La très belle exposition « Alexandrie : futurs antérieurs » s’est installée ce 30 septembre au Bozar de Bruxelles qui vous permettra de faire le point sur une ville mythique et de démêler l’écheveau de toutes les légendes associées aux découvertes historiques véhiculées au fil des siècles.

Si je vous dis Alexandrie, vous pensez peut-être aux « sirènes du port » et à « la lumière du phare » chantées par un artiste populaire à la veille des années 80, ou alors vous vient à l’esprit Bonaparte débarquant avec ses soldats devant les murs de la ville pour entamer la campagne d’Egypte, ou bien encore c’est la figure d’Alexandre le Grand, l’homme le plus puissant du monde dont on cherche encore le tombeau qui s’impose à vous…

Couronné pharaon à son arrivée en Egypte (331 av. J-C), il décide de fonder une ville cosmopolite qui serait le carrefour du bassin méditerranéen. La « cité d’or », comme la qualifiait Athénée, est inscrite d’une façon ou d’une autre dans tous les imaginaires.

Et pourtant, il ne reste presque rien de la cité antique et seulement quelques vestiges de la cité médiévale. Du phare, septième merveille du monde ayant servi de guide aux marins pendant près de dix-sept siècles et de la bibliothèque, intégrée au Museîon avec ses 700 000 papyrus, ne subsistent que des fantasmes, des gravures sur des pièces de monnaies romaines pour le premier et des copies de textes des intellectuels les plus célèbres de l’époque pour la seconde.

Un projet ambitieux

Bracelet au Cobra en or ©Musée Royal de Marlemont

Cette exposition est le fruit de la collaboration entre trois musées ; elle a été proposée par le Domaine et Musée royal de Mariemont au Bozar de Bruxelles qui s’est associé pour l’occasion au MUCEM de Marseille. Elle s’inscrit dans le cadre d’un vaste projet intitulé : « Alexandrie :(ré)activer les imaginaires urbains communs » qui propose de multiples actions dans neuf villes européennes et égyptiennes visant à explorer la vie urbaine du monde méditerranéen.

Alexandrie est donc l’une des étoiles d’une constellation culturelle qui coïncide heureusement avec une double célébration, celle du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par JF Champollion et celle de la découverte du tombeau de Toutânkhamon.

Le passé revisité

Carte d’Alexandrie, in G Braun, F Hogenberg, Théâtre des principales villes de tout l’univers, T2, 1575

L’approche est pour le moins originale et très séduisante puisqu’il s’agit de confronter les temporalités : temps historique et temps imaginaire, pour les mettre en relation avec une vingtaine d’œuvres d’art contemporain. Aborder la ville en gommant le vernis d’ « Alexandrie la sublime » est un pari audacieux qui a permis aux artistes d’investir la géographie de la ville pour révéler une autre réalité que celle de la  cité idéale souvent évoquée.

À partir d’études archéologiques terrestres et sous-marines souvent méconnues, l’histoire inattendue de la cité portuaire nous est ici restituée bien au-delà  des lieux communs sur l’Egypte des Ptolémées. Les « futurs antérieurs » font ainsi référence à toutes les projections qui n’ont jamais été concrétisées face aux réalisations successives échafaudées sur les ruines des précédentes. 

Le pont Stanley inauguré en 2001 s’inscrivait dans une entreprise de réhabilitation urbaine visant à redorer le blason touristique de la ville ; cette œuvre contemporaine de l’artiste égyptienne Maha Maamoun révèle une forme de contradiction entre la mise en scène balnéaire et l’exclusion des classes populaires qu’elle induit.

Maha Maamoun, Domestic Tourism I : Beach, 2005

Une cité en constante évolution

Le visiteur contemplera des productions remontant à plus de sept siècles entre la fondation de la ville par Alexandre le Grand et l’avènement du Christianisme (391 apr. J-C). Cinq grands thèmes : les organisations urbaine, politique et  religieuse de la ville, la vie quotidienne des alexandrins et le rayonnement scientifique et philosophique de la cité sont illustrés au gré des espaces superbement agencés pour l’occasion. Quelques incursions dans les époques byzantine, arabe et moderne permettent d’observer la continuité du rôle commercial de la ville par exemple ou de la question de son approvisionnement en eau au fil du temps. Problème crucial développé dans une salle entière .

L’installation de tuyauteries marquées par le temps de l’artiste palestinienne Jumana Manna fait face à la maquette des citernes médiévales de la ville et attire l’attention sur les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les équipements obsolètes mettant en danger la ville et ses habitants.

