Culturius a eu la chance d’interviewer Diane Hennebert, déjà connue du public belge pour ses merveilleuses réalisations que sont les rénovations de l’Atomium et de la Villa Empain. Elle se lance avec courage et enthousiasme dans un nouveau projet d’envergure, la rénovation du Pavillon Chinois à Laeken. Posez-lui une seule question et Diane Hennebert vous déroulera un exposé complet, fruit de sa capacité à voir des solutions là où d’autres ne voient que des problèmes.

Illustration: le Pavillon Chinois du temps de sa splendeur © Régie des Bâtiments

Les photos sont de © Grégoire Tolstoï

Diane Hennebert, comment en êtes-vous arrivée à vous lancer dans cet incroyable projet de rénovation du Pavillon Chinois ?

« Il y a quatre ans je discutais du patrimoine belge avec un ami et nous nous lamentions comme souvent de la négligence de certaines institutions publiques pour ce patrimoine exceptionnel. Je pense par exemple à des constructions du XIXe et du début de XXe siècle, du temps de la splendeur de la Belgique au niveau international. Nous nous demandions pourquoi en Belgique, et plus encore à Bruxelles, on laisse un patrimoine aussi beau partir à l’abandon, totalement négligé. Lorsque quelqu’un le remet en état tout le monde est content et fier, mais j’observe que ce sont souvent des initiatives privées, ou mixtes privées-public qui obtiennent les meilleurs résultats. Lorsque l’État s’en occupe seul cela prend énormément de temps, et donc d’argent, car plus on attend pour restaurer un bâtiment plus cela coûte cher. Il faut aussi une bonne dose de dynamisme dans la gestion de ce genre de projet.

Diane Hennebert, le courage, l’imagination optimiste et l’enthousiasme au service du patrimoine

Ce Pavillon Chinois est tout à fait étrange dans le paysage bruxellois, avec la Tour Japonaise qui lui fait face. Son histoire est très amusante. Comment deux édifices aussi exotiques se sont retrouvés à Laeken en face du palais royal ? J’ai découvert que ces deux bâtiments appartiennent à la Donation Royale, et je l’ai contactée pour savoir pourquoi ces édifices sont fermés depuis 2013 et pourquoi aucun travail de restauration n’a été entrepris. Cela fait quatre ans que j’ai commencé à m’y intéresser et que je me suis mise en campagne pour les sauver.

Plafonds chinoisants, superbe travail du bois des fenêtres, le Pavillon Chinois est un patrimoine unique

(Note de la rédaction : la Donation Royale est le don qu’à fait le roi Léopold II en 1900 à la Belgique des nombreux terrains, châteaux et bâtiments qu’il avait acquis personnellement au cours de son règne. Découvrez les détails de cette donation ici).

Le kiosque chinois et, à l’arrière-plan, la Tour Japonaise

Je me suis aperçue que, comme beaucoup de choses en Belgique, ce bâtiment dépend de toute une série d’institutions, de ministères, de cabinets ministériels qui ne se parlaient pas beaucoup entre eux et n’avaient pas une envie pressante de collaborer entre eux car ils appartiennent à des horizons politiques différents. L’année dernière, alors que j’étais sur le point d’abandonner, Monsieur Mathieu Michel qui est le secrétaire d’État fédéral en charge de la Régie des bâtiments, m’a contactée et m’a fait comprendre que ce dossier était devenu prioritaire. Le dossier a encore été accéléré par le fait que Madame Ans Persoons, secrétaire d’État bruxelloise en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine, s’est exprimée avec virulence sur l’abandon de ces bâtiments, ce qui a relancé le projet que j’avais mis en route.

