C’est à Amiens que je vous invite à vous rendre aujourd’hui, dans la Maison Jules Verne. Cité connue pour sa cathédrale gothique, son beffroi médiéval et ses « hortillonnages », Amiens est aussi la ville où Jules Verne a choisi de passer la plus longue partie de sa vie. Visiter celle qui a longtemps été la capitale de la Picardie nous permet donc d’aller à la rencontre d’un écrivain qui a réalisé une fresque passionnante de la société de la deuxième moitié du XIXème siècle et de ses avancées à travers des récits extraordinaires.

Vue sur le mur peint depuis le jardin d’hiver © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

La maison de Jules Verne a ouvert ses portes en 2006 pour clôturer la commémoration du centenaire de la mort de l’auteur. Depuis, le fonds du musée n’a cessé de s’enrichir d’objets, de livres et de documents provenant notamment de la collection de Piero Gondolo della Riva, grand spécialiste de Jules Verne. La maison a été organisée et mise en scène comme si elle était toujours habitée par un scénographe : Yves Maréchal. Le dessinateur François Schuiten enfin a réalisé un trompe l’œil imposant sur un mur de la cour et imaginé « une sphère armillaire » au sommet de la tour pour donner à la maison son identité propre.

L’aventurier en herbe

Cependant, à voir passer tant de navires, le besoin de naviguer me dévorait. 

Jules Verne, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, 1894
Une ville flottante © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Né en 1828 à Nantes, Jules-Gabriel Verne grandit dans une famille bourgeoise issue de juristes côté paternel et d’armateurs côté maternel. Son père dirige une étude d’avoué et sa mère se consacre à l’éducation des cinq enfants dont Jules est l’aîné. Il sera très proche du deuxième garçon de la fratrie, Paul, son cadet de dix-huit mois. Les Verne prennent leurs quartiers d’été dans la campagne angevine et vivent le reste de l’année dans le quartier de l’île Feydeau. Le jeune Jules est captivé par l’agitation du port et le spectacle des bateaux qui y évoluent; c’est l’observation de cette vie portuaire et la lecture de romans d’aventure comme Robinson Crusoé ou Le Robinson suisse qui lui donneront le goût des expéditions lointaines.

Lectures de jeunesse © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Après des études classiques au pensionnat Saint-Stanislas, puis au petit séminaire Saint-Donatien et au Collège Royal, il part faire son droit à Paris en 1848 dans une ambiance révolutionnaire. Mais c’est dans les salons littéraires qu’il fait ses armes et approfondit ses connaissances du grand monde et du théâtre de ses contemporains :  Alexandre Dumas, Alfred de Musset et surtout Victor Hugo qu’il va admirer à l’Assemblée Nationale. Sa rencontre avec Jacques Arago, explorateur, écrivain et dessinateur oriente le jeune-homme vers le récit de voyage. Il voit trois de ses nouvelles publiées dans Le Musée des familles en 1851 et 1852 dont « Un Voyage en Ballon » témoigne déjà de sa passion pour l’aérostat.

Frontispice de l’édition de Cinq Semaines en Ballon, 1863 © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Lors d’un mariage à Amiens en 1856, il rencontre Honorine Deviane qu’il épouse l’année suivante. Il écrit des opérettes, des chansons, des poèmes et des pièces de théâtre mais peine à percer. Jacques Arago l’encourage à étudier la géographie et la science et il effectue ses premiers voyages en 1859. Il découvre l’Écosse et l’Angleterre puis deux ans plus tard, le Danemark et la Norvège. La naissance de Michel, fils qui restera unique, écourte ce voyage et lui impose de trouver un revenu pour assurer un train de vie suffisant à sa famille. Il se tourne vers la Bourse qu’il n’abandonnera que lorsqu’il pourra vivre de sa plume quelques années plus tard.

Les voyages extraordinaires

Mes lecteurs sont mes passagers, et mon devoir est de veiller à ce qu’ils soient bien traités pendant la traversée et satisfaits à leur retour. 

Jules Verne, à propos de Vingt mille lieues sous les mers, Magasin, tome 11,1869
Détail d’affiche © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Le bon éditeur

Conteur plein d’imagination, et à côté de cela profondément instruit, il a créé un genre nouveau. Ce que l’on promet si souvent, ce que l’on donne si rarement, l’instruction qui amuse. »

J. Hetzel, 1866

En 1862, Jules Verne confie à l’éditeur Pierre-Jules Hetzel le manuscrit de ce qui deviendra Cinq semaines en ballon etdontle succès est immédiat ;la carrière du romancier d’aventure est lancée ! Hetzel l’incite à poursuivre dans l’aventure géographique et lui réserve une place de choix dans la revue qu’il lance en 1864 : Le Magasin d’Éducation et de Récréation. La collaboration entre Jules Verne et les Hetzel père et fils durera plus de quarante ans. Entre 1863 et 1867 paraitront sous forme de feuilletons dans Le Magasin d’Éducation et de Récréation cinq romans dont Voyage au centre de la Terre, De la Terre à la Lune et Cinq semaines en ballon agrémentés d’illustrations de Riou, Froment ou Froelich.

