Alexandre Duval-Stalla est avocat au Barreau de Paris, et également membre du Conseil d’administration de la Fondation Clemenceau qui gère le Musée Clemenceau, à Paris. Dans l’exposition qu’il consacre à Georges Clemenceau (1841-1929), Alexandre Duval-Stalla rappelle les étapes fondatrices de son parcours notamment l’arrestation de son père, ses combats et ses engagements pétris d’un idéal de justice. Médecin de formation, Clemenceau a conçu un programme républicain très novateur. Soucieux des plus humbles, il a contribué à de grandes réformes sociétales. 

Alexandre Duval-Stalla – Musée Clemenceau ©Fatma Alilate

Dans l’exposition Clemenceau et la justice – L’idéal d’une vie consacrée à la République, vous rendez hommage au parcours de Georges Clemenceau, à tous ses engagements et à ses convictions politiques, à cette période qui a précédé la Première Guerre mondiale.

Je souhaite montrer la vraie personnalité de Clemenceau et pas uniquement le Père la Victoire allant dans les tranchées soutenir les hommes au front. Il a d’abord été un républicain épris d’un idéal de justice. Il a eu comme objectif de mettre en œuvre tout ce que la Troisième République a fini par mettre en œuvre : la liberté de réunion et d’association, la séparation de l’Église et de l’État, les grandes lois sociales comme l’assurance maladie ou les droits des travailleurs, la journée de huit heures…C’est toute cette vie-là qui va animer Georges Clemenceau depuis sa première élection en 1870 comme Maire de Montmartre. Il va vivre la Commune, donc un moment très fort où il va être pas mal bousculé, il manquera de perdre la vie car la fièvre révolutionnaire est particulièrement sanglante. 

Vous revenez sur un événement traumatisant puisque son père a été incarcéré. Lui-même a aussi connu une expérience carcérale.

Clemenceau a eu une profonde admiration pour son père, Benjamin Clemenceau, républicain très inspiré des philosophes et de figures révolutionnaires. Il a été arrêté en 1858, au moment de l’attentat d’Orsini contre Napoléon III ; les républicains qui n’étaient pas à l’origine de cet attentat ont été arrêtés notamment Benjamin Clemenceau. Il y a cette scène un peu mythique où Georges Clemenceau âgé de seize ans se précipite au secours de son père en lui disant : « Je te vengerai ! » Et son père lui répond : « Si tu veux me venger, travaille ! » C’est un moment très fort. Et ensuite, il va être arrêté quand il colle des affiches contre l’Empire dans le quartier de La Bastille. Il va être incarcéré plus de deux mois. Ce qui lui donnera la conscience de la réalité de la prison et il devient un farouche défenseur de la réforme du système pénitentiaire français.

On voit aussi dans l’exposition qu’il avait gardé un bon souvenir des gardiens de prison.

Les gardiens de prison encore aujourd’hui sont essentiels dans une détention. Ils rendent des services aux personnes détenues, c’est extrêmement important. Clemenceau demandait des livres, il avait besoin de la bienveillance des gardiens. Il a apprécié leur rôle et il leur rend hommage, il a toujours été très attentif à la condition des gardiens de prison. Il aura toujours une attention pour eux quand il sera aux affaires, il y avait un attachement.

Justement on peut lire une lettre de Clemenceau où il passe commande de certains livres d’auteurs du XIXe siècle.

Il commande les livres d’auteurs qui pour lui étaient des écrivains contemporains. Il commande Vigny, George Sand, Musset, Victor Hugo…Ce qui montre bien que le temps en prison peut être un temps utile pour lire.

Quand on connaît votre parcours – vous êtes le président-fondateur de cette grande association Lire pour en Sortir, on pense immédiatement à l’importance des livres dans les lieux de détention et votre association est très active dans ce domaine. 

