Le 19e siècle avait sa Rihanna : elle s’appelait Sarah Bernhardt, surnommée « la Divine », avant Greta Garbo, « la Diva ». Cent ans après son décès, le nom de Sarah Bernhardt peut sembler plutôt éloigné de notre époque où prédominent des personnalités telles que Kim Kardashian, Justin Bieber ou encore Johnny Depp… Et pourtant, cette actrice, considérée comme l’une des plus grandes actrices de tous les temps, a posé les fondations de la diva inaccessible, de ses frasques et d’une communication qui ont été reprises dans l’industrie du show business actuel.
Comme beaucoup de gens, j’éprouve d’énormes difficultés à considérer le travail des influenceurs comme quelque chose de très sérieux, même si, comme beaucoup, j’épie en cachette les faits et gestes de personnalités que je n’apprécie pas spécialement, comme Rihanna qui attend désormais son second enfant. Sûrement parce que ces actualités me semblent plus légères et digestes qu’une dose importante de mauvaises nouvelles habituelles. D’après une étude, de nombreuses personnes scrutent la vie de célébrités connues ou qu’elles n’aiment pas, simplement pour se rassurer quant à leurs propres valeurs morales.
C’est tout simplement du divertissement, lorsque j’ai deux ou trois minutes à perdre. Ce qui me fascine le plus, c’est surtout la mise en scène de leur vie comme une série sur Netflix, avec ses scandales, polémiques, joies et excentricités soigneusement jouées pour attirer les personnes les plus voyeuristes ou curieuses.
Très souvent, ces vies de célébrités et d’influenceurs sont légèrement irréelles par rapport à l’expérience de nombreuses personnes. Je ne connais personne qui oserait se rendre à une fête vêtu de viande, à l’instar de Lady Gaga, provoquant ainsi un tumulte dans une certaine presse. Et pourtant, ces faits et gestes irrationnels propres à notre époque n’ont rien à envier à ce qui se faisait autrefois. Tous ces codes qui animent la vie de ces personnalités publiques ont été inventés par une femme très célèbre au XIXe siècle, dont chaque péripétie était observée par des foules de fans.
Une comédienne française, qui était du même calibre que Kim Kardashian en matière d’influence, a jeté les bases de l’attitude, des codes et du marketing qui seront adoptés bien plus tard par les influenceurs, ainsi que par toutes les stars du cinéma et de la musique.
Une femme indépendante avant l’heure
Sarah Bernhardt, ce nom peu pour certain sembler anecdotique, et pourtant c’était la plus grande star du 19e siècle et du début du 20e siècle, scandaleuse, audacieuse et féministe. La « Divine Sarah » ne prêtait pas attention aux conventions très rigides de son époque, qui étaient des plus oppressantes pour les femmes. Sarah Bernhardt souhaitait simplement poursuivre son chemin en toute liberté, sans se soucier de l’avis des autres, et elle recadrait ceux dont les propos lui déplaisaient.
On peut dire que l’enfance de Sarah n’a pas été des plus paisibles. Fille illégitime d’une courtisane qui l’a abandonnée et d’un père en prison, elle décida de consacrer sa vie au théâtre. À force de travail, Sarah devint rapidement très talentueuse. Elle foula les planches parisiennes à l’âge de 15 ans en 1859 et devint rapidement la coqueluche du théâtre, où l’on s’arrachait les billets rien que pour voir son nom sur l’affiche. En 1880, se sentant lésée dans son contrat avec le Théâtre Français, elle le rompit pour des abus. Bien sûr, cela fit scandale, mais la « Divine » obtint réparation.
De nature très indépendante et carriériste, elle créa sa propre compagnie et décida de conquérir le monde entier. Le succès était au rendez-vous. Sarah était acclamée telle une Beyoncé aux quatre coins du monde, jouant en français devant des cowboys ne parlant pas la langue de Molière, simplement parce qu’il fallait voir la « Divine Sarah ».
Du bon drama
À côté du succès, Sarah Bernhardt tient les rênes de sa propre vie affective, qui est des plus tumultueuses. Elle donne naissance à un enfant hors mariage à 20 ans, collectionne les aventures et, gros scandale pour l’époque, entretient des relations avec des femmes ! Sarah n’hésite pas non plus à échanger son corps contre de l’argent avec certains de ses admirateurs les plus fortunés. Sa vie amoureuse polémique est suivie de près par la presse.
Sarah Bernhardt provoque également ses détracteurs en transportant avec elle un cercueil qu’elle fait installer dans chaque hôtel où elle loge pendant ses tournées. Elle n’hésite pas à poser pour des photos qu’elle revend ensuite sous forme de cartes postales. Elle est également la première personne à expérimenter différentes poses pour ses photos, bien avant les célébrités actuelles, alors qu’il était courant de rester figé et sérieux devant les objectifs de l’époque.
Pour se reposer, Sarah s’achète un fortin militaire dans lequel elle s’installe avec une grande ménagerie. Elle n’hésite pas à faire boire du champagne à son alligator préféré, Ali Gaga. Tout cela était tout à fait normal pour une personne qui aurait gagné l’équivalent de 185 millions d’euros tout au long de sa vie.
Sarah Bernhardt, comme beaucoup de célébrités d’aujourd’hui, a également eu droit à un documentaire sur sa vie quotidienne en 2012, une pratique encore très vivace de nos jours où l’on peut voir la vie de certaines stars en coulisses ou simplement en train de verser leurs céréales du matin dans leurs bols.
Sarah veut toujours voulu jouer la carte de l’authenticité. Malheureusement, atteinte d’une gangrène en 1915 qui lui fait perdre une jambe, elle refuse de porter une prothèse. Un caprice qui pourrait passer aujourd’hui comme une affirmation d’assumer son corps et de l’aimer tel qu’il est.
Aussi importante que les chefs d’État
Sarah Bernhardt, qui démarre sa carrière sur les planches au milieu du 19e siècle, s’éteindra après avoir tourné une scène dans un film de Sacha Guitry en 1923. Sarah Bernhardt laisse en héritage tout ce qui fait le star-system actuel. Un million de personnes lui rendent hommage lors de son enterrement à Paris.
Elle incarne à elle seule tout ce qui peut provoquer la viralité sur les réseaux sociaux et dans les médias, avec d’excellentes qualités de femme d’affaires et de marketing. Sarah Bernhardt n’a rien à envier à Rihanna.
En bref, une femme très en avance sur son temps.
Pour en savoir plus
Je peux vous recommander l’excellente vidéo de Secrets d’histoire présentée par Stéphane Bern et un entretien de France Culture dédié au centième anniversaire du décès de Sarah Bernhardt. Et pour clôturer , un enregistrement rare de la voix de Sarah Bernardt , juste pour entendre son jeu, très apprécié à l’époque, et très différent de nos acteurs actuels.
