Alchemia Medica au Musée de la Médecine de Bruxelles
Une exposition sur l’Alchimie Médicinale est déjà rare en soit, et dans un musée consacré à la médecine peut-être est-ce encore plus inhabituel. Profitez-en aussi pour découvrir les collections permanentes, en cette période d’Halloween c’est un lieu tout indiqué pour se faire peur. Après la visite vous n’aurez plus envie d’attraper la syphilis, si par hasard c’était dans vos projets de fin d’année.
Parlez-moi d’Alchimie, du Grand Art, et j’accours ! C’est à l’invitation de Christian Chelman et de son épouse, qui sont à la tête du Surnateum de Bruxelles, que je me suis rendu dans le très curieux Musée de la Médecine de Bruxelles pour visiter l’exposition Alchemia Medica. Notre guide fut le grand rhumatologue, le docteur Thierry Appelboom, le très érudit directeur de ce musée. Derrière le sérieux de l’homme de l’Art on sent le passionné d’histoire de la Médecine, le savant, comme on aime les rencontrer dans Tintin et dans la vraie vie. Son royaume est très vaste, il court à travers les siècles, depuis la plus Haute Antiquité jusqu’au XXème siècle. Il couvre les zones géographiques les plus diverses, de l’Amérique du Sud à l’Egypte, en passant par les diverses contrées européennes.
C’est une longue histoire que celle de l’évolution de la Médecine, dont les progrès aujourd’hui vont en s’accélérant, mais qui longtemps accorda beaucoup de crédit aux croyances et superstitions, à défaut de pouvoir mieux faire. Toutefois, soigner les âmes n’est-il pas indispensable pour soigner les corps ? Un bon moral n’est-il pas indispensable à une guérison plus rapide, et l’effet placebo est-il une juste invention des médecins actuels ?Certes, non le corps et l’esprit vont évidemment de pair, les maladies dites psychosomatiques sont là pour nous le rappeler. Notons aussi deux types d’opérations chirurgicales classiques qui ont été pratiquées depuis des milliers d’années : la trépanation et l’amputation. Sans anesthésie, bien sûr.
On trouvera donc dans ce Musée de la Médecine une série de statuettes et d’effigies diverses à but curatif et magique, certaines authentiques et d’autres délicieusement fausses mais tellement typiques, comme cette tête réduite dite « Tête trophée » qui avait pour but d’assurer la fertilité, la décapitation ayant lieu dans un contexte rituélique. Ou encore ces « Momies Paracas » d’une zone se situant à 260 km au Sud de Lima au Pérou, et dont le sol sec et sablonneux, imprégné de sels minéraux et de salpêtre, permet une momification naturelle. Le musée possède deux très belles momies provenant de la « collection » du savant Alexandre Humboldt-Fonteyne, personnage de fiction inventé par le Belge Michel de Spiegeleire. N’ont-elles pas un charmant petit air de Rascar Capac ?
Plus vraie et plus glaçante est la collection de cires anatomiques provenant du Museum d’Anatomie et d’Hygiène du Docteur Pierre Spitzner, de Paris. Cette impressionnante collection de monstruosités reproduit en cire sculptée d’épouvantables maladies et lésions du corps humain. Elle avait un but didactique et prophylactique pour instruire les soldats et le peuple des dangers de certains maux comme la syphilis, mais elle rapportait aussi pas mal d’argent lors d’expositions dans les foires où les visiteurs pouvaient frissonner en jetant un œil voyeuriste sur les horreurs qui peuvent affliger leurs semblables. Aujourd’hui encore ces visions cauchemardesques induisent chez certains visiteurs, notamment les enfants, des malaises et des répulsions bien compréhensibles. Je déconseille cette salle également à ceux qui ont l’estomac fragile et qui ont trop copieusement déjeuné.
Les collections du musée sont riches de nombreux objets passionnants et de témoignages d’un temps que les gens douillets ne veulent pas connaître. De beaux tableaux anciens dont un magnifique portrait du Docteur Louis Auzoux, qui tient un cœur d’adulte dans sa main gauche, par le peintre Millois du Mans vers 1840. Anatomiste français de renommée internationale, il a inventé un système d’empreinte des organes du corps humain qui lui permettait d’en reproduire les différentes parties et de recréer des personnes en pièces détachées dont on pouvait plus aisément étudier l’anatomie. Un exemplaire de son « Grand écorché » est aussi exposé au musée et fait la fierté de son directeur.
On verra aussi une antique chaise de gynécologue, des affiches moralisatrices, deux squelettes qui voisinent, l’un d’homme et l’autre de gorille, des sculptures, du matériel médical ancien et fort beau en cuivre, une tenue de médecin de peste dont le modèle est revenu récemment dans l’actualité à l’occasion de la dernière épidémie en date, une très belle pharmacie ancienne, et tant d’autres curiosités historiques.
Mais où est l’Alchimie dans tout cela ? Une salle lui est spécialement consacrée pour une exposition temporaire. Pourquoi ? Mais tout simplement parce que le but de l’Alchimie est de trouver la Pierre Philosophale. Et qu’est-ce que cela, je vous prie ? En vérité, les experts ne sont pas tous d’accord. Pour certains cette pierre existe vraiment et elle possède, parmi d’autres propriétés, la capacité de changer les métaux vils en or. Pour d’autres c’est juste un symbole, la pierre c’est nous-même, nous devons évoluer, nous transmuter vers quelqu’un de meilleur. C’est le V.I.T.R.I.O.L. qui sont les premières lettres de Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, c’est-à-dire « visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant trouve la pierre cachée », ou encore « connais-toi toi-même et en t’améliorant trouve le trésor caché en toi». D’autres pensent que la « pierre » est en fait l’Elixir de Longue Vie, une substance ou une hygiène de vie qui permettrait de vivre vieux et en bonne santé. Nous touchons là à l’aspect médical de la chose.
Une autre version du Vitriol Alchymique est V.I.T.R.I.O.L.E.U.M. dont les dernières lettres rajoutées veulent dirent Et Veram Medicinam (la Vraie Médecine) ce qui nous ramène à notre sujet. On peut aussi y voir l’huile (Oleum) du verre (Vitri).
Vaste sujet que l’exposition temporaire ne fait qu’effleurer, et pourtant certains pensent que de nombreuses maladies trouvent leur origine en nous-même plutôt qu’en des virus toujours extérieurs à notre corps, et qu’une meilleure harmonie intérieure pourrait nous éviter bien des maux. Nous en revenons au début de l’article, à l’équilibre entre le corps et l’esprit.
Un grand savant bruxellois, Jean-Baptiste van Helmont (1579-1644), à la fois alchimiste et médecin, est un bel exemple de cohabitation de ces arts que certains voient comme des contraires. Son fils, qu’il avait prénommé François-Mercure, encourût les foudres de la Sainte Inquisition en publiant les travaux de son père, mais les livres échappèrent au bûcher ce qui est normal pour les œuvres de ce savant qui se surnommait lui-même Philosophus per Ignem, le « Philosophe par le Feu ». On ne brûle pas une salamandre.