Banksy tombe le masque à Bruxelles
Le hasard fait parfois bien les choses, j’avais décidé ce matin-là de le laisser guider mes pas… J’ai d’abord cru que les murs de cette maison du centre de Bruxelles avaient été tagués comme beaucoup de murs de la capitale de la bande-dessinée. J’ai découvert en m’approchant qu’il s’agissait d’un musée dédié à Banksy et je suis entrée sans plus attendre dans un univers dont je ne connaissais qu’une toute petite partie.
On ne sait pas qui est Banksy, certains ont imaginé qu’il était une femme, d’autres qu’il s’agissait d’un collectif d’artistes, son anonymat est soigneusement entretenu et participe paradoxalement à sa popularité. Devant le succès remporté par l’exposition «The world of Banksy», un musée dédié à l’artiste a ouvert ses portes dans les locaux d’une ancienne maison de tissus au cœur de Bruxelles et propose un parcours immersif bluffant !
« Les rats existent sans permission. Ils sont haïs, chassés et persécutés. Ils vivent dans un désespoir silencieux au milieu de la crasse. Et pourtant, ils sont capables de mettre à genoux des civilisations entières. Si vous êtes sale, insignifiant et mal-aimé, alors les rats sont votre modèle ultime ». Banksy, Wall and Piece
Une salle du musée © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
L’art du Mystère
Tout commence au Barton Youth Club, un centre social de Bristol où ceux que les habitants du quartier considèrent comme « des délinquants » pratiquent le « tagging » à l’aide de bombes de peinture en aérosol. Banksy est issu de ce terreau fertile ; accompagné de ses collègues Kato et Tess,
Rats along the Seine, 2018 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
il entre dans un groupe, le Bristol’s DrybreadZ Crew (DBZ). Vers 2002, il troque la bombe contre le pochoir qui deviendra sa marque de fabrique: « Dès que j’ai découpé mon premier pochoir, j’ai pu sentir la puissance qui s’en dégageait. Son caractère impitoyable et son efficacité sont parfaits. » Certains diront qu’il s’inspire alors du pochoiristefrançais Blek le rat à qui il rend hommage en taguant le petit rongeur sur les murs de Bristol.
Mild Mild West, 1999 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
Depuis 1993, Banksy rayonne sur le street art en conjuguant sens de l’humour et de la provocation pour illustrer et dénoncer les travers et les abominations de nos sociétés. La première œuvre authentifiée est Mild Mild West, réalisée en 1998. Un ours en peluche jette un cocktail Molotov sur des policiers anti-émeutes, c’est le seul dessin signé par l’artiste à moins qu’un anonyme ne se soit chargé de signer pour lui…. Souvent à la limite de la légalité, il réalise de vrais coups médiatiques pour braquer un projecteur sur certaines de ses œuvres affichées par exemple au MoMa, au Louvre ou au Tate Britain à l’insu des conservateurs en 2005.
Sale ends, 2006. Trolley hunters, 2007 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
La vocation de l’engagement
Il dénonce la consommation de masse dans des œuvres qui mettent en scène des hommes en proie à toutes les contradictions pour assouvir un consumérisme triomphant érigé en religion dans Sale ends ou Christ with shopping et en combat dans Trolley Hunters ou Golf Sale. Il tire aussi la sonnette d’alarme pour la planète et emboîte le pas à Greenpeace qui lance une campagne contre ESSO en 2001 en forçant le trait dans Stop ESSO qui souligne les incohérences des velléités de préserver la nature tout en conservant nos styles de vies.
« Les plus grands crimes du monde ne sont pas commis par des personnes qui enfreignent les règles mais par des personnes qui suivent les règles. Ce sont les gens qui suivent les ordres qui bombardent et massacrent des villages. » Banksy, Wall and Peace
Flower thrower, 2003 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
La privation de liberté, les discriminations, les atrocités des guerres et la destruction de tous les êtres vivants sont au centre de nombreuses œuvres comme Stop and Search qui met en scène Dorothy, la fillette du Magicien d’Oz fouillée par un policier, Flower Thrower ou Love is in the air qui montre un homme masqué en train de lancer un bouquet de fleurs à la place d’un cocktail Molotov. Ce dernier dessin apposé à Jerusalem sur le mur de séparation entre Israël et la Palestine résonne encore plus douloureusement aujourd’hui. Anticapitaliste et antimilitariste, Banksy frappe les esprits pour provoquer des prises de conscience au moment et dans un endroit où le citoyen ne s’y attend pas.
