Deux atypiques, deux belges, deux productions au long cours, Alechinsky et Geluck sous le même toit à la galerie Liehrmann.

Alechinsky et Geluck, deux artistes au background bien chargé, exposent jusqu’au 24 décembre à la galerie Liehrmann. Lʼexposition nʼa ni thème, ni profil-clef, ni orientation particulière. Cʼest donc dans un cadre relativement neutre que le visiteur tombe dans lʼunivers étrange des deux artistes. Mais avant dʼaller plus loin, introduisons les deux artistes.

Alechinsky. Philippe Geluck

Deux noms associés à des productions bien différentes. Pour le premier, un parcours aussi long que varié, oscillant entre estampes crues et compositions abstraites, alimenté par plusieurs décennies d’expérience et de recherche. Âgé de nonante-cinq ans et membre du groupe CoBrA, Alechinsky s’appuie sur un vaste vécu composé de nombreuses petites choses : formations en gravure, lithographie et sérigraphie, voyages multiples, influences issues de l’art traditionnel japonais…La variété est au rendez-vous, sublimée par une grande capacité d’apprentissage (perpétuel, même) et une approche inclassable et abstraite de l’Art.

Dans le cas du second, l’évocation de son nom est d’emblée associée à l’emblématique Chat gris en trench coat dont les planches sont encore lues et relues par la presse de toute lʼEurope francophone. Geluck s’illustre depuis deux décennies maintenant en tant qu’humoriste, comédien, animateur Tv et bédéiste modeste dans l’aspect, et dont le style, minimaliste au possible, met en valeur la puissance des mots . En trois cases, le tour de magie est joué, le message frappe, cinglant, avec un naturel provocateur. Autant de qualités qui ont permis à l’artiste de s’illustrer aussi bien en album qu’en dessin de presse ou publicitaire.

Une exposition qui a de quoi intriguer

Dans une gamme de couleurs restreintes, voire inexistante, le spectateur alterne entre les grands formats d’Alechinsky et des statues du Chat. Pour la parenthèse, on notera que ces dernières sont en réalité des modèles « de poche ». Les vingt grandes versions ( deux mètres de haut ) sont actuellement sélectionnées pour l’exposition Le Chat déambule à Paris et, plus tard, dans cinq autres capitales européennes désireuses de s’échanger ces fascinantes reproductions du célèbre greffier en surpoids. Autre point notable; les deux artistes semblent s’être entendus sur l’exploration du découpage. Quand on mentionne « découpage », il ne s’agit pas de celui opéré avec des ciseaux, mais de l’étape préparatoire employée par les auteurs de comics de chaque pays du monde pour composer les pages de leurs productions. 

En l’occurrence, il s’agit du découpage franco-belge, qui adopte les proportions 21 X 29.7 centimètres, orientées à la verticale et lisible de gauche à droite. Dans le cas de Philippe Geluck, le résultat n’a rien de surprenant. En revanche, dans le cas d’Alechinsky, plus présent dans l’exposition, les œuvres produites sont plus étonnantes. Le visiteur, suivant l’expo du regard, aura d’abord le loisir d’observer des compositions abstraites employant différentes méthodes et suivant la construction expliquée plus tôt. Quelques pas après, ce seront les compositions empruntant le M.C ( Main Character ) de Geluck qui frapperont le regard. Un curieux mélange de formes entrelacées utilisant l’un des personnages les plus symboliques de la presse.

Symbole, c’est dans ce mot simple que réside le cœur de l’exposition

Selon le dictionnaire, un symbole est un « signe figuratif, être animé ou chose, qui représente un concept, qui en est l’image, l’attribut, l’emblème ».Mais que fait-on d’un symbole ? Prenons un exemple provoquant qui a défilé la chronique : Tree, de Paul McCarthy. La structure géante, soi-disant en forme de sapin de Noël, exposée courant 2019, aura fait parler d’elle en mal plus qu’en bien, de par sa ressemblance frappante avec un plug anal. Forme détournée ou accident ? Au vu du vandalisme dont l’œuvre aura fini par être victime, le public a fait son choix. Outre les « similitudes » dont l’art abstrait regorge, on ne dénombre plus les symboles de la culture populaires détournés de leur usage.

Alechinsky et Geluck brillent par leur absence de conformité, par le caractère non-vendeur/non-esthétique de leurs œuvres. Pauvres par l’aspect, riche par le sens, les deux artistes s’inscrivent solidement dans le paysage de artistique. L’un en tant qu’éternel distributeur de sourires pour qui sait saisir le message, l’autre comme élève à temps plein, éternel pratiquant jamais rassasié et au style inclassable. Peut-être est-ce là le seul point faible de cette belle exposition : si lʼart de Geluck, explicite, se passe de paroles, celui dʼAlechinsky a de quoi questionner sans pouvoir franchement répondre. La présence de livres explicatifs proposés par Mme Lierhmann, aimable propriétaire de l’éponyme galerie, souligne cet état de fait. Mais après tout, qui entre dans une exposition en étant doté de toutes les réponses? Jusqu’au 24 décembre, à vous de vous questionner !