« L’Odyssée de Léa » de Junior Fritz Jacquet
Il en est qui jouent au loto et d’autres qui suivent les cours du CAC 40, Junior Fritz Jacquet, lui, crée un océan de papier : chacun son truc… Ça l’a pris, un jour, à force d’« origamiser » sans cesse : il avait même, en 2004, obtenu la plus haute récompense dans le domaine, attribuée par la Nippon Origami Association. Il était devenu « maître Origami ».
Le papier est un matériau facile, évident, à la portée de tous, et surtout il est toujours parfaitement et totalement recyclable. Donc parfaitement écologique. Et puis il faut dire aussi que Junior avait besoin de se construire, se reconstruire, à partir de rien, presque rien, si peu de chose : juste quelques feuilles de papier.

Les origami de Junior Fritz Jacquet © photo Alain Girodet
Quand on a quitté son paradis terrestre à soi, l’île d’Haïti, à sept ans, pour rejoindre sa famille en France, « Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance » (Baudelaire), quand de surcroît on est rejeté par le système scolaire parce que dyslexique, on a forcément un peu de mal avec la société, la modernité, la surconsommation et le gaspillage. Et puis l’océan, le vrai, était derrière lui, asphyxié par le trafic maritime, la pêche intensive et les continents sauvages de plastique rejeté par l’inconscience.

Les origami de Junior Fritz Jacquet © photo Alain Girodet
Et puis aussi, Junior voulait faire autre chose que de l’origami classique, autre chose que les formes géométriques, les angles saillants et les mises en formes normalisées ; lui, ce qu’il voulait, c’était aller s’égarer du côté du froissé, de l’improvisé, de l’irrégulier, de l’informe, du dissymétrique, bref, du naturel… Alors, quoi d’étonnant à ce que Junior Fritz Jacquet se soit mis à cet océan de papier ? Quoi d’étonnant à ce qu’il soit devenu, selon sa propre expression, un « sculpteur d’océans » ?

Les origami de Junior Fritz Jacquet © photo Alain Girodet
Junior Fritz Jacquet nous sculpte un océan de papier pour nous signifier que l’océan, le vrai, est aussi fragile et éphémère que ce papier plié, et que, sans effort notoire de notre part à tous, il est voué à la disparition. Les cinq salles du pavillon Vendôme se visitent comme dans un rêve, comme si l’on avançait dans un décor onirique, et qui plus est, tout à la fois très concret et très délicat. Rien de ces modernes recréations numériques coûteuses et prétentieuses qu’on nous inflige depuis quelques années : que du vrai, et du vrai qui peut s’évanouir à si brève échéance. C’est aussi troublant et touchant que le regard d’un gosse qui voit approcher le dessert.

Les origami de Junior Fritz Jacquet © photo Alain Girodet
Et, à propos de gosses, les vôtres seraient ravis de déambuler dans cet univers de papier : qui plus est, l’exposition est tout à fait gratuite. De quoi vous donner envie d’aller du côté de la mairie de Clichy… L’océan ? Juste une affaire de papier, et « Laissez parler les p’tits papiers » comme chantait Serge Gainsbourg en 1966.

Les origami de Junior Fritz Jacquet © photo Alain Girodet
Isabelle de Borchgrave, papier de deuil