The gleaners (based on), 2008 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
« L’envie de détruire est une envie créatrice. » Formule attribuée à Picasso par Banksy
Le don du détournement
Banksy utilise volontiers l’humour et la dérision : des bananes remplacent les pistolets brandis par John Travolta et Samuel L. Jackson dans le film culte de Quentin Tarentino « Pulp Fiction » et une glaneuse sort du tableau de Millet pour faire une pause cigarette. Humour très noir quand il propose ses versions du Bassin aux nymphéas de Monet ou des Tournesols de Van Gogh. Caddies et plots de signalisation flottent au milieu des nénuphars dans Show Me the Monet et de pauvres tiges aux fleurs fanées dépourvues de pétales occupent un vase signé Banksy dans « Sunflowers from Petrol Station ».
Pulp Fiction, 2005. Show me the Monet, 2005 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
Plus sombre encore, Le radeau de la Méduse de Géricault réinterprété en radeau de réfugiés ignoré par un yacht indifférent apposé sur un mur de Calais. A ses côtés, Steve Jobs, un baluchon sur l’épaule et un ordinateur sous le bras semble débarquer sur la plage. « The son of a Migrant from Syria » peint en 2015 à l’entrée de la tristement célèbre «jungle» avait été accompagné du communiqué suivant :“On nous fait souvent croire que l’immigration est un fardeau pour les ressources d’un pays mais Steve Jobs était le fils d’un immigré syrien. Apple est la société qui dégage le plus de bénéfices, et qui paye plus de sept milliards de dollars d’impôts ; mais cela a pu être le cas seulement parce qu’un homme venu de Homs a pu entrer aux États-Unis“.
Raft of the Medusa, 2015. Steve Jobs, 2015
Le sens du spectacle
« Il y a quelques années, j’avais en secret, incorporé une déchiqueteuse à papiers dans la peinture, au cas où elle serait mise aux enchères » Banksy
Love is in the bin, 2018 © DR
Banksy a le sens du spectacle et il n’en était pas à son premier coup d’éclat, il avait entre autres en 2004 fait imprimer et disperser lors du carnaval de Notting Hill, des faux billets de dix livres sur lesquels l’effigie de Lady Diana remplaçait celle de la reine d’Angleterre et la mention
Girl with Balloon, 2006 © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
« Banksy of England » celle de « Banks of England ». En 2013, dans le cadre de son exposition « Better Out Than In », il installe incognito un stand éphémère sur un trottoir de Central Park pour y vendre certaines de ses œuvres à un prix dérisoire. Là réside tout le paradoxe d’un artiste qui manifeste ainsi son mépris du mercantilisme autour des œuvres et qui est en résistance constante contre le marché de l’Art alors que les ventes de ses réalisations atteignent des sommes records.
Vidéo Banksy brade ses œuvres incognito © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
Il est impossible ici de commenter toutes les œuvres de Banksy reproduites de manière anonymes par plusieurs artistes de rue internationaux sur les murs d’un musée qui nous emmène dans toutes les villes du monde où le génial tagueur a officié. 900 m² pour exposer 120 œuvres dont certaines ont disparu souvent effacées par des propriétaires non avertis et présentées dans un parcours attractif suivant une superbe scénographie.
Vue prise de l’étage © photo Frédérique Vanandrewelt / Banksy
Je vous invite donc à laisser vos pas vous conduire au 28 rue de Laeken à Bruxelles pour plonger dans l’univers d’un street artiste pour le moins fascinant.
Pour aller plus loin encore…
Et pour vivre une autre expérience immersive, rendez-vous à Paris où vous pourrez séjourner dans The Walled Off Hotel Paris, reconstitution du Walled Off Hotel de Bethléem.
Banksy a autoédité plusieurs livres dont Wall and Peace, Random House (2005). Il a réalisé « Faites le mur » (Exit Through the Gift Shop, 2010), nommé pour l’Oscar du meilleur film documentaire en janvier 2011 :
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