Portrait de Pierre-Jules Hetzel entouré de deux couvertures de livres de Jules Verne, aux éditions Hetzel.
© UA/Rue des Archives;Rue des Archives/RDA;Rue des Archives/CCI

En 1867, Jules Verne embarque sur le Great Eastern à destination des États-Unis avec son frère Paul et fait l’expérience d’une traversée par gros temps qui lui laissera de grands souvenirs. L’écrivain quitte Paris en 1869 pour s’installer dans la région de son épouse; il loue une maison, « La Solitude », au Crotoy, petit port de pêche de la baie de Somme où s’épanouit sa passion pour l’élément marin. Il achète un bateau de pêche qu’il baptise le Saint-Michel et navigue des côtes picardes jusqu’en Bretagne; il pousse même ses expéditions jusqu’aux côtes anglaises et en profite pour prendre des notes qui lui donneront la matière de : Vingt mille lieues sous les mers.

Les belles aventures

Nemo, son héros mythique reviendra dans L’île mystérieuse et incarnera l’homme moderne, libre envers et contre tous:  « Mais le monde a fini pour moi le jour où mon Nautilus s’est plongé pour la première fois sous les eaux […] Ah ! Monsieur, vivez, vivez au sein des mers ! Là seulement est l’indépendance ! Là je ne reconnais pas de maîtres ! Là je suis libre !». La guerre de 1870 va pourtant mettre à mal cette aspiration à la liberté : Jules Verne est affecté à la fonction de garde-côte en baie de Somme pendant que sa femme et son fils subissent l’occupation prussienne dans la maison de ses beaux-parents à Amiens.

Page de garde de la première édition Hetzel © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

La guerre terminée, c’est dans cette ville que la famille s’installe et que Jules poursuit son œuvre. Le Tour du Monde en quatre-vingt jours remporte un franc succès tandis que les Voyages extraordinaires étaient récompensés par le prix de l’Académie Française. L’œuvre de Jules Verne est traduite dans une douzaine de langues et le Tour du Monde est adapté au théâtre pour le plus grand plaisir des Parisiens, des Bruxellois et bientôt des New-Yorkais. Les critiques seront moins enthousiastes, Émile Zola reconnaît les qualités littéraires de l’auteur mais regrette que l’on applique « l’étiquette de scientifique à un spectacle de foire ».

Illustration de Férat, 1876 © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Michel Strogoff, le nouveau héros de Jules Verne, à l’image des précédents : Hatteras, Lidenbrock, Fergusson et Nemo, est un  homme libre. Les lecteurs sont séduits par le messager qui surmonte les épreuves les plus difficiles pour accomplir sa mission et son adaptation au théâtre après celle de Les enfants du capitaine Grant assurent à l’auteur des revenus conséquents. Toujours épris de navigation, il achète un nouveau bateau et multiplie les croisières, sources intarissables d’inspiration pour les romans à venir. Ce sont soixante-deux voyages qui seront racontés par l’écrivain-voyageur tout au long de sa carrière.

La Maison Jules Verne

La maison à la tour © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Une maison d’écrivain

On est près de Paris, assez près pour en avoir le reflet sans le bruit insupportable et l’agitation stérile.»

Jules Verne

Honorine et Jules emménagent au numéro 2 de la rue Charles Dubois en 1882. C’est cette demeure de deux étages, flanquée d’une tour surmontée par un belvédère que vous pouvez visiter encore aujourd’hui. Si le jardin a disparu, la porte à vantaux ouvre toujours sur la cour intérieure. Le perron permet d’accéder au jardin d’hiver dont les portes sont désormais fermées pour inviter les visiteurs à passer par le hall d’accueil qui abritait autrefois cuisine et office. Salle à manger, salon de musique et fumoir occupent le rez-de-chaussée et présentent mobilier, vaisselle et bibelots d’époque dont certaines pièces appartenaient aux Verne.