On a fait changer le Code de procédure pénale pour que désormais les réductions de peines supplémentaires puissent porter sur toutes les activités culturelles notamment sur celle de la lecture. Nous avons obtenu un amendement de la loi en juillet 2014. Nous avons créé un programme personnalisé de lectures où chaque détenu peut commander des livres auprès de nos bénévoles. Les détenus sont accompagnés par les bénévoles qui viennent les voir une à deux fois par quinzaine, les livres sont offerts et achetés à des librairies indépendantes localement. Ils peuvent commander autant de livres qu’ils le souhaitent. Nous serons à la fin de l’année dans plus de quarante établissements pénitentiaires. Et on gère aussi la bibliothèque de la prison de La Santé. Quand on a retrouvé cette lettre de Clemenceau qui commandait ses livres, c’était extrêmement émouvant parce que vous avez beaucoup de gens qui ont été en prison et qui ont été sauvés par les livres. Ça a vraiment été pour eux à la fois une boussole, un moyen de s’en sortir et de tenir.

Vous présentez les combats de Clemenceau, les prisons bien sûr et l’affaire Dreyfus.

Pour Clemenceau, c’est intéressant de voir son évolution. À cette période, il est battu aux élections, il devient journaliste et lorsqu’il apprend la destitution du Capitaine Dreyfus, il est scandalisé à l’idée qu’il ait pu trahir sa patrie. Cette affaire a été extrêmement profonde dans l’opinion publique française et dans la politique française. Elle a révélé un antisémitisme odieux et entraîné des mensonges, des trahisons. Tous ceux qui ont défendu l’innocence de Dreyfus n’étaient pas dupes de la question de l’antisémitisme. Clemenceau va s’engager grâce à son ami Auguste Scheurer-Kestner qui va lui faire rencontrer le frère du Capitaine Dreyfus. Progressivement, il va être convaincu de l’innocence du Capitaine Dreyfus et c’est surtout sur la justice et les procédures judiciaires qu’il va être ferme. Car ce qu’il défend c’est un procès juste et équitable, les droits de la défense. Ça va durer dix longues années, il va écrire de nombreux articles. Il accueille dans les colonnes de son journal le fameux J’Accuse… ! de Zola – le titre est de Clemenceau. Et d’ailleurs la citation qui ouvre l’exposition est une citation d’Hannah Arendt qui rappelle combien Clemenceau a incarné cet idéal de justice contre l’antisémitisme qui a duré malheureusement jusqu’à aujourd’hui et particulièrement sous le régime de Vichy.

L’autre combat qui est étonnant c’est l’abolition de la peine de mort. Clemenceau était très novateur dans ses idées.

À l’occasion de l’exposition, on peut découvrir cet événement méconnu. En 1908, se tient déjà un débat pour l’abolition de la peine de mort. Donc près de soixante-dix ans avant l’abolition de la peine de mort portée par Robert Badinter, en 1981. 

Vous êtes membre du conseil d’administration de ce musée qui est constitué de l’appartement préservé de Clemenceau. Un musée attachant.

James Stuart Douglas, un riche américain qui était très admiratif de Clemenceau, a acheté l’ensemble de l’immeuble à la seule condition que soit conservé en l’état l’appartement de Clemenceau à sa mort. J’ai écrit une biographie croisée sur Clemenceau-Monet et j’ai rejoint le conseil d’administration depuis dix ans. Nous gérons la mémoire de Clemenceau et ce musée est effectivement très attachant avec ce jardin et surtout l’appartement où on a l’impression que le Tigre Clemenceau va sortir d’une porte parce que tout est resté en l’état. Sa robe de chambre, ses chaussons, son bureau, sa chambre avec son lit, le téléphone d’époque, le calendrier qui date du jour de la mort de Clemenceau, les tableaux. On découvre toutes les passions de Clemenceau, la Grèce Antique, le Japon, Monet, ses amitiés. C’est un musée qu’il faut absolument visiter et qui respire l’âme et la chaleur de Clemenceau.

Propos recueillis par Fatma Alilate.


Exposition Clemenceau et la justice – L’idéal d’une vie consacrée à la République.

Musée Clemenceau – 8 rue Benjamin Franklin, 75116 Paris.

Jusqu’au 29 juillet 2023.

Commissariat : Alexandre Duval-Stalla.

Livret d’exposition Clemenceau et la justice – L’idéal d’une vie consacrée à la République – Alexandre Duval-Stalla, 26 pages, 10 € – Musée Clemenceau.