Nous avons sélectionné pour vous 4 pièces qu’il nous semble essentielles de voir à Avignon cet été (et même après), pour s’émerveiller de la création contemporaine tout en problématisant notre présent, pour y ouvrir de nouveaux chantiers de possibles. Car comme l’écrit Olivier Py dans l’éditorial de cette 76ème édition, « ce ne sont pas les idéologies qui créent le monde, ce sont les histoires ».
1. Corneille Molière L’arrangement
Nous commençons notre tour des plateaux par le théâtre de l’atelier florentin, où dans un seul en scène polyphonique, « Corneille. Molière. L’arrangement », l’actrice et metteuse en scène Valérie Durin nous emmène en plein cœur de l’âge d’or du théâtre classique, dans la cour de Louis XIV.
La thèse que développe ici Valérie Durin est basée sur les articles de Pierre Louÿs ainsi que sur les innovations récentes dans le champ d’étude littéraire -le recours à l’intelligence artificielle, qui permet d’établir les occurrences de certaines formules, permettant ainsi d’établir un séquençage quantitatif du style d’un auteur.
Sous la forme ludique d’une recherche en 3 actes, entremêlant l’histoire de la littérature à la littérature de l’histoire, « Corneille. Molière. L’arrangement » pose la question de l’authenticité de la paternité du corpus de Molière. En effet, Molière pourrait n’avoir été que le prête-nom de Pierre Corneille. Ce dernier, en proie à un besoin d’argent, se serait abaissé à barbouiller quelques comédies, en demandant à son confrère, Jean-Baptiste Poquelin, de les signer à sa place, dans le dessein de ne pas associer son nom à un genre moins noble que la tragédie, dont il est et restera à jamais le plus grand tenancier.
Pour mener à bien son enquête, Valérie Durin incarne successivement et parfois schizophréniquement le rôle de Molière et celui de Corneille, modulant sa voix et accompagnant son récit de citation tirées de livres dont jaillissent des poussières du temps ainsi que de petites figurines représentant les personnages évoqués et renouant ainsi avec la tradition du théâtre d’objets.
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2. Ecuador
Nous vous recommandons d’expérimenter « Ecuador », au théâtre l’Ambigu, où les pérégrinations psychédéliques d’Henri Michaux se matérialisent au travers de la prosodie chamanique de Marlon Bisbicuth Rincó. Dans une mise en scène de Margherita Marincola, le carnet-poème de l’écrivain, grand consommateur de mescaline (utilisé comme drogue hallucinogène), révèle sa puissance intemporelle, sous la forme d’un voyage à travers la brousse de l’esprit.
Selon Valère Novarina, « Le livre et la scène sont deux espaces hétérogènes, constitués d’une autre texture, tissés d’une autre matière. Passer de la lecture au plateau, c’est comme passer de l’air à l’eau », la transcription scénique d’un carnet de voyage, la bouture entre ces deux milieux hétérogènes est ici particulièrement bien négociée.
Accompagné musicalement par la même Marincola, uniquement muni de sa valise de voyage, Rincon réalise une prouesse scénique en nous entraînant dans la fièvre de l’Equateur d’Henri Michaux.
Jusqu’au 30 juillet au Théâtre l’Ambigu
3. Au bord du vide
« Au bord du vide » du théâtre de l’Entrepôt, est un spectacle de cirque contemporain, parce que non, le festival d’Avignon n’est pas exclusivement consacré au théâtre. La pièce est mise en scène par Agnès Célérier et jouée par Joel Colas, Tom Neyret et Vincent Regnard.
Dans la continuité de l’œuvre d’un René Magritte ou d’un Paul Delvaux, « Au bord du vide » réalise une transposition circassienne de l’univers surréalistes et métaphysique en déployant une série de tableaux vivant dont l’étrangéité formelle amène le spectateur à réfléchir sur le sens du temps.
Poétiquement, sans aucune cuistrerie, trois tranches de vies se corporalisent à travers la justesse scénique des interprètes, dans ce qu’on pourrait définir comme des allégories circadiennes : d’abord, la Jeunesse, par les acrobaties bouillonnantes d’un jongleur empli de fougue et quelque peu godelureau. Ensuite, le Milieu-de-vie : où l’angoisse de la quarantaine le pousse à toupiller sur une roue de Cyr, comme une boussole démagnétisée en quête du Nord. Pour finir, la Vieillesse, où cette fois, l’intempérance a laissé la place à une forme de quiétude, traversant philosophiquement les lignes étroites et sinueuses de la vie, armé du sourire tragique du clown désabusé.
Au bord du vide nous offre une délectation passionnante, touchant un public étendu, en nous amenant, « à danser même au bord de l’abîme ».
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4. Occident
Au théâtre des Corps Saint se joue « Occident », une pièce mise en scène par Laurent Domingos et jouée par Aurélie Cuvelier Favier et Virgile Daudet et écrite en 2005 par le grand dramaturge Rémi de Vos. Celui-ci adoube la mise en scène avignonnaise comme étant « un des meilleur OCCIDENT que j’ai vu depuis 20 ans ».
Dans un huis-clos conjugal, la pièce met en scène la déliquescence d’un couple : lent pourrissement amoureux qui s’avère être en filigrane d’une banale histoire d’amour ratée, une éprouvette d’un occident broyé en fragments idéologiques.
L’homme, un ivrogne dont les pérégrinations nocturnes le font se déplacer du café Le Palace, où « tout le monde est le bienvenu », au café Le Flandre, qui se trouve être un repaire de néo-nazis. La conjointe, sorte de Bovary moderne, passe son temps à s’abrutir devant la télévision, alternant téléréalité et séance de remise en forme expresse. Les deux ne partagent plus que les disputes et la violence, une relation qui relie les amants l’un à l’autre qu’avec une corde de haine.
Le texte est très bien écrit, agréable à suivre, drôle tout en proposant une puissante satire de notre société contemporaine, où la médiocrité ne cherche même plus à se déguiser, et où même la solitude peut être partagée.