Si Didier Morville alias Joey Starr est partout, dans la série « Le remplaçant » sur TF1 dans lequel il tient un rôle majeur, co-auteur du « Code Pénal en argot », il a défendu avec ferveur la fresque littéraire de Black Label sur la scène du Grand Plateau à La Friche Belle de Mai le 31 mai dernier.

De virtuoses artistes…

Au centre de la scène Jules Turlet, chansigneur qui joue, gracile, de ses mains, alors que résonne la voix de Joey Starr, reconnaissable entre mille ; une voix qui porte le texte de Léon-Gontran Damas écrit en 1956. Voilà, c’est ainsi que le spectacle commence. Une voix, des gestes sur une scène plongée dans l’obscurité, au service de mots esthètes autant que bruts qui dénoncent tour à tour le racisme, le colonialisme, l’esclavage : un verbe haut en couleur noire signé non seulement par l’auteur de Black Label, mais aussi par Aimé Césaire, Sonny Rupaire, James Baldwin, David Diop, Malcom X, Lisette Lombé.

Oui, décidément le spectacle est littéraire avec pour soutenir majestueusement les textes : chant, musique, danse, vidéo.

La contrebassiste, chanteuse et poète Sélène Saint-Aimé © Villa Albertine

A la contrebasse et aux percussions, Sélène Saint-Aimé n’est pas seulement musicienne ce soir, elle s’immisce dans le flux lettré : sa partition est aussi faite des mots qu’elle nous lit avec fermeté, conviction de tout son être à la peau noire, porteur de cet héritage qui, s’il nous est connu par bien des représentations et des documentations, nous est ici martelé contre l’oubli.

Honneur à la mémoire par le créole, que Sélène Saint-Aimé manie avec la même délicatesse que le chant par de simples mais amples vocalises.

Et puis, et puis… il y a Nicolas Moumbounou, artiste multidisciplinaire, capable d’incarner un tirailleur sénégalais qui, par la lecture d’une lettre à son épouse, nous rappelle que les Français européens n’ont pas gagné seuls la 2ème guerre mondiale. Nicolas Moumbounou, dont le large corps se meut sur la scène dans un solo dansé à la grâce insoupçonnée ponctuée de notes chantées.  

…pour ne jamais oublier                                         

Si la scénographie est l’œuvre de David Bobée, Joey Starr n’en reste pas moins le « coréalisateur » , renouant avec ses racines dans la continuité du collectif Devoirs de mémoires qu’il a créé en 2005 avec Leïla Dixmier. Joey Starr, homme engagé, il le crie ce soir du 31 mai face à une salle comble, face aux imposantes caméras de France TV. Évidemment, le spectacle sera retransmis, une telle fracassante performance ne doit pas passée inaperçue dans la programmation de France TV1ère, à l’origine du Festival la 1ère qui s’est déployé à la Friche Belle de mai du 30 mai au 2 juin.

Joey Starr prête sa voix au spectacle. Ici en 2007 à Saint-Brieuc © Wikipedia Commons

Gravée dans le répertoire audiovisuel, gravée dans les yeux et les oreilles des spectateurs, l’émotion suscitée par cette ode à la mémoire a éclaboussé les cils en perles lacrymales ; et peut-être même davantage quand il s’est agi de nous rappeler qu’aujourd’hui encore des afro-descendants subissent le même sort que leurs ancêtres. Et ce sont des silhouettes noires de carton qui, anonymes, envahissent la scène, portées par Nicolas Moumbounou, tandis que Joey Starr et Sélène Saint-Aimé énumèrent les noms d’innocents morts sous les coups des violences policières.

Beauté de textes, beauté de voix, beauté de gestes, beauté de notes musicales, beauté de pas de danse, beauté d’images… L’esthétique minimaliste, pendant ces deux heures de représentation, a magnifié la liberté de vivre noir.


Découvrez le festival « Les rencontres à l’échelle » à Marseille.