J’ai été conquise par Virginie Despentes depuis « Baise-moi ». Quand est sorti récemment « Cher connard », je me suis fiée à la 4ème de couverture du roman publié chez Grasset : « Après le triomphe de sa trilogie Vernon Subutex, le grand retour de Virginie Despentes avec ces Liaisons dangereuses ultra contemporaines. » J’ai sans hésitation acheté le bouquin. Déception au point que je me suis demandée si Virginie Despentes, qui avait validé cette 4ème de couverture, avait lu le roman épistolaire de Choderlos de Laclos. Je m’attendais à la manipulation, le complot dont les deux principaux héros sont complices. Rien à voir.

« Cher connard » de Virginie Despentes, Grasset (2022), 352 pages

En quelques mots le pitch du roman :  dès la première page, Oscar, auteur de romans policiers à succès insulte publiquement sur Instagram Rebecca, actrice française de renommée internationale, la traitant de «(…) crapaud. Pas seulement vieille. Mais épaisse, négligée, la peau dégueulasse et son personnage de femme sale, bruyante. La débandade. On m’a appris qu’elle s’était convertie en égérie pour jeunes féministes. L’internationale des pouilleuses a encore frappé(…) ». Commence alors une correspondance entre Oscar et Rebecca qui ne mâche pas ses mots « (… ) Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. (…) J’espère que tes enfants crèveront écrasés par un camion et que tu les regarderas agoniser sans rien pouvoir faire et que leurs yeux gicleront de leurs orbites (…) » Des mots de la trempe d’une Virginie Despentes en pleine forme comme on la connaît.

Seulement, habituée au récit et mon régal +++ : « Bye Bye Blondie », j’ai vite déchanté. Absence de narration pour une litanie épistolaire sur les déboires de deux personnages qui, quoiqu’en conflit dès le départ le dépassent et se trouvent un premier point commun : Corinne, sœur d’Oscar et meilleure amie d’enfance de Rebecca. Ajoutons que dans « Cher Connard », Virginie Despentes fait la part belle à Zoé, qui accuse sur Instagram Oscar d’être un harceleur. Zoé, une ancienne attachée de presse d’Oscar qui a essuyé la drague insistante, obsessionnelle, insupportable de l’auteur lors de la sortie de son premier bouquin. Zoé qui avait alors dû quitter la maison d’édition et qui sur Instagram se venge, s’affichant féministe convaincue.

On notera au passage la connaissance wikipédiesque de Virginie Despentes qui semble connaître le féminisme et toutes ses ramifications, ses courants, ses mouvements dans la continuité de King Kong Théorie.

©Jean-Francois Paga Grasset Virginie Despentes 

Oscar croyait à l’époque aimer Zoé, mais n’aimait que lui dans le regard de Zoé qui lui apportait toutes les bonnes nouvelles relatives au succès de son polar. Le narcissisme de l’auteur dans toute sa splendeur. Un trait commun à Oscar et Rebecca. Le narcissisme de l’artiste qui s’aime au travers du regard des autres. Corinne, la sœur et amie, le narcissisme et la drogue surtout, beaucoup, carrément qui prend une place de premier ordre dans « Cher connard » : principaux points communs des deux personnages. Pour Oscar, c’est l’alcool et la cocaïne. Pour Rebecca, c’est surtout le crack. Bref, des points communs qui constituent la trame de leurs échanges épistolaires sans rebondissements, où il est aussi question de paternité, de difficulté à vieillir, etc.

Je préfère laisser aux lecteurs le soin d’assouvir leur curiosité sur les lettres qui questionnent la société, son fonctionnement, etc. Considérations dans lesquelles, assoiffée de rebondissements, je ne me retrouve pas.

Des rebondissements justement ? Dans les ¾ du roman : aucun. Si ce n’est l’arrivée du coronavirus. Et l’entrée au « Narcotiques Anonymes » d’Oscar, suivie de Rebecca.

Autre rebondissement qui entérine l’amitié naissante entre Oscar et Rebecca au fil de leurs échanges, c’est le jour où Rebecca, qui elle aussi s’est affichée féministe (mais sans la conviction maladive de Zoé) rend visite à la victime d’Oscar atteinte par le virus pour lui apporter un panier de victuailles. Zoé, d’ailleurs sensible à la célébrité contagieuse déclare dans son article suivant que Rebecca est désormais son amie. Oscar accepte, critique à peine Rebecca, qui désormais se positionne comme celle « qui a le cul entre deux chaises » : féministe et amie d’Oscar.

Voilà pour le pitch. Combien de fois j’ai failli laisser tomber le roman, tant il me glissait des mains ? Je ne les ai pas comptées. Mais je sais être persévérante et prête à m’enticher des protagonistes pour les mener vers des liaisons dangereuses se rapprochant de celles de De Laclos. Et si Rebecca avait parié sur la réconciliation d’Oscar et de Zoé ? Et si, encore plus facile et faisable, Rebecca avait fait en sorte que Zoé se réconcilie avec les hommes en général, puisque s’étant rapprochée d’elle avec ce panier de victuailles elle aurait pu grâce au panel d’acteurs de son carnet d’adresses, présenter plein de comédiens charismatiques, beaux, les deux ?

Mise en abyme salvatrice

Je n’ai pas eu le temps d’approfondir ces conjectures. Une mise en abyme du roman allait m’empêcher de décrocher de « Cher Connard ». Ma vie.

Victime d’un connard, un autre prototype de connard dénoncé par Zoé, quand il s’est agi de dénoncer les actes d’Oscar. Un connard invisible sur les réseaux qui m’était cher sous le joug de l’amour incandescent, avant de devenir connard chéri de la race des machistes à tendances prédatrices. L’homme qui drague, l’homme qui conquiert, l’homme qui décide de l’heure à laquelle communiquer, se voir, faire l’amour et l’heure à laquelle tout ça doit s’arrêter, parce que l’homme a d’autres chats à fouetter ou à aller coucher ailleurs, l’homme qui une fois mon béguin déclaré explose de colère et s’en va sans fuir tout à fait parce que c’est un homme, un machiste assumé, un homme que Boris Vian flatte dans son ego :

« Un homme digne de ce nom ne fuit jamais. Fuir c’est bon pour les robinets. »

Parallèlement, j’en avais touché 2 mots par WhatsApp à ma sœur Charlie de la même génération que Zoé, soit les années 90/2000. Charlie fut outrée :

« Franchement ces types-là qui disparaissent on en a marre, c’est quoi ce comportement immature?! Les femmes ne font pas ça, les femmes on leur a appris à s’inquiéter des autres, à ne pas faire de peine, à être empathique. Les hommes, ils font bien ce qui leur plaît, et faut pas venir trop leur en demander sans que ça ne déplace leur petite personne, ils préfèrent disparaître que de t’affronter. Hé les gars, dites aux gens que vous vous êtes trompés, ou que vous avez changé d’avis ou que vous êtes nuls, mais dites le, BORDEL!!! Tu sais qu’on appelle ça le ghosting? C’est quand même dingue qu’on ait eu besoin d’un terme pour décrire cette attitude tellement c’est fréquent… je m’énerve un peu parce que c’est fréquent et on finit par trouver ça normal, on ne devrait pas.»

Charlie au passage m’avait d’ailleurs fait découvrir plusieurs podcasts dont 4 épisodes sont consacrés au travail de Virginie Despentes : Les couilles sur la tables. Et notamment un podcast relatif à « King Kong théorie » sorti en 2006.

Et moi ? J’ai fini par adhérer au roman de la talentueuse Virginie Despentes en souffrant. Viendra l’heure de la réconciliation avec mon cher Connard à moi !