Nous avons eu la chance d’interviewer Jean-Michel Leroy, un des fondateurs de la revue « Huis Clos », l’OVNI éditorial de ce début d’année 2024.

C’est un projet un peu fou d’imprimer du papier en 2024, non ?

Jean-Michel Leroy : Non seulement nous avons créé une revue, mais aussi une maison d’édition. La revue s’appelle Huis Clos, et les éditions éponymes sont les Éditions Huis Clos. Nous prévoyons de débuter la publication de nos premiers livres pour la fin de l’année 2024.

Les membres fondateurs de ce projet sont un groupe d’amis, essentiellement des copains de Sciences Po, nous avons étudié ensemble. Il y a aussi un ingénieur et un juriste. Abderrahmane El Kadiri est plus théorique, philosophe. Il a publié en 2019 un essai sur l’époque vue sous l’angle philosophique.

Le premier numéro du printemps 2023 © Huis Clos

Nous nous connaissons tous depuis plus de dix ans, et nous avons tous un intérêt pour l’écriture. Nous avons parmi nous des plumes davantage tournées vers la fiction, des poètes aussi, nos centres d’intérêt sont variés. Notre premier constat, lorsque nous avons vu un de nos amis envoyer son manuscrit chez les éditeurs, c’est que l’accès au monde de l’édition est incroyablement complexe, nombreux sont les appelés et peu sont les élus. A bien considérer la chose, il était plus simple, bien que cela demande plus de travail, de créer notre propre terrain d’expression, où nous aurions toute latitude de mener notre barque à notre façon. C’est ainsi qu’est née l’idée de la revue. C’est un projet, un rêve, que nous caressions tous quand nous avions dix-huit ans, et l’idée me plaît, dix ans plus tard, d’être fidèle au rêve des adolescents que nous avons été.

Que trouve-t-on dans Huis Clos ?

Il y a un moment où nous avons tous pris les choses à bras le corps. Le premier numéro était composé surtout de textes que nous avions déjà sous la main les uns et les autres, des récits, des poèmes, une traduction du Journal d’Oswald Spengler, dont l’œuvre est très peu publiée en français, à part Le Déclin de l’Occident qui est publié par Gallimard. L’un de mes confrères traduit le reste de son œuvre. Nous pourrions être amenés à la publier chez nous, aux Éditions Huis Clos. Nous avons déjà publié le début du Journal dans les premiers numéros de notre revue, et il sortira en volume complet en fin d’année ou au début 2025. Cela dépend du temps que nous y consacrerons. A partir du moment où nous faisons tout nous-mêmes nous nous retrouvons pris dans des délais incompressibles.

Huis Clos, à consommer sans modération, à la ville et à la campagne © Huis Clos

Notre revue Huis Clos commence à mener sa propre vie, plus publique, dans la mesure où nous avons maintenant un an d’existence, toutes sortes de choses se débloquent au bout de cette première année. Il a fallu que nous fassions preuve de persévérance. Faire les choses nous-même a eu l’avantage de conjuguer nos différents centres d’intérêts dans un seul objet. Il n’est pas certain qu’une maison qui existe déjà puisse publier des articles aussi variés. Par exemple, nous avons un ami ingénieur qui publie des schémas, nous devons être la seule revue littéraire de France à publier ce genre de schémas très techniques. Il met une série de représentations intellectuelles sous forme de schémas, il expose de manière scientifique le fonctionnement de l’esprit de ses camarades.

© Huis Clos

Comment trouvez-vous la matière nécessaire à votre revue ?

Cet aggloméré de sujets nous force à une certaine rigueur. Tous les trois mois nous sortons une revue de deux cents pages nouvelles. En réalité nous trouvons nos sujets assez aisément. Nous avons fondé cette société à six, un septième camarade s’est ajouté, Guilhem Pousson, qui écrivait sur Anna Karénine de Léon Tolstoï, et petit à petit se sont ajoutés de nouveaux contributeurs extérieurs ce qui fait que maintenant nous recevons des propositions variées, notamment grâce aux réseaux sociaux sur lesquels nous sommes actifs. Nous recevons des manuscrits sur Facebook, nombreux. En tant qu’éditeurs nous devons les lire. C’est assez inégal mais au milieu de cela il y a des écrits de qualité. Quelquefois je me retrouve un peu dans le rôle du méchant éditeur dans le film Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo, je dois accepter ou refuser.

© Huis Clos

Notre ambition pour Huis Clos est de marcher sur deux pieds : un pied dans notre époque et l’autre dans le passé. C’est l’idée de la transmission, sans tomber dans des excès, ni dans un sens ni dans l’autre. Pas trop de fluorescents actuels, ni trop d’esthétique passéiste qui veut rejouer éternellement le XXe siècle. Dans notre équipe nous sommes tous nés vers 1993/1994 et j’ai tendance à penser que notre génération a pour mission d’être des passeurs de XXe siècle, de faire le tri, à la mesure de nos moyens, de ce que l’on garde du passé, de ce que l’on projette vers les futur. Et dans l’autre sens, nous voulons expliquer les tendances d’aujourd’hui à un lectorat un peu moins connecté aux réalités contemporaines. Et toujours rester dans l’équilibre.