En raison de phénomènes naturels, la morphologie d’Alexandrie a été maintes fois altérée , des quartiers évoqués dans les sources ont été effacés et les détails de leur topographie nourrissent encore les débats des spécialistes. La plupart des constructions antiques ont été englouties par les eaux, rasées ou bombardées. 

L’exposition fait la part belle aux monuments emblématiques de la ville, assemblant sous nos yeux les multiples pièces d’un puzzle fascinant. Vous serez impressionnés par l’installation d’Ellie Ga, artiste américaine qui s’est donné pour mission d’assembler fragments écrits et oraux évoquant le phare au fil des siècles pour en dégager une possible vérité.

Un « melting pot »

Alexandrie est le creuset  d’une Egypte multiculturelle  où se mêlent les langues, les traditions et  les cultes de différentes  populations. « L’Oracle du Potier », texte prophétique de l’Egypte hellénistique la qualifie de « pantotrophos », « un lieu qui nourrit tous les peuples » et où convergent toutes les civilisations.

Ainsi, les Ptolémées créent le dieu Sarapis qui prend la place d’Osiris pour recomposer une famille divine égyptienne avec la déesse Isis et leur fils Harpocrate et dont l’image empruntera autant au répertoire iconographique pharaonique qu’aux représentations de tradition grecque. 

L’archéologie funéraire est particulièrement représentative de la superposition d’occupation de populations et de l’assimilation des pratiques des uns et des autres. La Nécropolis est découverte en 1997 à l’occasion de travaux urbains ce qui a permis d’en étudier une petite partie. Utilisée du 3e siècle av. J-C au 7e siècle apr. J-C, elle témoigne de la grande diversité des traditions funéraires.

On y trouve des statuettes votives, les « tanagréennes », copiées de modèles grecs mais exclusivement réservées à l’usage funéraire à Alexandrie. Des stèles qui fermaient les « loculi », cavités où reposaient les restes des défunts ont également été mises à jour. Les tombes sont parfois ornées de scènes peintes évoquant les croyances religieuses de leurs propriétaires. Le mélange d’iconographies grecques et égyptiennes témoignent là encore de la dimension transculturelle de cette société cosmopolite.

Les modes d’inhumation étaient également divers et dépendaient des convictions ou du statut social des Alexandrins. On retrouve en effet aussi des jarres funéraires, parfois surmontées suivant la coutume grecque de couronnes de fleurs de bronze, de plâtre ou de terre cuite, contenant les cendres des défunts. La momification quant à elle était réservée à l’élite aisée. 

Une exposition didactique

En célébrant le  patrimoine exceptionnel de la cité égyptienne conjugué à tous les passés, au présent et même au futur, cette exposition nous fait voyager et nous projette dans une dimension où l’histoire d’hier est sublimée mais aussi questionnée et remise en question par l’Art d’aujourd’hui. Elle nous amène surtout à nous interroger sur les modes de représentations et sur notre rapport « aux œuvres » exposées dans les musées. 

Il vous reste maintenant à tracer votre propre chemin dans ce parcours aux multiples entrées entre Histoire et Imaginaire, Passé et Présent comme vous y invite Mona Marzouk, artiste alexandrine qui nous montre les objets exposés sous d’autres angles dans ses peintures murales créées pour l’occasion et nous rappelle par là même de toujours douter de ce qui nous est donné à voir.


Infos Pratiques

Aslı Çavuşoğlu, Noeud Gordien, 2013. © Hadiye Cangökçe

Alexandrie : futurs antérieurs jusqu’au 08 janvier 2023. Bozar- Palais des Beaux-Arts.

Et si, d’aventure vous ne pouviez voir l’exposition à Bruxelles, rassurez-vous, elle sera présentée au MUCEM du 8 février au 8 mai 2023.

De nombreux ouvrages vous permettront de poursuivre le voyage longtemps après votre visite. 

– Le catalogue de l’exposition paru chez Actes Sud reprend la genèse et les objectifs de l’exposition ; il apporte de nombreuses explications sur les œuvres exposées et éclaire les démarches artistiques.

– Alexandrie des Ptolémées d’André Bernard paru aux Editions du  CNRS en 1995 permettra aux passionnés d’histoire antique d’aller plus loin et de découvrir comment le modèle de cité idéale présenté dans La Politique d’Aristote pourrait bien avoir inspiré celui qui fut son élève.

Le doute est le commencement de la sagesse

Aristote