De nombreuses photographies issues des albums de famille ornent les murs et les lectures de jeunesse de Jules sont exposées dans les vitrines aux côtés d’autres documents personnels. Ses premiers voyages et ses premiers écrits sont évoqués au fil de la visite. Plus de chambres à l’étage mais la reconstitution de la bibliothèque et du bureau de l’éditeur Pierre-Jules Hetzel indissociable de l’écrivain. Quel plaisir de retrouver ici les éditions originales des romans qui nous ont tant fait rêver ! Quelle émotion de découvrir le canapé d’Hetzel sur lequel se sont sans doute assis George Sand, Jules Verne, Victor Hugo et Alexandre Dumas entre autres célébrités de l’époque !

Le fumoir © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Une maison d’élu municipal

Mon unique intention est de me rendre utile et de faire aboutir certaines réformes urbaines … 

Jules Verne

Jules Verne s’est particulièrement bien intégré à sa ville d’adoption puisqu’il fut membre de l’Académie des Lettres et Arts d’Amiens, de la Société Industrielle, de la Société d’Horticulture, du musée de Picardie ; il fut administrateur de la Caisse d’Épargne et surtout, conseiller municipal de la ville pendant 16 ans. Il a renoncé à la navigation après un dernier voyage mouvementé en Méditerranée en 1886, il est victime d’une agression au revolver de la part d’un neveu atteint de troubles psychiatriques et perd son cher éditeur la même année. Une jambe blessée et l’esprit assombri, Jules Verne peine à se remettre.

Composition du conseil municipal dont fait partie Jules Verne à la suite des élections de 1888 © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Il s’investit dès lors dans la vie locale, une période particulièrement bien illustrée dans la maison dont nous pouvons prendre connaissance dans le salon et le bureau Hetzel. Il est élu sur la liste républicaine mais se défend de faire de la politique. S’il s’occupe essentiellement de la vie culturelle, il s’intéresse aussi à la modernisation de la ville. Ses nombreuses interventions en conseil municipal témoignent de son implication qu’il s’agisse des éclairages et du chauffage de lieux publics, de l’électrification du tramway ou des subventions accordées au théâtre municipal.

La fin du voyage

On peut braver les lois humaines, mais non résister aux lois naturelles. 

Vingt Mille Lieues sous les Mers

Jules et Honorine quittent la maison en 1900 pour un foyer plus petit et plus commode. L’écrivain dispose toujours d’un bureau et d’une bibliothèque où l’attendent ses auteurs favoris : Homère, Virgile et Montaigne mais aussi Dickens, Cooper et Scott… et où les éditions de ses œuvres sont soigneusement alignées sur les rayonnages. C’est dans cet univers feutré où il continue de travailler de six heures à onze heures le matin qu’il s’éteint le 24 mars 1905. 

Il sera enterré au cimetière de la Madeleine et recevra l’hommage des Amiénois tout au long du cortège. Tous les journaux salueront le romancier visionnaire et Léon Blum évoquera : « l’un des hommes qui ont pris dans la seconde moitié du XIXe siècle l’une des places les plus importantes dans la littérature française. » Une dizaine de romans paraîtront à titre posthume grâce au travail de Michel Verne qui réalisera quatre films adaptés des romans de son père et le cinéma n’en finira pas d’exploiter l’œuvre de « l’Enchanteur » comme le qualifie à juste titre Jean-Paul Dekiss dans la biographie qu’il consacre à Jules Verne en 1999.

Affiche du film de Richard Fleischer, 1955 © Walt Disney

Ainsi s’achève notre visite chez les Verne et si notre vision du romancier n’aura probablement pas changé, nous aurons découvert un navigateur passionné et un citoyen impliqué dans la vie de sa cité d’adoption qui lui rend bien aujourd’hui son dévouement passé. La ville d’Amiens vous propose en effet un parcours en 18 étapes baptisé « Aronnax » (personnage de Vingt mille lieues sous les mers) : de la gare d’Amiens au cimetière de La Madeleine en passant par la maison, le cirque, l’ancien théâtre et d’autres lieux emblématiques vous marcherez dans les pas du grand homme. Vous pouvez aussi faire un petit pèlerinage au Crotoy, à une heure d’Amiens en voiture pour découvrir la petite station balnéaire où était amarré le bateau de l’écrivain.

Et surtout n’hésitez pas à vous plonger dans son œuvre en relisant par exemple votre roman préféré, ce que j’ai fait en craquant pour un exemplaire du Tour du Monde en 80 jours dans cette magnifique réédition de la collection Hetzel.

Lisez et relisez Jules Verne ! © photo Frédérique Vanandrewelt / Maison Jules Verne

Pour organiser votre visite, allez voir le site de la Maison Jules Verne.


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