Vous êtes des passeurs ?

Je dis souvent à mes contemporains, « Vous rendez-vous compte que nous sommes non seulement les enfants d’un siècle, mais aussi les derniers rejetons d’un millénaire ? » C’est fort. Nous avons utilisé comme slogan : « Revue d’art et d’idées, la revue des derniers enfants d’un siècle et d’un millénaire. »

Ali, le dernier crieur de journaux de Paris, n’a pas manqué de rajouter Huis Clos à sa sélection © Huis Clos

Nous abordons non seulement le domaine des idées, mais nous parlons aussi par exemple d’un jeu vidéo. Par ailleurs nous abordons également des objets plus classiques de la culture, comme la littérature russe, ou Paul Valéry dans un prochain numéro, avec des notes de bas de page.

Atteignez-vous l’équilibre financier ou devez-vous y aller de votre poche ?

Nous sommes à l’équilibre financier, la boîte fonctionne bien. Certes notre tirage reste encore confidentiel mais il est déjà établi et placé, on nous trouve par exemple à L’Écume des Pages. Ce qui fut plus difficile c’est de passer la première année car il y a certaines choses qui ne se débloquent qu’au bout d’un an. Les pouvoirs publics n’arrosent pas n’importe qui veut voir son nom imprimé sur du papier. Le Centre National du Livre aide pas mal les revues, ça nous ferait aller dans la bonne direction. Pour le moment nous tirons à deux cents exemplaires, et nous avons tout vendu. Nous préférons tirer modestement plutôt que de nous retrouver avec des quantités sur les bras, nous augmentons le tirage régulièrement.

© Huis Clos

Huis Clos est un objet d’art

Nous sommes attentifs à imprimer un objet de garde, de qualité, afin que nos volumes finissent dans une bibliothèque plutôt que dans les cabinets.  J’ai été à l’École du Louvre et je suis sensible à la qualité de l’illustration, laisser une place de choix à la photographie en pleine page, à la peinture, faire découvrir des peintres émergeants. Nous avons voulu un objet que l’on puisse feuilleter plaisamment, et pas seulement une masse de textes. Huis Clos est déjà assez dense, c’est important de l’équilibrer par de l’illustration.

En prospectant le monde des revues je me suis aperçu qu’il y a essentiellement deux formats, le format A4 tel que nous l’imprimons, et le format plus petit de l’ordre du A5. Je trouve que notre format plus grand nous convient parfaitement, il nous permet une certaine aération dans les textes et laisse la place à la photo.

Bientôt vous éditerez des livres

La rentrée littéraire de septembre ce sont 700 ou 800 romans qui sortent d’un coup. Pour une petite maison comme la nôtre ce serait se noyer dans la masse. Nous attendrons plutôt octobre ou novembre pour nos premières parutions.

© Huis Clos

On me dit souvent que c’est très courageux d’imprimer du papier, mais il était très clair pour nous depuis le début que la revue serait d’abord et avant tout en papier, c’est notre démarche. Sur le site on peut aussi acheter les articles à la pièce en PDF. Nous publions aussi des brèves directement sur notre site, nous y parlons de films, de livres. Personnellement je fais des notes de lecture. Ces formats permettent de se faire une idée de notre univers.

Votre univers est très intellectuel, exigeant

C’est le « grand public cultivé », peut-être 1500 personnes en France. Acheter le dernier Goncourt lorsqu’il sort vous fait-il entrer dans la catégorie du grand public cultivé ? En effet c’est assez exigeant. C’est pourquoi nous sommes trimestriels, pour laisser le temps au lecteur de digérer toute cette matière. J’ai peut-être une plume un peu plus accessible, mais certains de mes camarades sont des esprits très précis. Nous sommes contents parce que nous avons pu apporter des choses inédites comme les traductions de Spengler, ou des traductions d’un poète allemand moins connu comme Ödön von Horváth. C’est moi qui les ai traduites. Curieusement cet homme est mort écrasé par une branche de marronnier devant le Théâtre Marigny, le comble pour un auteur de pièces de théâtre !

© Huis Clos

Nous avons des lettres inédites de Dominique de Roux, des choses de cet ordre-là. Bientôt nous aurons une traduction inédite de Malaparte. La traduction est bien dans l’idée de la transmission, dans le temps et dans l’espace. Il faut apprendre le monde ancien aux jeunes et, le futur étant déjà là, ouvrir une fenêtre sur le monde futur aux plus anciens d’entre nous.

Comment faites-vous connaître votre revue ?

Par le bouche à oreilles des amis et de nos lecteurs, par les réseaux sociaux aussi . Nous avons un community manager, nous sommes sur Facebook, Instagram, LinkedIn, et nous avons même un petit fil sur Telegram. Huis Clos se trouve dans des librairies de plus en plus nombreuses. Parfois la simple curiosité nous amène des lecteurs. Nous serons bientôt enregistrés sur la plateforme de commande des libraires, là encore ce n’est possible qu’après une année d’exercice. Cela va faciliter la diffusion. L’idée n’est pas d’être trop parisien mais ouverts sur la France, et bientôt à Bruxelles.

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