Vivre Vite de Brigitte Giraud, Prix Goncourt 2022 : un deuil « élucidé »?
Riche d’un prix, reconnaissance ultime : Le Goncourt a été attribué en novembre dernier à Brigitte Giraud pour Vivre vite, Roman-enquête, roman en quête de sens.
CoÏncidences, sens, signes, destin
La lauréate du Prix Goncourt 2022 était invitée sur France Inter dans La Bande Originale jeudi 22 décembre. Jour où, ici, on achève la lecture de ce roman, jour où l’on commence à écrire cet article. Une coïncidence ? Un signe qui fait sens ? C’est ainsi que l’enquête de Brigitte Giraud sur le décès de Claude, son compagnon, suite à un accident de moto se construit. Elle cherche le sens, les signes dans des évènements, des imprévus qui se sont succédé à folle allure jusqu’au drame.
Choix de l’auteur aussi que ce 22 décembre, jour où elle s’exprime sur les ondes de la radio publique, alors que Claude disparaît un certain 22 juin 1999 ? On aurait tendance à le croire quand elle est interviewée, encore sur France Inter, le lendemain du vote final du jury du Goncourt. « C’est un livre qui interroge la notion de destin » dit-elle.
22 : nombre-mémoire, nombre-coïncidence, nombre-conditionnel appelant des conséquences, qui toutes réunies conduiront à cette mort incompréhensible.
Alors les « si » se succèdent chapitre après chapitre. Cette conjonction occupe une page entière suite au prologue. Si, appelant l’usage par Brigitte Giraud du conditionnel passé. Si prolongé par des « peut-être ». Sous toutes les coutures l’auteur cherche à comprendre la succession des événements qui sont énumérés de façon chronologique. À commencer par « Si je n’avais pas voulu vendre l’appartement ». « Si je n’avais pas visité cette maison» …
La culpabilité est là, présente. Elle s’est battue pour acheter cette maison contre l’avis de Claude qui, comme à son habitude avec flegme et amour, la laisse finalement faire à sa guise. Maison dans laquelle elle vivra pendant les 20 années qui suivront la disparition de son conjoint. Elle s’est battue, femme forte dans la fougue de la trentaine, femme forte dans le prologue quand elle « défonce » hargneusement les murs de cette maison après l’accident mortel de Claude.
Vivre vite, écrire vite, lire vite.
Vivre vite : Brigitte a 36 ans, Claude 41, ils ont l’énergie de leur âge, ils cherchent leur nid, ce sera une maison décrépite où les projets de réaménagement se multiplient presque démesurément. La maison avec son garage, où le frère de Brigitte viendra loger son engin de mort, une moto japonaise interdite au Japon tant elle est dangereuse, mais vendue en France.
Vivre vite : la passion de Claude pour la moto justement, ce véhicule qui permet de fuir les embouteillages. Surtout ne pas attendre. Impatience. Sensations. Et cette tentation d’essayer une fois, au moins une fois le deux-roues diabolique.
Écrire vite : une écriture racée, vive, à l’image de la moto qui trace sur l’asphalte ou comme si l’auteure avait enchaîné les phrases à toute vitesse, à en perdre son souffle, comme si elle voulait désormais le plus rapidement possible tourner la page. Une écriture vive teintée d’humour. Il aura cependant fallu près de 20 ans pour mûrir ce manuscrit et un ou deux ans pour l’écrire.
Lire vite : entre le titre et l’écriture, ce suspens autobiographique, ici on a lu le roman à la même vitesse. Sans s’arrêter, sans reprendre sa respiration.
Une double lecture, une poésie latente et Dominique A
Oui, ce roman, il faudrait le lire deux fois. La première pour en apprécier le récit, sa construction, son style. La seconde, parce que le roman est truffé de références musicales – Claude dirigeait la discothèque de Lyon, il était aussi critique et musicien – comme accompagné d’une bande originale.
C’est peut-être pour cette raison notamment qu’il est probable que « Vivre vite » soit adapté au cinéma, Brigitte Giraud l’évoque sans s’étendre lors d’une interview.
Si vous le souhaitez, (et si toutefois elle n’existe pas encore sur les plateformes type Deezer, Spotify ou en CD), vous pouvez survoler l’ouvrage, noter les références et créer une playlist « Vivre vite ».
Une référence sur laquelle l’auteur s’arrête plus longuement, c’est « Le courage des oiseaux » du premier album de Dominique A, « La fossette », qui deviendra l’hymne intime du couple.
Ici aussi on s’est passionné pour Dominique A, sa poésie, celle qui pour Andrée Chedid « n’est pas refus ou survol de la vie ; mais plutôt une manière de la multiplier, de rendre compte de sa largesse (…).Elle témoigne d’un sens impénétrable qui nous tient en haleine, d’une densité que le quotidien dilapide trop souvent ». Citation qui rejoint la construction de « Vivre vite » par cette superposition de signes, de sens.