La polémique Freeze Corleone
Ce nom peut vous sembler inconnu ou pas, et pourtant cet artiste vient de se hisser numéro 1 dans les meilleures ventes albums … Si vous le connaissez, il ne vous laissera pas indifférent, que vous l’aimiez ou pas, vous avez un avis sur lui. La polémique Freeze Corleone. Ce rappeur de l’ombre et très dissident semble maîtriser à merveille la promotion 3.0 et réussir sans l’aide des médias traditionnels tels que la radio ou la télévision. Analyse de comment réussir dans la musique grâce à … internet.
Le fameux «les jeunes et leurs écrans»
Il est vrai que depuis plusieurs années, il existe une réelle déconnexion de l’actualité musicale traitée par les médias traditionnels tels que la radio, la télévision, la presse, et la vaste faune d’internet sur laquelle on peut désormais compter pour le lancement des nouvelles donnes, comportements et autres tendances à gogo, quasi invisibles des grands médias. Véritable place publique désormais même plus influente que la télévision.
L’industrie du disque qui était en crise a pu s’y refaire une nouvelle jeunesse après le délabrement des baisses de ventes physiques. Un constat se dresse, les nouvelles pointures émanant du streaming vendent et marchent beaucoup mieux que les dinosaures classés dans la chanson française /pop et rock, ceux-là mêmes que les médias mettent en avant . Quelle différence entre les gens qui travaillent, qui reviennent tard et qui, pour beaucoup, ont une famille à charge, et des adolescents qui ont le temps de passer de 3,8 heures avant le Covid à 7,7 heures après par jour derrière les écrans !
L’écoute de musique en streaming s’est d’office installée en tête de consommation musicale auprès de cette génération. YouTube, Spotify, iTunes, Instagram, Tiktok sont devenus plus importants en matière de découverte culturelle et bien sûr musicale. Les records des écoutes des artistes (beaucoup de hip hop ) sur YouTube peuvent dépasser 100 millions de vues, voire 481 millions de vues ( date de l’écriture de l’article ) pour le clip de « Bande organisée » réunissant des stars du genre, alors que des artistes acclamés par les générations précédentes peinent à atteindre le demi-million. Il existe bel et bien une fracture culturelle entre les grands médias et la puissance virale d’internet.
Ca crépite de nouveau
Internet est le meilleur terreau pour le hip hop, devenu surpuissant mais en grosse partie invisibilisé par les supports traditionnels, afin de ne pas offusquer à l’aide de langage fleuri un audimat qui exprime encore des avis très négatifs sur le rap. Et pourtant, on a tous été jeunes, et être jeune c’est aussi apprécier la musique un peu plus rebelle.
Alors que beaucoup de rappeurs français semblent s’être un peu assagis afin de plaire à un plus large public, une étincelle surgit brusquement de l’obscurité du web : Freeze Corleone, qui arrive avec une même dissidence rappelant les débuts de NTM en France, mais cette fois-çi maniant la polémique façon culture internet, à l’aide de références au complotisme.
Des propos condamnés par les associations pour antisémitisme, des références multiples à l’Allemagne d’une certaine époque avec un petit moustachu… Ce rappeur qui a longtemps mis le doute sur sa provenance en modifiant sa géolocalisation telle une blockchain de crypto monnaie, c’est-à-dire qu’il peut être partout et nulle part. Et sur internet on peut être partout à tout moment.
Freeze Corleone, complotiste et fier de l’être
Pourtant, notre Freeze Corleone, de son vrai nom Issa Lorenzo Diakhaté, resté longtemps mystérieux tel un semi Banksy, a débuté avec sa bande d’amis musiciens dans une simple maison, devenue plus tard le fameux label 667 ( petite référence au satanisme par le 666 et à 7 par le nombre de Dieu), nom qui en dit long sur les velléités de cette petite bande fan de hip hop, de produits étranges et de vidéos complotistes dégotées en masse sur YouTube.
Freeze Corleone a construit son image autour de cette culture de l’interdit d’internet propre à sa génération. Il se présente comme une sorte de dénonciateur des illuminatis et des ordres dominant le monde. Chacun de ses albums sort le 11 septembre, histoire de bien insister sur les théories du complot. Théories qui trouvent un très bon public depuis leur résurgence à la fin des années 1990 sur internet. Une communication assez anonyme, et l’appui d’une communauté grandissante, « mes fans, c’est mes partenaires » comme le dit si bien Orelsan dans l’un de ses morceaux.
Ca chauffe et c’est méchant, mais « effet Streisand »
Mais Freeze Corleone ne va pas tarder à s’attirer les foudres en critiquant Skyrock, qui se refusera à le défendre en ne diffusant plus sa musique. Issa va continuer à bien huiler sa communication des plus agressives. Il s’attire aussi les foudres d’associations juives par ses multiples références douteuses dans ses paroles, qui malheureusement joue plutôt « l’effet Streisand » sur ses ventes : une bonne polémique qui attire l’attention de la censure et joue en sa faveur, malgré le retrait des rayons par la FNAC de ses albums.
Après quelques procès pour propos violents et des concerts annulés, Freeze Corleone ne se décourage pas et revient encore plus vivace, avec des accusations de tous bords sur le ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin, qui est une nouvelle cible de choix pour ses punchlines très virales : « Je préfère être accusé d’antisémitisme que de viol comme Gérald Darmanin » , le ton est donné.
Issa s’est construit un personnage réfractaire aux normes établies à l’aide de sa culture internet, et maîtrise sa communication qui divise autant qu’elle attire. Il s’établit comme le nouveau pion nerveux du hip hop, plus de 30 ans après que NTM ait provoqué la même crainte dans les médias. D’ailleurs un très bon film raconte les débuts de ce groupe mythique, afin de rappeler l’effet dynamique qu’il a provoqué, petite bande annonce sortie en 2021 .
Nous sommes ici face un dilemme : d’un côté Freeze Corleone est talentueux et novateur, de l’autre ce talent peut être gâché à cause d’une provocation gratuite en appelant à la haine.
A l’heure où l’on voit apparaitre beaucoup de rappeurs plutôt polissés et aptes à plaire à d’autres publics, Freeze Corleone rappelle que le hip hop fait, depuis ses origines, de la musique pour renverser les esprits. Bref, dans l’année qui célèbre les 50 ans du genre, que cela plaise ou non, le rap réussit à conserver son élan rebelle.
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Freeze Corleone 667 – Voldemort :