La façade latérale doit être soutenue, mais l’intérieur nous dévoile des splendeurs en assez bon état

Nous voulons créer une association sans but lucratif (asbl) qui se chargerait entièrement de ce bâtiment, c’est-à-dire le suivi de sa rénovation, sa réaffectation, sa réouverture au public, et son équilibre financier. Pour y arriver cette asbl doit être coordonnés par des personnes qui viennent du secteur privé, mais bien sûr il n’est pas question de privatiser le bâtiment. Il appartient à la Belgique au travers de la Donation Royale. Parmi les membres fondateurs de cette asbl il doit y avoir des représentants des institutions publiques comme la Régie des bâtiments, et pourquoi pas le ministère des Affaires Étrangères. Depuis sa création ce bâtiment a symbolisé les relations amicales, diplomatiques et culturelles entre la Belgique et l’Extrême Orient.

Une magnifique céramique chinoise en façade

Comme il ne faut pas courir après plusieurs lièvres à la fois, nous allons nous concentrer d’abord sur le Pavillon Chinois plutôt que sur la Tour Japonaise. Nous avons rebaptisé ce pavillon le Palais des Routes de la Soie puisque, comme on peut le constater, ce bâtiment est plus qu’un simple pavillon, c’est un véritable palais. On ne mesure pas sa taille lorsque l’on passe sur la route car on ne voit que sa façade latérale, sûrement la plus belle car entièrement sculptée en bois doré et sertie de magnifiques céramiques. Les autres façades reposent sur une base en briques et en pierres plus typiquement belge, mais avec des décors chinois.

Le bois mériterait d’être entretenu, et redoré

La superficie du palais est au moins de 2000 mètres carrés, et il est doté de richesses architecturales incroyables. Sans compter son annexe qui a été bâtie à l’arrière comme garage pour les carrosses au début du XXe siècle et dans lequel on peut imaginer des activités complémentaires aux activités muséales du bâtiment principal. On en aura pour deux ans de travaux ici. La suite logique serait de s’occuper ensuite de la Tour Japonaise, mais démarrons déjà par le Palais des Routes de la Soie.

Le Pavillon Chinois mérite d’être appelé Palais des Routes de la Soie

Le budget estimé des travaux est de 6 000 000 d’euros. C’est un budget qui ne me fait pas peur, ce n’est pas une somme faramineuse, surtout comparée aux deux derniers bâtiments dont je me suis occupés et dont j’ai organisé la rénovation, l’Atomium et la Villa Empain. Cela ne correspond qu’au quart des budgets que nous avions dû rassembler et mettre en équilibre pour des travaux qui étaient plus lourds qu’ici.

Porte japonaise

Les collections qui étaient exposées au Pavillon Chinois avant 2013 appartiennent au Musée du Cinquantenaire et la plupart des pièces de ces collections proviennent de dons privés. Au début du XXe siècle les Belges étaient actifs partout dans le monde, ils étaient les rois de l’ingénierie. Ils ramenaient de leurs voyages lointains des pièces remarquables et précieuses qu’ils offraient aux musées belges.

Ces soieries sur les murs du Salon Japonais sont exceptionnelles

Un partenariat avec le Cinquantenaire est toujours souhaitable, mais nous n’allons pas travailler dans un esprit exclusivement muséal. Avant 2013 on ne présentait ici que des porcelaines chinoises. Ces porcelaines sont l’expression d’une culture qui a traversé le temps, qui a influencé et a été influencée par d’autres cultures, mais cette culture s’est exprimée aussi dans d’autres domaines artistiques. Nous aimerions une approche plus transversale à travers le temps, les savoir-faire et les cultures. Nous voudrions mettre l’emphase sur la richesse des échanges culturels entre l’Occident et l’Extrême Orient en général, pas uniquement la Chine. Nous travaillons déjà sur notre future exposition d’ouverture car pour une exposition de haut niveau avec des pièces extraordinaires il faut s’y prendre plusieurs années à l’avance.  Elle abordera toutes les expressions artistiques à partir de matériaux textiles.

