote de la gifle de sa mère pour la lecture des Misérables de Victor Hugo.

C’était il y a un siècle et demi à peine. Rimbaud s’est effectivement fait gifler par sa mère pour avoir lu Hugo qui était alors considéré comme un ennemi de l’autel et du trône. Rappelons que cet écrivain a eu d’importants ennuis politiques, il a dû s’exiler et sa tête avait été mise à prix par Louis Napoléon Bonaparte. C’était un rebelle, Les Misérables était placé à l’Index des livres interdits par l’église, comme tous les grands romans du XIXe siècle : Le rouge et le noir, Le lys dans la vallée…Tous étaient également condamnés.

Votre ton humoristique permet de mettre à la portée de tous ces écrivains-monuments. Vous proposez une synthèse à partir de plusieurs dimensions : la biographie des auteurs, les œuvres, leurs contextes, et le support des images proposées par Philippe Bercovici. 

C’était un travail de contorsionniste. J’avais une matière qui était très dense et que je devais faire tenir dans des cases de bande dessinée qui sont des timbres postes. C’était assez frustrant car je devais tout le temps me limiter. Dans l’ouvrage sur la mythologie grecque, j’ai eu un petit peu plus de place et ça a été assez jubilatoire de pouvoir développer des scènes, de m’attarder sur un événement en particulier et d’en montrer les différents épisodes.

Pouvez-vous présenter votre dernier album publié le 23 mars. Comment rendez-vous accessible la mythologie grecque ?

Il s’agit de raconter les mythes grecs fondateurs en un seul volume et avec humour. L’humour est la première originalité parce que beaucoup de livres existent sur la mythologie mais généralement, ils sont écrits dans un registre héroïque, épique. Or on riait beaucoup chez les anciens Grecs. Si on parle d’un rire homérique, c’est parce que dans L’Iliade, les dieux sont pris d’un fou rire inextinguible. Les dieux se font des blagues entre eux et en font aux humains, c’est vraiment une de leurs activités favorites. Les humains se moquent aussi des dieux. La religion grecque est pleine de fraîcheur, il n’y a pas de notion de blasphème, de sacrilège. Au XVIIe et XVIIIe siècles, on racontait déjà la mythologie sur un ton humoristique. On pratiquait le genre burlesque – c’est-à-dire qu’on parodiait un genre noble comme l’épopée. Au XVIIe siècle, Scarron a écrit Le Virgile travesti. Au XVIIIe siècle dans la lignée de Scarron, Marivaux – d’ailleurs j’en parle dans L’Incroyable Histoire de la littérature française – a écrit L’Homère travesti.

Il y avait déjà ce désir de parler des grands mythes sur un ton comique. La deuxième originalité de notre ouvrage, c’est que j’ai organisé les chapitres de façon chronologique. Or la mythologie ne se soucie pas de la chronologie. Pour vous donner un exemple, c’est le petit frère d’Athéna donc Héphaïstos qui la met au monde, alors qu’en principe il n’est pas encore né ! C’est non seulement anachronique mais en plus illogique. Pour autant dans la mythologie, on a aussi des données temporelles. On sait que Persée est l’arrière-grand-père d’Héraclès, et qu’Héraclès est le grand-cousin de Thésée. Donc à partir de ces données, j’ai proposé une chronologie que je ne prétends pas être définitive, pour en faire un ensemble. On peut lire les chapitres séparément ou les uns à la suite des autres.

Est-ce que vous avez souhaité démocratiser le savoir par la bande dessinée ?

Bien sûr parce qu’il y a un appétit de la jeunesse et du grand public pour la bande dessinée. Et bien sûr que le but c’est de démocratiser le savoir. La littérature c’est une grande dame intimidante. Il y a ceux qui l’ont fréquentée depuis leur plus jeune âge et il y a ceux qui n’ont pas eu cette chance. Grâce à la bande dessinée, les auteurs sont présentés de façon humaine. On voit leur enfance, leurs mésaventures, leurs faiblesses. Parfois ils ont commis des trahisons – je pense à Racine par exemple. La culture générale devrait être un trait d’union entre tous les citoyens or c’est trop souvent un moyen de domination.

Dans le colloque organisé par l’Institut de France (mars 2023) pour lequel j’étais intervenante, La culture générale, une question d’éducation et de pédagogie, on n’a pas dit autre chose. Certains jeunes ont honte de leur manque de culture générale, dans le monde professionnel, dans leurs relations amoureuses et aussi en société.


Propos recueillis par Fatma Alilate.

L’Incroyable Histoire de la littérature française de Catherine Mory et Philippe Bercovici, 352 pages, 24,90 € – Les Arènes BD.

L’Incroyable Histoire de la mythologie grecque de Catherine Mory et Philippe Bercovici, 320 pages, 25 € – Les Arènes BD.