Rien n’est impossible à restaurer, mais il est grand temps

La bâtiment est d’inspiration chinoise mais il est très singulier au niveau européen. Il a été construit par un architecte français, Alexandre Marcel, qui a fait appel à des décorateurs français pour le créer. Cet architecte a créé sur une esplanade à Paris un temple hindou, la Tour Japonaise, le Pavillon Chinois, et d’autres choses encore pour l’Exposition Universelle de 1900 à Paris. Après que le roi Léopold II ait visité l’Exposition Universelle, il a exprimé le désir de voir ce genre de bâtiments à Bruxelles près de son palais de Laeken. Le roi était accompagné d’Édouard Empain qui par la suite a fait lui aussi appel à Alexandre Marcel pour créer son Palais Hindou à Héliopolis à côté du Caire, palais également très étonnant dans le paysage égyptien.

Le bâtiment arrière qui servait d’écuries et de remise pour les carrosses

(NDLR : l’architecte Alexandre Marcel (1860-1928) a aussi dessiné des bâtiments célèbres comme ce qui est devenue aujourd’hui le cinéma La Pagode à Paris en 1897, le Pavillon Chinois et la Tour Japonaise à Bruxelles en 1902-1907, le Palais du Maharajah de Kapurthala près de Lahore en 1911 ou encore le Château Empain à Enghien en Belgique en 1913).

Une très belle terrasse arrière avec vue sur le parc environnant le pavillon

Alexandre Marcel a peut-être récupéré des éléments du pavillon de Paris, mais il a aussi passé commande des boiseries sculptées auprès de pères jésuites belges qui avaient un orphelinat à Shanghai. Cet orphelinat est aujourd’hui un beau musée à Shanghai. Ce qui caractérise ce bâtiment est l’attrait du début de XXe siècle pour les chinoiseries. On trouve ici mélangés des détails de style Louis XVI ou Art Nouveau. Bien sûr il y a des éléments chinois, mais qui se marient à d’autres qui sont japonais, ou khmers, de différentes cultures d’Extrême Orient.

Le soin du détail, même pour les ampoules, et des toilettes Art Nouveau en parfait état

C’est un éclectisme très caractéristique de cette époque-là, une vision occidentale et fantasmée de l’Extrême Orient, et qui nous parle aujourd’hui dans notre époque de mixité culturelle. Finalement ce bâtiment n’a pas pris une ride, et nous fascine encore. Quel dommage qu’on l’ait laissé aller pendant toutes ces années, maintenant il y a beaucoup de travaux à entreprendre. Rien n’est irrécupérable, mais plus on attend et plus cela coûte cher. Nous établissons une étude de stabilité du bâtiment et nous allons bien détailler tous les travaux à réaliser. Puis, sur base d’un cahier des charges précis, nous ferons un appel à candidature à plusieurs entreprises. Certaines entreprises sont prêtes à être mécènes du projet. Nous espérons rouvrir le bâtiment au public à la fin de 2027. La dynamique et les moyens viendront du secteur privé, tout en gardant l’accessibilité aux visiteurs avec des objectifs culturels en phase avec le bien commun.

Les splendeurs dorées d’un Orient magnifié

Depuis l’Antiquité l’Europe a été fascinée par la Chine, une espèce de Paradis d’où nous venait du thé, de la soie, de la porcelaine, des trésors que nous ne connaissions pas et qui ont fait l’objet d’échanges pendant des millénaires, qui ont enrichis les caravansérails dont on connaît encore des vestiges de nos jours. On n’y échangeait pas d’ailleurs que des biens matériels mais aussi des idées, de la poésie, des chants, de la musique, de la nourriture. Ce brassage culturel est fascinant. Le nom même de Routes de la Soie fait rêver, il me fait penser à Marco Polo, aux voyages lointains. C’est donc en toute logique que nous avons renommé ce merveilleux bâtiment le Palais des Routes de la Soie. »


Le château des barons Empain accueille aujourd’hui le festival de musique classique Les Rencontres Musicales Internationales d’Enghien.